Editions: El Kalima (2017 )
Collection: Littérature d'Algérie et du Maghreb
Quand Pôv'Cheveu tombe dans la soupe d'une élégante dame, il est chassé comme un moins que rien du restaurant chic où travaille so n propriétaire. Commence alors une longue série de déambulations dans la capitale française, avec d'autres Cheveux déchus. A travers les récits de ces personnages capillaires, le lecteur découvre les destins croisés d'une multitude de personnages humains hauts en couleur. Constamment traqués et maltraités, ils parlent pour des millions de " damnés de la terre ". Un peu décalé, parfois déroutant, le roman décrit d'une manière à la fois satirique et touchante, mais surtout originale, la complexité d'une condition humaine qui oscille entre Bien et Mal, entre espoir et désillusions.
J'ouvre ma chronique avec un éloge : Cette auteure est juste GÉNIALE et c'est peu de le dire!!!
C'est ma première lecture de l'année et dès que j'ai fermé le livre, j'ai crié aux amis: c'est mon premier coup de coeur 2019. Vous allez comprendre pourquoi.
Décrivons d'abord le "look" du livre :
La couverture paraît tristounette. Un fond gris. je n'aime pas le gris. Heureusement que nous avons ces cheveux en pétard qui donnent un peu de vie au livre.
La graphie du titre aurait pu être plus en rapport avec le thème. Ils aurait pu choisir une police "comique".
Passons à l'histoire maintenant!
Le titre avec son "Pôv'cheveux" a cassé la barrière que je dresse souvent entre un auteur découvert et moi. J'ai tout de suite deviné qu'une expression pareille cachait une Lynda Chouiten agréable et accessible. Et me voilà fouineuse à la "pister" sur les réseaux. Après un commentaire timide, elle me répond avec enthousiasme. Mon intuition ne me trompe jamais.
A la page 9 , je croise un poème de Lounis Ait-Menguellet ; une bonne mise en bouche avant d'attaquer l'entrée:
L'entrée est un avertissement écrit par Michel et Jean-Yves Chauve. C'est un délice préparé avec les ingrédients de l'humour et de la métaphore.
Insatiable, je cours vers le plat de résistance divisé en trois parties appelées "livres". A la porte du premier livre, je fais une pause pour prononcer le "Ikhf-Outoudert", à la deuxième je bute sur le nom " l'Histoire d'Anzadh" et enfin "Rencontres".
Chaque livre se compose de petits chapitres ayant un titre qui mettait l'eau à la bouche à la lectrice-curieuse que je suis.
[Pourquoi je raconte tout ça ? Parce que je suis une fille organisée : Je divise mon livre en parties pour le dévorer tranquillement. Je colle des stickers à chaque chapitre pour mieux me situer.]
J'éclate de rire dès les premières pages et prenez-le au sens propre. Imaginer un cheveu me parler! C'est juste incroyable.
Du résumé, j'avais compris que nos protagonistes ne sont pas tous des humains mais je ne m'attendais pas à lire des réflexions à me faire rire malgré le poids de leur sens.
Le cheveu qui ouvre l'histoire et les autres qui viendront après lui, ne sont pas des humoristes. Bien au contraire! Les répliques sont sérieuses voire mélancoliques, quand on comprend ce que l'auteure veut transmettre.
Les cheveux-narrateurs relatent leur quotidien et surtout leur souffrance: maltraitance, poux, produits chimiques, passage chez le coiffeur, ... [A vous de capter le sens de ces railleries]
Le livre transpose une réalité que nous vivons tous. Les cheveux reflètent dans un miroir satirique les dessous d'une société et ses non-dits.
Le racisme, l'hypocrisie, les manipulations que nous subissons tous - directement ou indirectement- sont exprimés par les cheveux et illustrés par les personnages humains du livre :
*Outoudert, un jeune homme perdu, qui enchaîne les mauvais choix dans son pays d'origine ou en France.
