"Le point commun de nos rencontres, c'est l'alcool ou un mec ou les deux. Inutile de faire l'article sur les meufs que je fréquentais à l'époque, mais disons qu'avant de rencontrer la Meute, j'étais entourée d'une belle brochette de connasses".

A l'heure où l'on découvre l'existence de "boys'clubs", rassemblement de jeunes mecs utilisant leurs forces vives pour pourrir la vie de leur prochain (surtout quand c'est une prochaine, d'ailleurs), sort un roman qui est l'absolue antithèse de tout cela. Certaines, certains trouveront peut-être ce lancement un peu tiré par les cheveux, et pourtant, j'assume, notre roman du soir est une forme de réponses à ceux qui pensent qu'ils sont nés pour dominer. "La Meute" est le premier roman de la journaliste Sarah Koskievic (en grand format aux éditions Plon) et sous ses airs fort légers, porté par la devise "sexe, drogue et rock'n'roll", on découvre un roman bien plus fort, bien plus profond qui devrait vous mettre une bonne claque au passage. Les meufs de la Meute sont déjantées, attachantes autant qu'énervantes, fusionnelles, mais capables de faire des étincelles quand elles se fritent, pleines de cicatrices sous leur allure bravache et poussées par une joie teintée de désespoir...
Ce matin-là, Olivia a rendez-vous à Roissy, où elle doit retrouver sa copine Elly, pour accueillir une revenante : cela fait un an qu'Isadora a quitté Paris pour New York, où elle a entamé une carrière d'actrice. Oh, pas encore une carrière de star, mais ses copines et elle sont persuadées que ça viendra, et vite. Elle a tout d'une star !
A elles trois, elles représentent une bonne moitié de ce groupe qu'elles ont formé quelques années auparavant, un groupe de meufs, comme elles disent, et qu'elles ont sobrement baptisé la Meute. Inséparables, toujours là pour faire la fête, se saouler, draguer des mecs, mais aussi quand ça va moins bien et qu'il faut se remonter le moral et regarder l'avenir, ce sont des BFF.
Les autres s'appellent Louise, la plus âgée de la Meute, fringante quinquagénaire qui pourrait rappeler Kim Cattral dans "Sex and the City", Rosalie et Romane, la plus jeune de la bande et aussi la dernière à l'avoir intégrée. Six femmes indissociables depuis un bon moment maintenant qui entendent bien profiter à fond de ces retrouvailles.
Car, on a beau former une meute, être des amies plus proches que les membres d'une famille, tout n'est pas simple et force est de constater qu'elles se sont un peu éloignées les unes des autres. Pas nécessairement par choix, mais parce que c'est la vie. Alors, ce jour-là, elles comptent bien faire revivre la Meute et faire profiter à tout Paris de leurs hurlements !
"La Meute", ce n'est toutefois pas juste le récit de cette journée mémorable qui s'annonce, de ces retrouvailles qui s'annoncent joyeuses, mais pas forcément idylliques. En parallèle, ce sont cinq années qui vont être retracées, justement depuis la rencontre inattendue avec Romane, afin de nous expliquer pourquoi les liens si étroits qui les unissaient ont fini par se distendre.
Et, petit à petit, le lecteur découvre l'histoire de ces jeunes femmes complètement déjantées, écumant les boîtes parisiennes pour y picoler, et pas qu'un peu, y draguer, et éviter de rentrer seules, y prendre quelques drogues, pour le fun, s'y montrer et assumer totalement ce qu'elles sont et surtout, surtout essayer d'imposer leur volonté aux mecs comme ces derniers ont l'habitude de le faire dans cette société patriarcale.
Les meufs de la Meute sont libres et entendent le faire savoir en toutes circonstances. Et tant pis si, en réalité, elles ne possèdent peut-être pas tout à fait la même assurance et les mêmes certitudes que dans le contexte particulier des nuits parisiennes. Le reste, c'est un combat individuel que chacune essaye de mener à sa manière.
