J’ai couru vers le Nil
Alaa El Aswany
Traduit de l’arabe (Egypte) par Gilles Gauthier
Actes sud
2018
432 pages
J’ai découvert Alaa El Aswany et son immeuble Yakoubian il y a deux mois. J’ai adoré son écriture et je me suis forcée à attendre un peu avant de me replonger dans son univers avec ce dernier roman.
Cette fois, nous sommes en 2011 au moment de la révolte sur la place Tahrir. On suit de nombreux personnages qui vont se croiser d’une manière ou d’une autre. Chacun à sa façon va vivre ce moment historique, de l’officier de police à l’étudiant en médecine, de la fille du premier à la servante d’un vieil acteur de seconde zone. C’est foisonnant, c’est riche, c’est puissant. Les pensées des uns et des autres sont exposées sans jugement de la part de l’auteur, au lecteur de se faire sa propre opinion, à la lecture des arguments des uns et des autres. Les sentiments contradictoires des personnages tiraillés entre leur famille, la religion et leur aspiration politique sont parfaitement décrits. Et quand l’auteur verse dans l’ironie voire dans le sarcasme, le lecteur jubile, lorsqu’il présente cette femme journaliste sensée être une musulmane pieuse et dont les actes s’inscrivent (soi-disant) dans le respect de la religion, comme c’est bon.
Cet auteur est un maître dans l’art d’entremêler histoires intimes, personnelles et Histoire de l’Egypte et des Égyptiens. Son écriture est romanesque à souhait et en même temps, il ose dénoncer les exactions de ce régime totalitaire, à travers ses personnages si charismatiques. Son roman, interdit en Egypte est un témoignage important, nécessaire, surtout quand on sait que l’auteur a participé à cette révolution mise à mal par le pouvoir militaire. Le lecteur suit la progression de la révolution à travers les espoirs des jeunes, mais aussi à travers la théorie du complot exploitée par le pouvoir, et donc à travers la contre révolution orchestrée par les généraux. Et l’auteur ne nous épargne ni les violences, ni les souffrances, ni les humiliations de tous ces gens qui ont espéré accéder à un régime démocratique.
El Aswany est un grand écrivain, aussi bien pour magnifier les rapports amoureux grâce à son écriture voluptueuse que pour dénoncer l’obscurantisme propagé par les frères musulmans et tous les religieux influents du pays grâce à son écriture fluide et efficace.
Plonger dans un roman de Alaa El Aswany, c’est être assuré de passer un excellent moment tout en étant dépaysé, et en élargissant sa connaissance du monde arabe.
Il faut lire ce roman !