C'est bête à dire mais c'est la vérité vraie, je n'avais jamais lu Amos Oz et c'est parce qu'il vient de mourir que je m'intéresse à son cas aujourd'hui. La seule excuse à laquelle je me raccroche toujours dans ces cas-là, je ne peux pas tout lire et il faut faire des choix, l'important étant de réparer mes erreurs un jour ou l'autre. Car ce fut une erreur.
Jérusalem durant l'été 1947, vers la fin du mandat britannique sur la Palestine. Profi - surnom du narrateur - un gamin d'une douzaine d'années, joue avec ses deux copains Ben Hur et Chita Reznik, s'imaginant membres d'un réseau secret de la Résistance à l'occupation Britannique, rêvant d'actes de bravoure et d'héroïsme. Un matin, " Profi est un vil traître ! " est inscrit sur la porte de sa maison. Quarante-cinq ans plus tard, le gamin devenu écrivain (Amos Oz ?) reste marqué par l'incident et se souvient de cet été...
Le roman est particulièrement amusant car conté par un enfant interprétant des faits réels qu'il transpose par sa vision romantique ou romanesque nourrie des exploits des acteurs américains vus au cinéma. Oui, il y a bien des Britanniques occupant la Palestine et la Résistance existe (les parents de Profi rendent quelques menus service comme soigner un blessé ou cacher un paquet mystérieux) mais le gamin voulant participer, donne une dimension extravagante à ses projets (construire un missile à destination de l'Angleterre !). Et quand par hasard il croisera le chemin du sergent Dunlop, un bienveillant et lourdaud anglais, Profi exulte, s'imaginant lui tirer à son insu des secrets militaires, en fait le soldat cherche à apprendre l'hébreu et propose au gosse, un échange de connaissances, chacun apprenant sa langue à l'autre... D'où, le qualificatif de " traitre " quand ses copains l'apprennent.
Tous les personnages sont extrêmement sympathiques et Profi très cultivé pour son âge ; son père historien possède une extraordinaire bibliothèque, ce qui nous donne quelques pages à faire saliver de plaisir l'amoureux des livres (" ...d'épais et précieux ouvrages à l'admirable reliure de cuir... "). Roman initiatique, vaguement abordé avec sa jeune voisine Yardena qu'il entr'apercevra nue à peine une seconde lui causant un trouble mal identifié mais toujours présent quand il rédigera ce texte.
Au-delà de cet humour permanent ou de la drôlerie des situations, Amos Oz glisse quelques discrètes remarques sur la situation politique à l'époque (" En fait, il vaudrait mieux que nous nous entendions avec nos voisins arabes plutôt qu'avec les nations européennes. ") ou s'attarde sur la langue, par exemple la racine commune à de nombreux mots apparemment sans rapport entre eux, ou encore la pauvreté de l'anglais comparé à l'hébreu au vocabulaire bien plus riche. Ces diverses réflexions amenant à reconsidérer le regard porté par les peuples les uns sur les autres : trahison ou réhabilitation ? Amos ose mettre le doigt là où ça fait mal.
" Certains espéraient que les forces armées du monde civilisé viendraient nous protéger du danger d'extermination que représentaient les Arabes assoiffés de sang. (Chez nous, chaque nation avait un qualificatif convenu, un peu comme un prénom suivi du patronyme : la perfide Albion, l'immonde Allemagne, la lointaine Chine, la Russie soviétique et la riche Amérique. Plus bas sur la côte, se trouvait l'effervescente Tel-Aviv. Au loin, en Galilée, dans les vallées, c'était la laborieuse Terre d'Israël. Les Arabes étaient assoiffés de sang. On appelait le reste du monde de diverses façons, en fonction de l'air du temps : civilisé, libre, vaste, hypocrite. On disait parfois : le monde qui savait et n'a rien dit. Ou encore : le monde ne laissera pas passer ça sans rien dire.) "
Traduit de l'hébreu par Sylvie Cohen