Angelus · En attendant le printemps
Par Marie-Claude Rioux
Je ne pouvais passer sous silence ces deux lectures faites en décembre dernier: un fabuleux recueil de nouvelles qui, pour faire changement des Amériques, se passe en Australie, et un mauvais roman dont je me serais bien passée.
La découverte de Balistique, de D. W. Wilson, a été une révélation. La parution de son recueil de nouvelles, La souplesse des os, et la rencontre de l’auteur au festival America, ont enfoncé le clou. Je voue une admiration sans borne pour D. W. Wilson. Heureux hasard, je tombe sur ce bout d’entretien:La souplesse des os est une sorte de cousin d’Angélus, qui est un recueil de nouvelles interconnectées situées sur la côte Ouest de l’Australie. Les personnages principaux sont un flic et son fils – le père de Winton avait été policier. C’était bizarre. Je me suis dit: « Oh, c’est comme ça qu’on peut faire. »
Il n’en fallait pas plus pour que je me garoche les yeux fermés sur cet Angélus dont j’ignorais tout. Et là... nouvelle révélation! La parenté littéraire entre les deux auteurs est incontestable.Les dix-septnouvelles du recueil sont ancrées à Angelus, une petite ville côtière fictive située en Australie occidentale. La finesse avec laquelle ces nouvelles sont harmonieusement assorties frappe. Vic Lang traverse ce recueil, directement ou indirectement.La puissance de ces nouvelles s’explique par leur densité et leur construction impeccable. Les allers-retours entre le passé et le présent éclairent la vie des personnages, créant un tout uniforme. Ce n’est pas la description d’événements dramatiques qui intéresse Tim Winton, mais les répercussions qu’ils entraînent et la façon dont ses personnages parviennent ou non à se sortir la tête hors de l’eau. «Commission», la nouvelle qui m’a le plus bouleversée, met en scène Vic et sa mère mourante. Sur son lit de mort, Carol demande à son fils de retrouver son père qu’il n’a pas vu depuis plus de vingt ans. Tim Winton raconte des vies et leurs trajectoires avec la verve d’un conteur et la précision d’un horloger. L’échec des relations (familiales, conjugales), l’amour, la solitude, la mort, la soif de liberté servent de toile de fond à ces nouvelles poignantes. Ces histoires de vie qui s’entrechoquent et se complètent m’ont jetée à terre. Tim Winton, au même titre que D. W. Wilson, font partie de ces auteurs que je suivrai les yeux fermés.Angelus, Tim Winton, trad. Nadine Gassie, Rivages poche, 400 pages, 2009.★★★★★Un film a été réalisé à partir des nouvelles de Tim Winton. Me v’la bien curieuse d’y jeter un oeil.
Les cousins Rick Overlooking Horse et You Choose Watson sont élevés par leur grand-mère dans la réserve de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud, jusqu’à ce qu’ils soient envoyés dans un pensionnat en Oklahoma. Le tempérament des deux cousins ne pourrait pas être plus différent. L’un est taiseux et calme, l’autre bavard et bouillonnant. Leur chemin se séparent quand Rick part au Vietnam. Gravement brûlé, il rentre au bercail et part vivre à l’écart de la réserve. Refusant sa pension militaire, il gagne son pain en vendant des médicaments à base de plantes. Il se retrouve avec des jumeaux sur les bras, les élèvera jusqu’à ce qu’ils volent de leurs propres ailes. You Choose, lui, évite le service militaire. Il devient président tribal pendant que l’American Indian Movement culmine. Il pige dans les fonds tribaux, est pris la main dans le sac et est envoyé en prison où il passera plusieurs années. À sa sortie de prison, il s’enfonce dans un puits sans fond.La lecture de ce roman m’a profondément agacée. Les chapitres sont brefs, souvent moins de trois pages, chacun chapeauté d’un titre de circonstance. Ça, c’est plutôt bien. Le ton est décalé et souvent empreint d’humour. Ça change. Par contre... le fil narratif étant presque invisible, j’ai eu l’impression de lire une enfilade d’anecdotes. L’ensemble manque cruellement de profondeur, les personnages sont unidimensionnels et fortement stéréotypés. J’ai trouvé la fin forcée, comme si l’auteure avait manqué de jus. Mais le pire, c’est l’impression que j’ai eu que ce roman servait de prétexte pour faire passer un message éculé: les méchants Blancs et les pauvres Amérindiens ne pourront jamais s’entendre. Un peu plus de nuance aurait été bienvenue. Le fait qu’aucune goutte de sang indien ne coule dans les veines d’Alexandra Fuller n’aide pas la cause! Je vais dorénavant me méfier des tipis sur les couvertures de livres.En attendant le printemps, Alexandra Fuller, trad. Anne Rabinovitch, Éditions des deux terres, 224 pages, 2018.★★★★★