Une maternité rouge (Christian Lax – Editions Futuropolis)
Il y a des rencontres qui changent une vie. Au Mali, un chasseur de miel prénommé Alou se retrouve un jour confronté à des djihadistes armés jusqu’aux dents. Il croit sa dernière heure venue. Mais en réalité, ce n’est pas cette rencontre-là qui va infléchir le destin du jeune Malien. Lorsque les terroristes font exploser le baobab sacré dans lequel se trouvait un essaim d’abeilles, Alou retrouve une statuette au milieu des débris de l’arbre. C’est une oeuvre d’art magnifique, qui représente une femme enceinte. Intrigué par cette découverte, Alou décide d’aller montrer la statuette en bois au sage d’un village voisin. Celui-ci reconnaît immédiatement cette « maternité rouge », car c’est lui qui l’a cachée dans le baobab quand il était enfant, afin qu’elle ne tombe pas aux mains des Français. Pour lui, c’est certain: il s’agit d’une oeuvre d’art qui date du quatorzième siècle et qui a été réalisée par le « Maître de Tintam », un sculpteur du plateau Dogon. Comment le vieil homme le sait-il? Tout simplement parce qu’il a déjà vu une « maternité rouge » tout à fait semblable au musée du Louvre à Paris dans les années 60, à l’époque où il étudiait l’histoire de l’art dans la capitale française. Afin d’éviter que la statuette ne soit détruite au Mali, le vieil homme charge Alou d’une mission insensée, qui va à l’encontre de ce qu’il avait voulu faire en cachant la statuette lorsqu’il était enfant. Il lui demande en effet d’amener la « maternité rouge » jusqu’à Paris et de la confier aux responsables du Louvre. Pour accomplir cette mission, Alou se lance dans un périple de tous les dangers, se retrouvant au milieu des autres migrants qui cherchent à rejoindre l’Europe…
Le sort tragique des migrants qui prennent tous les risques pour aller de l’Afrique vers l’Europe est, hélas, au coeur de l’actualité. Dans « Une maternité rouge », l’auteur français Christian Lax nous fait vivre ce drame des migrants de l’intérieur. Ses planches révèlent de manière extrêmement dure à quel point leur périple est dangereux. Elles montrent aussi comment ceux qui arrivent finalement jusque dans nos pays sont souvent mal accueillis, voire même rejetés. Mais « Une maternité rouge » va bien au-delà d’un simple récit sur la migration. La BD de Christian Lax, co-éditée par Futuropolis et le musée du Louvre, ajoute une dimension supplémentaire à ce récit, en posant la même question que George Clooney dans son film « Monuments Men »: l’art est-il plus précieux qu’une vie humaine? Contrairement à ses frères et soeurs d’infortune, Alou ne cherche pas à rejoindre l’Europe pour fuir la misère ou la guerre, mais pour sauver une oeuvre d’art inestimable des griffes des djihadistes. Véritablement habité par cette mission, le jeune homme est prêt à tous les sacrifices pour s’assurer que la précieuse statuette ne sera pas détruite. Rien ne le dévie de sa route. Même lorsqu’une jeune femme est agressée sous ses yeux, il préfère ne pas intervenir, histoire de ne pas mettre en danger la « maternité rouge ». A-t-il raison ou bien tort? Pour Christian Lax, « préserver nos patrimoines culturels, sociaux, artistiques, c’est conserver les traces des générations précédentes. C’est entretenir la mémoire de nos origines, savoir d’où l’on vient et de qui l’on vient, autant de connaissances indispensables qui nous permettent d’envisager où l’on va ». En attendant, sa BD est beaucoup plus nuancée sur la question et laisse un goût doux-amer en bouche lorsqu’on se rend compte que les oeuvres d’art sont souvent mieux traitées que les êtres humains. Un livre interpellant, dans le bon sens du terme.