La croisade des innocents (Chloé Cruchaudet – Editions Soleil)
Petites causes, grandes conséquences. Lorsque Colas, douze ans, fait accidentellement tomber sa petite soeur Margotte dans l’enclos des porcs, ceux-ci s’empressent de dévorer le visage de la petite fille. Horrifié, le garçon ne voit alors qu’une seule solution: fuir le plus loin possible. Il faut dire que le père de Colas et de Margotte est plutôt du genre violent. Au lieu d’attendre de subir des nouveaux châtiments corporels, Colas préfère prendre ses jambes à son cou. Rendu muet par le choc de ce qui est arrivé à sa petite soeur, il trouve refuge dans une brasserie, au milieu d’autres enfants exploités. Mais bientôt, son destin bascule à nouveau. Un soir d’hiver, alors que Colas court derrière un renard à travers les bois, il se retrouve à quatre pattes au-dessus d’un lac gelé. Sous la glace, il aperçoit un homme mort avec les bras en croix. Dans la mesure où l’histoire se passe au début du XIIIème siècle, au beau milieu de la période des croisades, Colas interprète cet événement comme un signe. Cet homme sous la glace, c’est Jésus qui lui apparaît. Instantanément, le garçon retrouve sa voix. Poussé par son ami Camille, pour qui Colas est une sorte d’élu, il décide de constituer une croisade afin d’aller délivrer le tombeau du Christ à Jérusalem. Les autres enfants sont très impressionnés par son discours et décident de le suivre. Il faut dire que tout est mieux que de rester dans leur misère, sans aucune perspective d’avenir. C’est le début d’une expédition étonnante sur les routes de France. Sans adultes et sans puissant chevalier pour les protéger, ces enfants marchent d’un pas déterminé vers Jérusalem, persuadés que, grâce à leurs coeurs purs, rien ne pourra leur arriver.
Après le succès de son album « Mauvais genre », qui a multiplié les prix et les récompenses, Chloé Cruchaudet change totalement d’univers, tant au niveau graphique qu’au niveau scénaristique. Dans « La croisade des innocents », elle s’inspire d’un fait historique réel, à savoir une croisade des enfants qui s’est déroulée en 1212. Celle-ci serait née d’un mouvement populaire spontané, sans l’aide des puissants, et aurait fini par se transformer, selon certaines sources, en une horde incontrôlable de pillards. Dans sa BD, Chloé Cruchaudet en fait une histoire qui alterne douceur et cruauté, avec tour à tour des moments légers et poétiques et d’autres séquences d’une noirceur désespérante. Bien sûr, « La croisade des innocents » est aussi une manière pour l’autrice lyonnaise de s’interroger sur notre époque actuelle et sur les dérives de la religion. « Ce qui m’intéressait le plus dans cette histoire, c’était de voir comment ces jeunes gens terriblement immatures allaient affronter des choses très dures et comment, grâce à l’idéologie, ils pourraient se trouver des excuses pour justifier leurs actes. Comment, pour se protéger, on peut finir par croire à ses propres mensonges et se laisser emporter par eux », explique Chloé Cruchaudet dans une interview au magazine Télérama. « Bien entendu, j’avais en tête des faits bien modernes, comme la manipulation des jeunes cerveaux pour aller mener une guerre sainte, le djihad… Cela me questionne profondément, surtout depuis les attentats de Paris. » Extrêmement bien construit, « La croisade des innocents » est une BD fascinante et parfois dérangeante, qui cache une grande dureté derrière des dessins pourtant très tendres. On en sort bouleversé, comme c’est le cas à chaque fois avec les bandes dessinées de Chloé Cruchaudet.