Et en particulier celui d'Olivia, alias Liv, qui est la narratrice de la trame principale du livre, celle des retrouvailles, tandis que les flashback sont racontés à la troisième personne, même si Olivia en reste le point central. D'ailleurs, ce quinquennat qui nous est raconté commence par sa rupture avec Ethan, un mec à qui elle a laissé les rênes et qui l'avait peu à peu éloignée de ses amies.
Ce point de départ, c'est une sorte de renaissance pour elle, un premier retour vers ces copines qu'elle a négligées pour l'amour d'un type qui n'en valait pas la peine. Et l'on découvre effectivement toute la dimension toxique de cette relation dans ce premier retour en arrière. Si Olivia a sans doute le caractère le plus rude de la Meute, si elle est la plus individualiste (égoïste ?)  du lot, c'est sans doute aussi parce qu'elle a beaucoup souffert.
Avant d'aller plus loin, un élément important : les meufs de la Meute ne sont pas de jet-setteuses. Leur vie nocturne n'est pas leur raison sociale, elles ont une vie, le jour, gagne leur vie sans plus, n'apparaissent pas dans les pages glacées des magazines people et se foutent bien de tout ça. Les soirées, les boîtes, l'alcool, la poudre, la musique, c'est pour évacuer tout le reste et être enfin soi.
Une libération, une émancipation d'un carcan social étouffant pour des jeunes femmes, qui évoluent toutes dans des milieux différents, selon des modes de vie différents, envisageant l'avenir chacune à sa manière, mais jamais sans les autres membres de la Meute. L'union fait la force, ensemble, elles sont invincibles. Peut-être même heureuses...
Et ces retrouvailles autour de Romane, qui fête ses trente ans, la jeunette, doivent être l'occasion de faire revivre la Meute, de lui redonner toute sa place dans leurs vies redevenues un peu ternes, d'effacer les frictions passées et retrouver la complicité et la joie d'être ensemble. Seules contre le reste du monde !
Pour moi, cette lecture commence par un paradoxe : en lisant la quatrième de couverture, j'ai eu très envie de lire ce premier roman, tout en ayant à l'esprit le fait que je ne suis sans doute pas le coeur de cible. Pas seulement parce que je suis un homme, ça joue aussi, mais parce que je suis aux antipodes des filles de la Meute, le genre à préférer passer sa soirée pépère chez lui avec un livre.
Il y avait donc une vraie curiosité à me lancer dans cette lecture. Premières impressions : ce ne sera pas une lecture très longues. Le livre fait environ 160 pages, les caractères sont assez gros, il y a de l'interlignage entre les paragraphes... Il y aura donc un signe assez simple : si j'accroche bien, il sera lu rapidement, peut-être d'une traite.
Deuxième impression, la plume de Sarah Koskievic. Là encore, j'étais curieux de voir quel registre elle avait adopté. Et son écriture est en phase avec son sujet : c'est un roman sur les femmes de la génération-je-sais-plus-quelle-lettre-de-la-fin-de-l'alphabet-mais-du-genre-qui-rapporte-un-max-de-points-au-Scrabble, on n'est pas dans les salons de Mme de Sévigné.
Alors oui, ça peut paraître un peu trop branchouille, trop vulgos, peut-être un peu trop proche de l'oral, mais c'est cette langue que parlent les personnages entre elles, c'est la langue de la Meute et c'est très bien ainsi. Elle ne mâchent d'ailleurs jamais leurs mots, Olivia la première, et c'est aussi cette franchise, parfois excessive, qui a certainement contribuer à sceller leur amitié.
Mais, dans le même temps, un jeu s'instaure entre l'auteur, la narratrice et le lecteur, une sorte de connivence. Cette langue fleurie, c'est aussi un des signes d'appartenance de la Meute, un signe de leur émancipation, de la liberté qu'elles s'arrogent et qu'on ne leur laisserait pas exprimer ailleurs de cette façon. Ni même sans doute d'une autre.
