Urban Indies publie l'une des meilleures séries actuelles, Black Hammer de Jeff Lemire et Dean Ormston, dans laquelle nous suivons d'anciens supers obligé·e·s de vivre dans une petite bourgade américaine depuis des années en se faisant passer pour une famille. Mais ce retour forcé à la vie normale est loin d'être facile à encaisser...
Suite à une crise multidimensionnelle sans précédente, un petit groupe de supers ont disparu de Spiral City. Tout ce petit monde vit maintenant enfermé dans une bourgade américaine éloignée de tout sous les traits d'une famille dysfonctionnelle chacun vivant la situation à sa manière.
Nous sommes des fans de comics et, en tant que tels, nous avons une perception de Black Hammer qui nous permet de voir plusieurs couches de lecture. Pourtant, cela n'est pas essentielle pour comprendre et apprécier la richesse de l'histoire de Lemire.
Celle-ci repose essentiellement sur des personnages bousillés par un événement qui les dépasse. Cet enfermement est incompréhensible devenant presque insupportable pour une grande majorité des personnages, surtout pour Gail condamnée à vivre dans un corps d'enfant alors qu'elle était une femme âgée dans le civil à Spiral City. En mettant ces personnages vivant cette situation de manière différente, Lemire cherche le conflit entre tout ce petit monde afin de faire ressortir leur côté humain.
Le côté super-héroïque de l'histoire n'est pas un habillage, il a un sens - j'en parlerai plus tard - mais il est surtout un élément narratif à part entière. D'abord, il est omniprésent puisque chaque épisode nous dévoile la vie de chaque protagoniste à Spiral City avant l'accident. Aussi, il permet de définir la personnalité de chaque membre de la famille. J'évoquais Grail plus haut, mais c'est aussi valable pour Colonel Weird et Barbalien, le premier ayant perdu la boule l'autre pour sa manière de se comporter comme un humain alors qu'il vient d'une autre planète.
Et c'est donc là que nous devons admettre que Jeff Lemire est un génie parce qu'il arrive à faire ce folklore un élément essentiel de son récit, guidant à la fois la direction que prennent les personnages face à la situation à laquelle ils sont confrontés, tout en nous racontant une histoire qui se tisse petit à petit en toile de fond de cet album mais, aussi, en rendant hommage aux comics, ci qui parlera au lectorat habitué mais n'handicapera pas les autres.
Chaque personnage est un archétype de super : nous avons Shazam, Martian Manhunter, Captain America, ou encore les personnages pulp de EC Comics. A partir du deuxième chapitre, chacun d'entre eux a le droit à sa propre histoire qui nous dévoile ses origines mais, aussi, comment il fait face à la situation actuelle. Il y a de vrais moments forts comme la romance de Abraham, le comportement de Gail, la manière maladroite - mais terriblement touchante - que Barbalien aborde les gens et comment il s'attache trop à elles...
Black Hammer est un titre qui a une direction très claire et qui s'y tient. Cela force le respect d'autant plus que le récit est très abordable, les dialogues très bien écrits et la situation passionnante à découvrir.
Les dessins de Dean Ormston ne plairont peut-être pas à tout le monde puisque l'approche graphique est très "indie", le dessinateur ne cherchant pas les visages ou les proportions parfaites. Il veut donner vie à ses personnages, il compose ses planches de manière harmonieuses, il sait enchaîner les cases et créer un flot de lecture agréable. Et puis, il y a de la richesse dans les décors et dans les designs des personnages. Le trait imparfait est largement compensé par tous ces éléments.
En plus, il est accompagné par le grand Dave Stewart aux couleurs qui apporte de la profondeur et qui s'amuse à jouer avec les palettes de couleur afin de différencier d'un seul coup d'oeil les scènes en flashback que celles dans le présent.