Il n'est pas toujours facile pour un Américain, aujourd'hui, de revendiquer un patriotisme pourtant légitime. Il faut dire que si les États-Unis ont longtemps été la patrie de la liberté individuelle et de la libre entreprise, ils sont passés au 21e siècle de l'autre côté de la barrière idéologique, en prétendant imposer très souvent une certaine vision agressive du monde au reste de la planète. Fort heureusement, il suffit de se replonger dans l'histoire et les racines de cette grande nation, pour mieux appréhender l'esprit fondateur et les intentions de départ. Pour ce faire, une série publiée courant 2015 chez Dark Horse est tout simplement excellente : il s'agit de Rebels, de Brian Wood, dont une édition remarquable est sortie chez Urban Comics. Nous plongeons dans la guerre d'indépendance qui débute en 1775, avec les premiers insurgés, qui tente de chasser définitivement les Anglais. Le héros au départ se nomme Seth Abbott : nous le découvrons encore jeune, un gamin sous l'influence d'un père qui l'élève à la dure. Une éducation qui peut paraître rustre, mais qui sera utile pour le futur adulte et combattant. Seth va s'engager dans une milice du Vermont, les Green Mountain Boys, en compagnie de son meilleur ami, un renégat britannique qu'il avait échoué à éliminer, alors que tout jeune encore son paternel lui avait donné l'occasion de mener la charge, fusil au poing. Des inconnus rencontrent des figures célèbres, dans cette bande dessinée, qui tente de poser un regard clair et objectif sur une période cruciale de l'histoire américaine. Le scénariste multiplie les points de vue et tente de nous montrer que cette révolution américaine possède de multiples facettes, qui englobent par exemple les femmes. Elle peuvent être courageuses, patientes, résolues, mais jamais condamnées au rôle de potiches... à commencer par l'épouse de Seth, qui voit partir son mari défendre de lointains états, qui ne représentent rien pour elle, alors qu'elle est enceinte et devra patienter des années, pour présenter sa progéniture au père combattant.
Comme il est de coutume chez Urban, l'album est ouvert et conclu par d'intéressants textes où Brian Wood nous éclaire sur son amour pour sa terre natale (le Vermont) et son intérêt pour l'histoire et ses racines. C'est de cela qu'il s'agit ici, avec un cast humble et inhabituel, qui puise ses héros parmi les fermiers du New Hampshire, pas forcément les politiciens ou les habitants des grandes villes, habitués aux premières pages des ouvrages historiques. Quand les grands pontes montrent le bout du nez (Georges Washington, ou de hauts gradés de l'armée américaine) c'est pour semer l'antipathie, et l'incompétence, au point que Seth en sort grandi, par son sens pratique, du devoir, son éducation rigide et taiseuse, mais bien plus efficace. De nombreux thèmes ou pistes sont mis en lumière : que sont vraiment les Etats-Unis (à l'époque treize états)? Laisser derrière soi femme et enfant à naître (même si Seth l'ignore lorsqu'il part), cela vaut vraiment d'être sacrifié sur l'autel d'un idéal d'union et de liberté, pour des "voisins" avec qui on partage si peu? Et la condition féminine, de Mercy, la femme au foyer qui se dresse comme un inébranlable rempart du quotidien qui perdure, quand la folie des hommes les mène sur le champ d'honneur, à Sarah Hull, qui contre toute attente se retrouve derrière le canon à Saratoga en 1777, mais qui sera profondément ignorée pour autant. Les destins des indiens, des noirs américains, sont aussi abordés dans ce splendide ouvrage, qui se lit comme une fresque douce-amère, les prémices de quelque chose de grand, qui inspirera le monde, mais qui ne naît pas pour autant dans un accouchement glorieux. Si les couvertures de Tula Lotay sont splendides et d'une richesse expressive évidente, applaudissons des deux mains le travail d'Andrea Mutti, aussi clair, précis, minutieux, que sale et organique, dans son dessin. C'est lui qui a surtout retenu mon attention de lecteur, et qui donne corps et âme aux premières luttes pour l'union et l'indépendance des États-Unis en gestation. Un comic-book profondément humain, voire salvateur, qui replace l'Amérique, la vraie, sans le masque arrogant du XX ° siècle, dans son statut de jeune nation fière de ses caractéristiques, mais qu'il faut régulièrement démythifier pour ne pas perdre de vue.
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