*La condition féminine se tisse à travers trois personnages féminins : Taous , celle qu'on force à se marier et à se voiler; Fouzia la vile ambitieuse et Louisa la douce, la perdue.
L'auteure révèle ingénieusement les maux sociaux et abordent des sujets qui piquent avec humour et philosophie.
Les cheveux sont la communauté dominante dans ce roman. C'est à travers plusieurs "tifs" qui se croisent et se séparent,.. qui évoluent au fil de la lecture... que nous allons plonger dans une sorte d'analyse du comportement humain. Ils sont tantôt le Bien parfois le Mal.
Le roman des Pôv'cheveux est aussi une belle histoire d'amitié. Relation affectueuse entre cheveux qui partagent une seule douleur et vivent la même affliction. L'épilogue du livre est un hommage à cette amitié; j'ai été très touchée par les propos du Vieux Méchieur.
Je me retiens pour ne pas tout raconter. Je vous invite à lire ce livre parce qu'au-delà de l'humour, du sarcasme, de la philosophie, ... une plume créative fait son entrée et on se doit de bien l'accueillir.
P.S Il y a eu aussi des clins d'oeil littéraires et j'ai relevé : Kafka (La Métaorphose) , Steinbeck (dans un titre de chapitre qui rappelle Des souris et des hommes) et Fanon (Les damnés de la terre)
Un merveilleux récit allégorique.
Une écriture accessible de par sa forme mais nécessite une lecture entre les lignes.
Une plume intelligente et très prometteuse.
Je ne donne plus le 5/5 pour un livre mais Lynda Chouiten a mérité la médaille "COUP DE COEUR" qui dépasse toute forme numérale.
"Il se disait que comme Taous n'aimait pas les cheveux frisés, elle qui avait les cheveux soyeux - Eh bien , il fallait pas qu'il ait des cheveux frisés."
"Outoudert y trouvait son compte. N'est-ce pas plus facile[...] de se débarrasser de cette population que d'avoir à s'en occuper quotidiennement?"
"Les chauves sont encore plus redoutables que les Crânes rasés, puisqu'ils se contentent pas de mutiler leur chevelure; puisqu'ils l'exterminent pour de bon."
"Outoudert et les siens leur avaient fait la guerre, et il semblait inévitable que des Ikhfois meurent pour se débarrasser de ces hôtes indésirables. Je peux comprendre que la population meure pour ça."
"Il n y a pas pire ennemi pour un cheveu qu'in chauve"
"Outoudert y trouvait son compte. N'est-ce pas plus facile[...] de se débarrasser de cette population que d'avoir à s'en occuper quotidiennement?"
"Combien de brosses, de gels, de crèmes et d'autres ruses il faut quotidiennement s'ingénier à trouver pour les calmer et les empêcher qu'ils se hérissent? Et Outoudert a intérêt à ce que nous restions disciplinés."
"Du temps où j'étais encore un "Pôv'cheveux" fier et révolté, du temps d'Ikhf, je veux dire, une nouvelle pareille m'aurait sûrement horripilé. Mais apparemment, toutes les épreuves que j'ai traversées et que je traverse encore sont en train de me rendre indifférent à tout."..
"C'est là, murmurent les habitants de la Capitale Dite Blanche, que se concluent les plus grosses affaires du pays que se négocie le sort des entreprises et celui des individus; c'est là qu'on décide qui des "suicidés" et des "morts par accident" sera glorifié en héros ou déclaré traître et comploteur."
"Tu l'imagines, avec des cheveux qui refusent de faire bonne figure devant le monde?Au moins quand ils sentent les Ciseaux s'approcher, ils se tiennent bien tranquilles, les Cheveux!"
Enseignante de littérature anglophone à l'université de Boumerdès. Publiée en Algérie, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, elle est l'auteure de plusieurs ouvrages portant sur la critique littéraire.