19 nouvelles, je pourrais bien sûr vous faire un bref résumé de chacune, vous présenter les personnages autour desquelles elles se construisent, mais cela aurait quelque chose de fastidieux, je pense, aussi entrons directement dans le vif du sujet et intéressons-nous plutôt aux thématiques qui sont présentes, voire omniprésentes dans "La lumière est à moi".
Et, au premier chef, il y a l'enfance, forcément. On est chez Gilles Paris, auteur, entre autres de "Au pays des kangourous", "L'été des lucioles" ou "le Vertige des falaises", autant de romans dans lesquels l'enfance tiens une place particulière. Centrale, même. Retrouver l'enfance comme dénominateur commun de ces nouvelles est finalement très logique.
Pourtant, ce sont bien des adultes qui nous accueillent, dans les deux premières nouvelles, "Les pins parasols". Un seul titre pour deux textes, parce que deux points de vue, comme les deux faces d'une médaille. Deux adultes, oui, bien sûr, Brune et Anton, mais dont les existences, on va le comprendre, n'ont peut-être pas suivi le cours souhaité alors qu'ils n'étaient encore que des ados.
L'enfance... Là où tant de choses se décident, où l'être se façonne, où son éducation le conditionne, où l'on ne maîtrise pas tout pour autant, en particulier les comportements des adultes, et de ses parents au premier chef. L'enfance... Période où l'être en devenir est une éponge qui absorbe tant de choses, où il est malléable, mais peut également découvrir les premières velléités de révolte.
Les jeunes gens que l'on découvre au fil des textes composant ce recueil n'ont pas grandi forcément dans les conditions les plus favorables qui soient : des ruptures, des divorces, des absences... Mais aussi, pour certains, des conditions économiques, sociales et même géographiques pas parfaites (et quelques fois trompeuse, la misère n'étant pas plus supportable au soleil) très modestes.
Il n'y a pas de cas extrêmes, non, mais des déséquilibres, parfois discrets, toujours subtils, que les personnages doivent supporter, qui pèsent sur leurs épaules et dont ils ne peuvent se décharger. Le plus fréquent, et c'est très réaliste, c'est l'absence d'un parent, soit parce qu'il est parti, soit parce qu'il est mort, dans les deux cas, un deuil insupportable pour un jeune être humain...
C'est comme une boiterie, comme un handicap, non pas physique, mais psychologique, social. Une défaut dans la cuirasse, une cicatrice qui ne disparaîtra jamais, une douleur fantôme, comme lorsqu'on ampute un membre. Quels que soient les moments, les tranches de vie auxquels on assiste, ne vous fiez pas aux apparences, derrière, il y a ce sentiments si prégnant.
Mais, et c'est l'autre aspect fort de ce recueil, les instants choisis par l'auteur, ces quelques minutes, ces quelques jours ne sont en rien l'exposition de ces maux. Non, il s'agit du point de bascule, lorsque l'occasion de se libérer, de s'émanciper va se présenter, enfin ! Qu'il s'agisse d'un choix personnel, d'une décision réfléchie ou d'un événement extérieur, l'heure de reprendre les rênes est venue.
L'occasion de tourner la page, de laisser derrière soi cette douleur lancinante, handicapante, et de passer à autre chose. Le moment de quitter l'enfance, comme le papillon s'extirpe de sa chrysalide, d'entrer dans une nouvelle phase de l'existence, l'âge adulte, pas toujours, ou alors symboliquement, en tout cas, une période où l'on aura la direction de sa propre vie.
Je vais un peu trop vite aux conclusions, car tous les personnages ne sont pas logés à la même enseigne : la situation de certains peut trouver une solution, à d'autres, il ne reste que la fuite, l'évasion (parasomnie, musique, natation...), en espérant des jours meilleurs ou que cette vie rêvée effacera les imperfections...
Quoi qu'il en soit, voilà ce qui m'a frappé à la lecture de ces nouvelles : la description d'un moment décisif, où le jeune (et parfois moins jeune) personnage s'affirme, prend un cap qu'il a lui-même définit ou découvre une information qui abat les secrets, les non-dits, renoue les fils rompus des destins. Et émerge de l'ombre pour entrer dans la lumière.
"La lumière est à moi" est un recueil fondamentalement optimiste, car même s'il ne faut pas préjuger de ce qui arrivera aux personnages, filles comme garçons, indifféremment, une fois qu'on les aura quittés, il est clair que leur existence ne sera plus jamais la même après ça. Et qu'ils seront plus libres, sans doute plus heureux, et indépendants.
L'autre aspect marquant de ce recueil, faisant écho aux précédents livres de Gilles Paris, c'est l'insularité, la présence de la mer. Je l'ai dit plus haut, on voyage beaucoup au gré de ces nouvelles, on s'installe, à plusieurs reprises, dans les îles Eoliennes, avec en fond la figure presque tutélaire du Stromboli, des paysages magnifiques, et la Méditerranée qui brille sous le soleil.
