Jane, universitaire New-Yorkaise, trouve un manuscrit devant sa porte un matin. Ce manuscrit raconte sa vie, avec un certain luxe de détails personnels qu’elle croyait être la seule à connaître. Qui lui a envoyé ce texte ? Chaque personnage du manuscrit devient un suspect.
« Le problème avec Jane… » : il n’est personne qui n’ait une idée très précise de ce dont il s’agit. Josh : « le problème avec toi, c’est que tu n’aimes pas ton corps » (p. 44). Son mari : « Le problème avec toi, c’est ton inconscient : c’est là qu’est ta méchanceté » (p. 293). Chip : « Le problème avec toi, je suppose, c’est que tu protèges et que tu retiens » (p. 356). Eric : « Il n’y avait aucun problème, avait décrété Eric, sauf dans la tête de Jane » (p. 221). Le problème avec Jane, c’est qu’on lui trouve des problèmes, alors qu’elle est une femme absolument normale, dans un monde universitaire ludique, plein de défauts humains et amusants.
La critique littéraire aussi se pose des questions qui n’ont pas lieu d’être. A la fin du roman, Jane relit et corrige le manuscrit de sa vie, avant de le faire paraître sous le titre Le problème avec Jane. « Les critiques, dans l’ensemble, furent favorables. L’article préféré de Jane concluait que le seul problème avec Le problème avec Jane, c’était que la sensibilité toute féminine de l’auteur contredisait les prémisses de l’intrigue : on ne pouvait croire un seul instant que le livre avait été écrit par un homme » (p. 458).
Somme toute, Jane est à l’image de la création littéraire selon Catherine Cusset : quelqu’un de simple, mais à qui la bêtise de l’intelligence trouve des problèmes qui n’existent pas. Dans un entretien avec Xavier Houssin, C. Cusset résumait ainsi sa conception de la littérature et son rapport au « moi » : « J’entends bien ce discours sur l’autofiction, mais pour moi il y a de bons et de mauvais livres. Il y a des romans qui parlent du monde entier et qui sont des livres nuls, il y en a qui parlent du monde entier et qui sont des livres excellents ; il y en a qui parlent du « moi » qui sont de bons livres, et il y a des romans du « je » qui sont de mauvais livres. Et c’est tout. » Circulez !
Lire Catherine Cusset, c’est se donner l’illusion, fugace quoique bien défendue par l’autrice, que tout est simple et que les questions qu’on se pose sont dangereuses et fausses. Libérée et libérale, connue par des titres légers accrocheurs comme Jouir (1997) ou Confessions d’une radine (2003), autrice d’une thèse sur Sade et d’un essai sur les libertins (Les Romanciers du plaisir), Catherine Cusset est peut-être la dernière écrivaine heureuse.
D’autres avis de la blogosphère : La Marée des mots, Ellettres, Pause Earl Grey, Pasion de la lectura, Les Livres de George bien sûr, et Littécritiques.
Catherine Cusset, Le problème avec Jane, Gallimard, 2018 [2001], 464 p., 8€.