Reste que le lecteur doit se faire à ce style particulier, assez inhabituel. L'anglicisme y abonde, les références musicales aussi, fort variées, d'ailleurs, on y reviendra. On est spectateur de la complicité de ces femmes, sans forcément être acceptés au sein du groupe. Mais, c'est bon enfant et, aussi agaçantes peuvent-elles être, les membres de la Meute savent gagner notre sympathie.
Typiquement, c'est un livre qui aura ses fans et d'autres qui ne supporteront pas. J'imagine assez mal des avis médians à propos d'un roman comme celui-ci. Mais il est clair qu'il s'agit d'une histoire générationnelle qui parlera donc sans doute à pas mal de trentenaires, car elles pourraient bien se reconnaître en Liv et ses copines.
Et puis, il y a l'ambiance... Tout commence à Roissy par une scène de joie quasi hystérique, le genre qui permet de se taper l'affiche devant tous les voyageurs en plein jet-lag, attendant que leur bagage arrive sur ce fichu tourniquet... On s'attend alors à un roman d'amitié, un roman d'amitié entre filles, un roman qui devrait lorgner vers ce qu'on appelle désormais "le feel-good".
On va bien se marrer, ça va être girly et sexy à la fois, et on verra bien où ça nous mènera. Sauf que, rapidement, le côté joyeux et potache est vite nuancé. Parce que la vie n'est pas marrante, que le boulot, les mecs, la famille, la vie quotidienne, l'argent et même les copines, c'est pas toujours marrant et facile.
On abandonne vite l'idée d'avoir en main une comédie, voire une comédie romantique, non, "La Meute", c'est autre chose. C'est un regard sur la société des années 2010 lorsqu'on est femme, jeune, libre, qu'on a envie de vivre comme on l'entend, sans entrave ni contrainte. Et que tout semble fait pour vous en empêcher.
En substance : faire ce qu'elles veulent, c'est leur droit. Un droit durement gagné, et le mot durement est sans doute encore faible. Les membres de la Meute ne se laisse pas faire, par qui que ce soit, et toute faiblesse est payée cash, comme on peut le constater, par exemple, avec les traces laissées dans l'esprit et dans la vie d'Olivia par sa relation avec Ethan.
Non, vraiment, "La Meute" n'a rien d'une comédie légère, ce qui ne veut pas dire qu'on ne s'amuse pas à les suivre. Je vous conseille cette scène dans laquelle les filles, bien éméchées, chantent à tue-tête en pleine rue d'un paisible quartier parisien, le premier tube de "Christine and the Queen", en essayant, tant bien que mal, de reproduire la chorégraphie. J'ai bien ri.
Du "feel-good", peut-être, on peut en débattre, mais pas nunuche, voilà !
Derrière les frasques, les rigolades, les engueulades, c'est pourtant un portrait bien plus sombre qui se dessine. Celui d'une génération qui peine à trouver des repères, à avancer sereinement vers l'avenir, faute de perspectives, faute de savoir à qui se fier vraiment. Olivia le dit en conclusion d'une tirade où elle compare les aspirations d'Isadora aux siennes : "Moi, je cherchais un mec imparfait, sur lequel on peut lire les chapitres de sa vie".
Il y a incontestablement chez Olivia un désenchantement profondément ancré et qui ne date pas d'hier. Qui explique aussi sans doute les soubresauts dans ses relations aux autres membres de la Meute, son côté plus bourru, plus rancunier, d'une certaine manière. Olivia essaye d'afficher en permanence un détachement trop cool, quelle que soit la situation.
Mais c'est une façade, une manière de cacher un mal-être qui n'avait pas commencé avec Ethan (au contraire, ce mec est un symptôme de plus de ce mal-être), un manque de confiance en soi, une peur viscérale de la solitude et de l'ennui, d'une vie rangée, "il se marièrent et eurent beaucoup d'enfants"... Pour Liv, c'est évident, la vie n'a rien d'un conte de fée, pas même cette happy end.