Mais, Nice et l'île Maurice servent aussi de cadres à un texte chacune, les pins parasols, qui deviennent les titres des deux premières nouvelles donnent un indice géographique... Bref, la plupart des textes sont placés sous le sceau, si ce n'est de l'été, du moins d'un soleil arrogant et tenace, qui réchauffe et illumine, qui éblouit aussi.
Ce n'est pas systématique, j'ai évoqué la nouvelle intitulée "Veille de Noël", dans laquelle j'ai pris le titre de ce billet, ou encore "Danser dans les rues", qui nous emmène à Nice et qui est une nouvelle nocturne... Deux exemples intéressants, d'ailleurs, car ces nouvelles-là appartiennent à des registres sensiblement différents, l'une avec un côté fantastique, l'autre très musicale et cinématographique.
Oui, n'imaginez pas que cette petite vingtaine de textes est uniforme. Oh, bien sûr, on peut jouer sur la narration, les points de vue,le décor, l'âge des personnages, le contexte familial pour apporter de la variété et ne pas lasser, mais Gilles Paris s'offre aussi quelques exercices de styles tout à fait intéressants, sans pour autant jamais perdre de vue ses thèmes favoris.
"Danser dans les rues"... Je pense qu'elle marquera les esprits, celle-là. Y compris son auteur, qui conclue l'ouvrage en rappelant ce titre à ses lecteurs, comme un conseil, une sorte de règle à suivre pour s'évader d'un quotidien souvent trop empesé. Elle marquera parce qu'elle est très belle, enivrante, légère... Et surtout musicale.
Voilà une particularité. Je ne me souvenais pas que Gilles Paris ait beaucoup utilisé la musique dans ses livres, en tout cas pas pour leur donner un véritable rôle. Cette nouvelle bénéficie d'une play-list remarquable, avec un "mood", pardon pour l'invasion des anglicismes, qui n'est pas anodin (pas plus que les titres et les textes, d'ailleurs).
En la lisant, entre nuit, lumière et musique, entre voiture et marche à pied, entre intériorisation et dialogue intérieur, je me suis dit qu'un Gus Van Sandt pourrait en tirer un superbe court-métrage, en suivant le jeune personnage central dans une errance qui n'en est pas vraiment une, dans son évasion éphémère où la danse étourdit et fait entrer dans un monde différent, plus hospitalier...
J'aime beaucoup le titre choisi pour ce recueil : "La lumière est à moi". Vous découvrirez son origine dans la nouvelle éponyme, qui est d'ailleurs la dernière du recueil, à travers le personnage d'une jeune fille en souffrance... Et elle n'est pas la seule à souffrir dans ce texte, où la douleur pourrait être létale... A moins que...
Ces quatre mots, "La lumière est à moi", expriment parfaitement ce que ressentent les personnages centraux des différents textes qui le composent, comme s'ils quittaient les heures sombres pour d'autres, pleine d'une revigorante clarté, brandissaient un flambeau pour éloigner les ténèbres envahissantes.
Mais, outre la phrase mise en tête de ce billet, d'autres mots sont aussi très forts, très symboliques de la bascule qui s'opère dans ces textes, certains définitivement, d'autres de façon plus onirique, hypothétique... Comme ce garçon de 10 ans, atteint de parasomnie, expliquant que le "monde tourne autour de [lui] et [lui] donne le vertige", d'une part.
Et, d'autre part, cette jeune fille qui a grandi au pied du grand, de l'impressionnant Stromboli, vivant une existence qui n'est pas la sienne, elle en a conscience, jusqu'à ce que... Jusqu'à ce que les événements la libèrent enfin de cette espèce de purgatoire aux allures de paradis... "La vie, enfin, commençait", dit-elle, en conclusion de son histoire. Pas un point final, une simple virgule...
Allez à la rencontre de ces filles et de ces garçons dont les histoires vous toucheront, dont les douleurs vous émouvront, dont vous aurez envie de partager les espoirs et les rêves. Les vies fissurées, parfois brisées, dont ils voudraient rassembler et recoller les morceaux. Dont les trajectoires sinueuses pourraient retrouver une certaine rectitude et le coeur, un peu de légèreté.
19 nouvelles en même pas 200 pages, ce sont donc des textes courts que Gilles Paris vous offre et qu'on peut, au choix, lire d'une traite ou picorer, l'une après l'autre, entre deux lectures, ou le soir avant de se coucher et d'éteindre la lumière. Celle qu'émet la lampe sur votre table de chevet, mais pas la lueur inextinguible qui brille au coeur des personnages fragiles de ce livre.
(Chanson citée en exergue de "les Pétales jaunes de Panarea", nouvelle dédiée à Vanessa Paradis).