Le jour où Shiara, trente-cinq ans, célibataire lui aussi, est engagé dans la supérette, Keiko ne se doute pas qu’elle va trouver un allié de poids. Rapidement renvoyé à cause de son comportement, le jeune homme s’installe chez elle et lui propose de faire semblant d’être son petit ami afin d’éviter le jugement permanent de la société sur sa situation. Pas forcément l’idée du siècle, surtout quand Shiara révèle sa vraie nature de grosse feignasse ne cherchant qu’à être entretenu…
Un court roman d’inspiration autobiographique qui a connu un succès phénoménal au Japon, remportant notamment le prix Akutagawa, équivalent de notre Goncourt. Les raisons de ce succès sont sans doute à chercher dans le fait que Syaka Murata dénonce, à travers Keiko le poids d’une société obnubilée par la réussite et l’ascension sociale qui s’empresse de juger les comportements « marginaux » sans chercher à les comprendre. Shiara n’a pas d’ambition démesurée, elle se contente du peu que l’on veut bien lui offrir, certaine d’avoir trouvé sa place « dans la mécanique du monde. »
Pour autant elle est consciente de son décalage par rapport à la norme. Un décalage qui, aux yeux des autres, s’apparente à une maladie. Il lui arrive même de se persuader qu’un changement d’attitude est nécessaire : « Dans ce monde régit par la normalité, tout intrus se voit discrètement éliminé. Tout être non conforme doit être écarté. Voilà pourquoi je dois guérir. Autrement je serai éliminée par les personnes normales. »
Un roman étrange et des personnages qui le sont tout autant. Je ne peux pas dire que j’ai été séduit par Keiko, par son coté mollasson, lymphatique, résigné. Encore moins par Shiara, sorte de parasite toxique au discours franchement limite. Mais au final j’ai pris plaisir à découvrir leur différence, à suivre leur cheminement, leurs réflexions, leur rapport difficile aux autres. Et à être une nouvelle fois fasciné par le fonctionnement d’une société japonaise qui ne cessera jamais de me surprendre.
Konbini de Sayaka Murata (traduit du japonais par Mathilde Tamae-Bouhon). Denoël, 2018. 125 pages. 16,50 euros.