Je me focalise beaucoup sur Olivia, personnage central du livre, c'est vrai, mais qui n'est pas plus un symbole de la Meute que les autres membres. Au contraire, ce sont aussi leurs différences, qu'il s'agisse du caractères, des ambitions, des aspirations ou des goûts, qui font qu'elles s'entendent si bien. Et parfois aussi, se déchirent.
Le côté sombre du roman n'est pas juste une sensation. Le récit lui-même va en ce sens, car ces cinq dernières années qui nous sont retracées, ont été marquées par des événements qui les ont toutes durement éprouvées. Et, derrière la joie et l'impatience des retrouvailles, il reste quelques accrocs qui n'ont pas encore été raccommodés.
J'ai été très intéressé par tous ces aspects, peut-être plus que par les personnages et leurs histoires. Encore une fois, j'ai beaucoup réfléchi au fait que je n'étais certainement pas le lecteur idéal pour ce roman. A aucun moment je n'ai envisagé d'abandonner, j'ai horreur de ça, c'est très irrespectueux envers les écrivains, mais je me demandais ce que j'allais pouvoir dire.
Et puis, la fin est arrivée. Je n'ai rien vu venir. J'ai pris une claque monumentale qui a eu le mérite d'effacer d'un coup tous les doutes. Il fallait que je parle de ce livre, absolument. Il fallait que j'en parle, malgré ses défauts, mais quel premier roman n'en a pas, malgré ses aspects clivants, pour employer un néologisme à la mode, malgré le fait que je ne sois pas le coeur de cible.
Oui, j'ai pris ce dénouement en pleine gueule et je suis resté groggy. Et plus encore après avoir lu l'épilogue. Jusque-là, j'avais souri aux extravagances en tous genres de ces sympathiques fofolles si "attachiantes", mais j'ai terminé avec les yeux qui piquaient. Je l'ai caché, je suis un mec, quand même, mais j'ai salement accusé le coup. Et c'est pour ce genre de revirement que j'aime lire.
Les meufs de la Meute, puisqu'elles s'appellent souvent elles-mêmes de cette façon, auraient pu me laisser indifférent, m'amuser le temps de la lecture et puis, hop, une fois refermé, elles auraient été illico oubliées... Je suis bien un mec, à écrire des trucs pareils, tiens... Et puis, elles ont sans doute obtenu d'avoir leurs noms gravés dans ma mémoire pour longtemps.
Louise, Elly, Isadora, Romane, Rosalie et Olivia...
Des filles qui se battent pour ne pas seulement pouvoir exister, mais pour être ce qu'elles veulent, pour vivre comme elles le veulent, pour emmerder ceux (et celles) qui les jugent, pour sucer jusqu'à la dernière goutte de joie de chaque instant, pour faire abstraction de ce triste monde dans lequel elles évoluent, pour se sentir enfin en confiance, sentiment que seules les autres meufs de la Meute leur offrent.
Parmi les références musicales du roman, on ne trouve pas le "Girls just want to have fun", de Cindy Lauper, c'est curieux, mais un titre sort du lot, et vous comprendrez mieux pourquoi en lisant le livre. Une chanson qui est sortie au début des années 1980, alors qu'elles étaient encore toutes petites pour certaines, ou même pas née. De mémoire, Olivia dit que leur univers musical, c'est 2-Pac et France Gall.
Mais pas n'importe quel titre de France Gall : en lisant le texte de "Résiste", je me suis rendu compte à quel point il collait à l'histoire des meufs de la Meute, à quel point ce simple mot, cet impératif lancé comme un encouragement, était une devise idéale pour elles. Oui, chaque instant, les meufs de la Meute résistent, prouvent qu'elles existent.
Et elles sont sûrement nombreuses à vouloir en faire de même.