Au marché de la poésie 2018, le Québec était l’invité d’honneur : les éditions montréalaises Mémoire d’encrier avaient fait venir plusieurs de leurs plumes, et notamment Joséphine Bacon, poétesse innue née en 1947, que j’apprécie particulièrement. J’étais donc très heureux à Noël de recevoir un recueil d’une autre poétesse innue de la même maison, mais infiniment plus jeune puisqu’elle est née en 1991 : Natasha Kanapé Fontaine.
Le recueil suit un ordre parfaitement logique : telle Hécate, NKF est triple, recueillant dans ses vers émollients l’héritage douloureux partagé « de mère en fille » (p. 7) et qui doit aboutir au « moi » :
La poétesse entoure ses poèmes de shiuapui, l’eau des océans, car ils sont autant de « bouteilles » à la mer (p. 22-23) :
Les dents d’ours font partie de l’artisanat traditionnel des bijoux amérindiens : chez NKF, les dents sont l’image de la tradition, sans doute parce qu’elles se conservent le mieux après la mort : « Le lazuli de vos machoires est / Notre prédiction » (p. 26). Ecrire, c’est sans doute « Tenir l’avenir / Entre mes dents » (p. 36). Natasha Kanapé Fontaine, autrice et actrice, écrit (c’est la devise de son site internet) « Pour les ancêtres, pour les générations futures ». Les secondes ne sont pas ménagées, parce que les premiers ne l’ont pas été non plus, particulièrement les femmes, qui ne font jamais les guerres mais les subissent toujours : « Les grandes brûlées / N’ont rien à voir // Aux conflits / Des continents » (p. 104). Cette histoire est intime chez NKF, qui évoque entre autres la tragédie des pensionnats qu’aurait subie sa regrettée grand-mère, partie trop tôt, à l’âge de 59 ans.
Natasha Kanapé Fontaine, ©M.-F. Coallier Le DevoirVoir ailleurs : une passionnante entrevue écrite avec l’autrice dans Le Devoir ; une autre audio sur Radio Canada ; enfin une étude précise du recueil sur Les Méconnus.
Excellente année de lutte à toutes et à tous !
Natasha Kanapé Fontaine, Nanimissuat. Île-tonnerre, Mémoire d’encrier, 2018, 80 p., 17€.