Naissance d’un Goncourt de Yann Queffélec aux Éditions Calmann-Lévy
À quoi tient le destin ?
Yann Queffélec a vingt-huit ans quand il décide d’embarquer avec deux amis pour un tour du monde à la voile au départ de Groix. Après soixante-douze heures de navigation, les ennuis s’accumulent. Panne moteur. Qui dit plus de moteur, dit plus d’électricité donc plus d’instruments. Cap sur La Corogne pour réparation. C’est alors que la tempête se lève. Le voilier est balloté, chahuté. Enfin la terre. Pas celle qui était prévue, Belle-Ile. À une quarantaine de kilomètres à vol d’oiseau de Groix. Le bateau atterrit plus qu’il n’accoste sur le quai. Alors qu’il est en train de l’amarrer, on tape sur l’épaule Yann. Une voix sortant de la brume lui dit : « Toi, chéri, tu as une gueule d’écrivain ».
Cette voix, c’est celle de Françoise Verny, éditrice qui fait la pluie et le beau temps dans le milieu littéraire des années quatre-vingt. Après avoir travaillé chez Grasset, elle officie maintenant chez Gallimard. Rendez-vous est pris le lendemain soir pour un dîner.
Lors de ce dîner surréaliste, Yann finit par promettre des pages à Françoise. Car oui, Yann écrit. Rien de probant jusque là, des romans inachevés, des bribes de textes éparses. Maintenant, il faut qu’il se mette sérieusement au travail.
« On a tellement de choses à se dire, Françoise et moi, et c’est moi qui les dis toutes, qui parle jusqu’au matin, promets des pages et des pages, un roman qui touche à son point final, un roman sur… Un roman sur quoi ? Je n’en sais rien, moi. C’est le roman qui dit ce qu’il est, pas l’auteur. L’auteur se contente de l’écrire ou d’affirmer qu’il l’écrit jour et nuit, sur son bateau, dans les estuaires et dans les îles, qu’il en voit le bout. »
Naissance d’un Goncourt nous raconte la rencontre de Yann Queffélec avec Françoise Verny, une rencontre qui va changer son destin. Qui va en faire un prix Goncourt.
L’auteur nous narre avec une tendresse pleine d’espièglerie sa collaboration avec cette femme hors du commun. Une femme tout en excès, à la fois ogresse et maman abusive. Elle sera avec lui jusqu’au bout, jusqu’au Grall, jusqu’au Goncourt. Elle le poussera, l’acculera dans ses retranchements, le harcèlera patiemment. Car il lui en faudra de la patience pour obtenir le meilleur de Yann.
« Alors c’est qui, Françoise Verny . C’est la maman des auteurs, pardi. Une indésirable maman. Chacun la sienne. Elle n’aime pas trop l’idée : « Pas une maman, chéri : une mère maquerelle ! Une patronne de bordel ! » (Quoi de plus bordélique qu’une âme d’écrivain.) Mère maquerelle ou maman pour écrivains en souffrance, elle sait dire « je t’aime » à ceux qui travaillent dur, retravaillent, se dépassent en écrivant. Ce « je t’aime, chéri » nous traverse la peau. Mais elle, Françoise, qui lui dit : « Je t’aime, chérie » ? Personne. La solitude. »
Yann se plonge dans le travail, dans la solitude de l’écrivain. Une solitude égayée par ses dîners homériques chez Françoise. Des soirées qui se transforment souvent en bombardements de nourriture et objets divers quand l’éditrice, imbibée de whisky entre dans l’une de ses prodigieuses colères.
Yann Queffélec nous parle de son travail d’écrivain. De ses romans qui le hantent, de ses personnages qui lui parlent, ne le laissent pas en repos. Il nous raconte ses doutes et ses espoirs, son anxiété quand il remet ses pages à Françoise. Quelle va être sa réaction ? Va-t-elle aimer ? Son roman est-il bon ?
« Je suis d’autant plus malheureux, mortifié, que moi aussi, depuis un an, je vis un miracle de solitude, la nuit, en tête à tête avec La Bête noire, un roman qui me prend toute ma vie, toute ma voix. Je m’endors : il parle, il se moque de moi, il revient sur ce qu’il a dit, il me trouve bien lâche de fermer les yeux, de me reposer. Est-ce qu’il se repose, lui ? Est-ce que la littérature a sommeil ? Est-ce que la tragédie peut se permettre de distraire, une seconde sur le cours des choses, et remettre au lendemain ce qui promet d’être un crime, pas un suicide, non non, trop facile ! Un suicide , oui , s’il on veut, pour la concierge, la police, le toubib, un suicide à l’usure, doux comme un adieu. »
Naissance d’un Goncourt retrace avec beaucoup de verve et d’autodérision le parcours d’un écrivain de ses débuts balbutiants à l’obtention du prix Goncourt. C’est aussi et surtout un hommageplein de tendresse et de drôlerie à Françoise Verny, la femme qui l’a porté sur les fonts baptismaux de la littérature. Une femme qui, l’auteur en est convaincu, lui a été envoyé par sa propre mère décédée quand il avait dix-huit ans. Un récit que je recommande à tous les passionnés de littérature, à ceux qui veulent en savoir plus sur le métier d’écrivain. Quelle belle plume que celle de Yann Queffélec. Je me suis régalé.