C'est portée par une émotion profonde que je vais tenter de vous parler du roman d'Alain Gillot qui paraît aujourd'hui aux éditions Flammarion, S'inventer une île. Une fois n'est pas coutume, je vais commencer par vous donner la quatrième de couverture :
Alors qu'il est sur un chantier en Chine, Dani apprend que son fils, Tom, 7 ans, s'est noyé. Il rentre précipitamment pour rejoindre Nora, sa femme, et s'occuper des formalités. Mais il traverse cette nouvelle réalité en étranger. Son chagrin ne trouve pas sa place, tout comme ses regrets, ceux de s'être si souvent absenté de chez lui. Quel père aura-t-il été en fin de compte ? C'est alors qu'il lui apparaît, son fils, tel un petit fantôme de chair et d'os, et qu'il lui parle. Dani résiste un temps à sa présence aussi magique qu'inexplicable, puis l'accepte. Ensemble, ils partent pour Belle-Île, s'inventer un endroit à eux, leur île, où Dani retrouvera des forces, pour apprendre à vivre d'une autre manière, plus essentielle.Sujet douloureux, sensible et universel qui m'a évidemment rappelé ma dernière lecture Une longue impatience de Gaëlle Josse. Et pourtant, le deuil de l'enfant est traité de façon complètement différente. A la poésie envoûtante de Gaëlle Josse a succédé une prose plus abrupte, peut-être un peu sèche mais qui m'a pourtant semblé juste, mimant assez finement la sècheresse intérieure de ce père dépossédé de ce qu'il avait de plus cher.
Pour Nora et Dani, aucun espoir. Leur fils est bien mort et c'est avec cette cruelle réalité qu'il leur faut vivre. Dès lors, une question me taraude : est-ce tout simplement possible ? Comment vivre ? Pourquoi vivre quand on a perdu son seul enfant ? Parce que c'est là le plus dur : après l'effondrement, les accusations, la culpabilité, les formalités, comment occuper cet infini soudainement empli de néant ? Les rires, les caprices, les colères qui rendent fous chacun d'entre nous par moments sont le sel de l'existence parce qu'ils sont les signes de l'Amour, de la vie, de l'enfant qui, de bébé complètement dépendant de ses parents tend à devenir un adulte...quand on lui en laisse le temps. On peut évidemment vivre sans avoir d'enfants, mais le peut-on encore quand on n'en a plus ? On peut se nourrir, travailler, dormir (et encore !), marcher, parler, mais est-ce encore de la vie ?
Bien sûr, ce roman n'est pas réaliste, et n'a pas vocation à l'être selon moi, mais il symbolise tellement de choses. On pourrait se contenter de cataloguer Dani comme un fou qui perd complètement contact avec la réalité après la mort de son fils. Mais, je m'interroge. Où commence la folie ? Est-ce de croire que l'on peut encore se racheter, est-ce d'imaginer un monde dans lequel tout serait encore possible, d'essayer, plus que tout au monde, de retrouver par l'imaginaire un peu de ces joies simples mais si précieuses ? Ne serait-ce pas plutôt de croire que l'on peut continuer sans ? Qui est le plus fou ? Celui qui sait que toute tentative de vivre avec ce deuil innommable est vaine et tente alors de vivre autrement ? Ou celui qui essaie quand même, avec un acharnement terrible, à faire ce qui est désespérément inutile ? Fuite en avant, fuite dans le vide ou fuite du réel, finalement, y a-t-il grande différence ?
La douleur enferme, c'est certain. L'hôpital psychiatrique, l'île, la folie ne sont que des déclinaisons de cette réalité. La fin de ce roman n'est pas idéaliste : si la dernière image est celle de ce couple voguant sur l'eau, elle est aussi celle d'un homme qui garde un pied sur chaque rive. La réalité et...l'autre réalité !
" La marbrerie, le cimetière, et maintenant ma belle-mère. Cette forme de réalité était pour moi la vraie fiction. Un monde oscillant entre grotesque et tragique. [...] Cet aspect du réel était fantastique. Au sens effrayant du terme "
Le fantastique, c'est le doute, l'hésitation permanente : est-ce surnaturel ? est-ce réel ? Cela s'est-il produit ? Est-ce une simple hallucination ? De quoi parle-t-on alors ? Du petit fantôme de Tom qui apparaît dans le monde de son père ? Ou de la mort de ce petit garçon de sept ans ?
Je l'avoue, j'ai senti les larmes monter à plusieurs reprises durant ma lecture. C'est sûrement dû au transfert que l'on peut aisément faire dès lors que l'on des enfants. Alors oui, ce roman aurait pu être plus bouleversant avec davantage d'implicite et de poésie, mais en ce qui concerne, il m'a déjà beaucoup touchée en l'état. Il invite en outre à savourer la vie, à ne pas oublier l'essentiel, perdus que nous sommes dans nos existences capitalistes à 100 à l'heure. Le message n'est pas d'une grande originalité, il n'en demeure pas moins vrai !
Je remercie Charlotte Ajame des éditions Flammarion de m'avoir fait découvrir cet émouvant roman.
Priscilla (@Priss0904, @litterapriscilla)