C’est aujourd’hui que je vous aime (François Morel – Pascal Rabaté – Editions Les Arènes)
Isabelle Samain, Isabelle Samain, Isabelle Samain,… Dans sa chambre d’adolescent, tapissée de posters de « Salut les copains » et de Mike Brant, François se répète ce nom à haute voix, comme une sorte d’incantation. Ah, si seulement le fait de prononcer sans cesse ces deux mots pouvait amener la belle Isabelle dans ses bras, comme par magie. Malheureusement pour lui, François est plutôt du genre timide. Quand il croise sa camarade de classe dans la cour de récréation, il perd ses mots et se décompose. François a pourtant eu le courage de graver « je t’aime Isabelle » sur l’arrêt de bus en face de chez lui, mais hélas elle ne semble pas avoir compris le message. Une deuxième tentative de rapprochement vire, elle aussi, au fiasco. Il s’inscrit au même cours de tennis que la jeune fille mais malheureusement, elle se foule la cheville en arrivant ce jour-là… En attendant, Isabelle Samain continue à occuper toutes les pensées de François. Sa grâce inouïe, sa beauté incomparable, son intelligence indépassable, ses seins, ses yeux verts, sa bouche rosée, ses doigts graciles, ses pieds gracieux, ses cheveux longs… le garçon timide s’enflamme dès qu’il pense à Isabelle Samain, allant même jusqu’à devenir poète. Son amour vire carrément à l’obsession, puisque François conserve des reliques d’Isabelle dans un tiroir de sa chambre: une mèche de cheveux, un peigne oublié sur le rebord d’un lavabo, un crayon mordillé, une socquette blanche égarée un jour de grande chaleur… Tout ça est très bien, mais quand donc osera-t-il enfin lui parler?
Il y a quelques mois, François Morel (« Les Deschiens ») décide d’envoyer son livre autobiographique « C’est aujourd’hui que je vous aime », dans lequel il raconte ses premiers émois d’adolescent, à son ami Pascal Rabaté. Immédiatement, celui-ci se dit qu’il pourrait adapter ce récit en bande dessinée, même si Morel lui-même estime que son livre est « parfaitement inadaptable ». Manifestement, il avait tort, car cette version BD décrit avec humour et tendresse les espoirs et les désillusions de l’adolescence, en offrant au passage un savoureux concentré de nostalgie à tous ceux qui ont grandi dans la France des années 70. Pascal Rabaté, dont on connaît le talent de raconteur du quotidien (il suffit de penser aux « Petits Ruisseaux » ou à « La Marie en plastique », par exemple), donne vie avec beaucoup de justesse et de pudeur aux mots de son compère François Morel. On retrouve toute la naïveté et la malice de ce dernier dans les planches de « C’est aujourd’hui que je vous aime ». Sans avoir l’air d’y toucher, cette BD est à la fois d’une grande légèreté et d’une grande profondeur. Le pauvre François s’y retrouve confronté à tous les états de l’amoureux transi, passant de l’espoir le plus fou à la désillusion la plus totale, parfois en une fraction de seconde. Si la BD de Morel et Rabaté est aussi touchante, c’est surtout parce que ses personnages sont très humains et parce que les sentiments qu’elle décrit sont universels. Même ceux qui n’ont pas grandi avec des pantalons pattes d’éléphants ou des posters de Mike Brant dans leur chambre se reconnaîtront dans cette histoire. Mention spéciale au personnage délicieux de madame Vayssière, la bouchère à qui François aime faire des blagues téléphoniques un peu salaces. Mais au final, c’est elle qui va lui jouer une bonne blague. Une scène culte!