Street art de " Starchild Stela ", une jeune fille aux cheveux blonds encapuchonnée dans un sweat violet avec des cœurs verts et des inscriptions autour " finissons-en avec la culture du viol " et " end rape culture ".
Samedi dernier, Valérie Rey-Robert, alias Crêpe Georgette, était à la librairie marseillaise L'Hydre aux milles têtes pour présenter son livre sur les spécificités françaises de la culture du viol. C'était très chouette de voir l'espace rencontre de la librairie plein à craquer et ça valait définitivement le coup de rester deux heures debout pour l'entendre. Je vous propose donc une petite restitution de sa présentation !
L'autrice a commencé par une recontextualisation de son expérience d'Internet : en 1998 notamment il y avait très peu de place pour les femmes sur Internet et encore moins pour les féministes.
Tous les témoignages de femmes violées qu'elle a pu entendre montrent la culpabilisation subie par les victimes : que ce soit par elles-mêmes ou bien par l'entourage, la police ou la justice.
En 2013 l'expression " culture du viol " rentre dans le langage courant, malgré une origine qui remonte jusqu'aux années 1970.
Pourquoi est-ce qu'un viol et une escroquerie, par exemple, ne sont pas défendus pareil ? Le viol découle du sexisme : on attribue des qualités essentielles spécifiques aux hommes, d'autres aux femmes, et on considère celles des hommes meilleures. Les femmes sont considérées comme menteuse, perverse, faisant usage de la ruse, elles veulent le malheur de l'humanité. Dans l'histoire et la mythologie on retrouve de nombreux exemples de cet archétype : Pandore, Eve, Judith... [À noter qu'à ce moment là, un homme a profité du moment des questions, non pas pour en poser une, mais pour faire un merveilleux exemple de mansplaining, à l'exaspération de toutes les personnes présentes].
Ainsi, pour lutter contre la culture du viol, il faut lutter contre le sexisme. Là où les hommes sont éduqués à socialiser entre eux pour faire preuve de solidarité, ce n'est pas du tout le cas des femmes.
Les premières luttes du féminisme ne portaient pas sur les viols, ce n'est venu qu'après le droit de vote et celui de la contraception. Dans ce contexte des années 1970, le terme de " culture du viol " apparaît aux États-Unis. Mais plus récemment, certaines affaires ont particulièrement choqué et fait avancer la reconnaissance de cette culture du viol. En 2012, deux viols aux États-Unis ont eu un traitement assez similaires où les victimes ont été traînées dans la boue (pour l'un des deux viols, la victime avait été photographiée pendant l'acte et des photos circulaient sur les réseaux sociaux). En Inde, un couple est entré dans un bus privé par inadavertance : le jeune homme s'est fait tabassé tandis que la jeune femme a été violée puis est décédée des conséquences une semaine plus tard. Cette dernière affaire a suscité des réactions particulièrement racistes (selon lesquelles ce genre de chose ne pourrait pas arriver en Europe...) et essentialistes, avec une culpabilisation de la victime sur le fait qu'elle utilisait un portable - à noter donc que la culpabilisation se retrouve dans tous les pays mais pour des motifs différents.
La chanson " The blurred lines " de Robin Thicke, sortie en mars 2013, est très symptomatique de la culture du viol avec des paroles telles que " I know you want it ", qui laisse peu de place au consentement, mais surtout qui est l'une des phrases les plus prononcées par les violeurs pendant l'acte.
Couverture de Une culture du viol à la française, de Valérie Rey-Robert aux éditions LibertaliaLa culture du viol présente donc de nombreuses idées reçues, dont voici les principales :
- les victimes mentent (pour faire du mal, obtenir de l'argent) - on sait pourtant que les hommes sont généralement défendus et s'en sortent souvent indemnes, contrairement aux victimes ;
- les victimes exagèrent (comportement hystérique de la femme) - alors qu'au contraire, elles ont tendance à minimiser les actes ;
- les hommes ont des pulsions irrépressibles - alors que souvent ce sont des actes sournois, avec des stratégies mises en place et un certain contrôle, pour ne pas se faire arrêter notamment ;
- un homme ne peut pas être violé (13 % des Français·e·s pensaient encore ceci en 2007) ;
- les violeurs sont des inconnus - alors que 90 % des viols sur majeur sont commis par une connaissance, dont 60 % par le mari, conjoint ou ex-mari ou ex-conjoint ;
- les viols ne sont pas si nombreux - afin de ne pas en faire un problème et de ne pas mettre en place des politiques publiques à ce sujet.
Comment se maintient la culture du viol ?
- Rôle genrés traditionnels ;
- pérennité du sexisme, qu'il soit hostile ou bienveillant, il met en place un climat terrifiant pour les femmes ;
- les hommes et les femmes sont présentés comme des adversaires sexuels.
Dans la deuxième partie de son livre, il s'agit de faire un constat sur les violences sexuelles et leur traitement par la loi. Quelques statistiques :
- 10 % des plaintes sont déposées par des femmes, 4 % par des hommes ;
- 2/3 des plaintes sont classées sans suite par rapport à l'état mental de la victime ou bien parce qu'elle était alcoolisée ou droguée (alors qu'il s'agit dans la loi d'une circonstance aggravante pour le violeur) ;
- 98 % des violeur·euse·s sont des hommes (je n'utiliserai l'inclusif qu'ici) ;
- 70 % des violeurs avaient des vies sexuelles satisfaisantes hors viol.
La troisième partie montre comment nous avons tendance à mettre le viol à distance : en montrant par exemple que le violeur n'est jamais notre semblable, avec toutes les dérives racistes qui en découlent. Par exemple en 2000, le mythe d'une explosion du nombre de viols collectifs a été perpétré dans la presse qui ne parlait que de ça, en utilisant le terme de " tournante " pour parler des viols par des jeunes de banlieues, en stigmatisant particulièrement les Noirs et les Arabes. Valérie Rey-Robert a également cité l'exemple de Tariq Ramadan où tout à coup de nombreux articles ont fleuri pour dénoncer le viol mais également pour parler de son rapport à l'islam, alors qu'il n'est qu'un prédateur parmi d'autres.
Les préjugés sur les pulsions démesurées des Arabes remontent à la période de la guerre d'Algérie où la France usait de propagande pour prévenir que les hommes arabes allaient venir en France et violer les femmes, afin de faire peur aux Français·e·s.
Il y a également une mise à distance des victimes : si elles sont " jolies " le viol doit être considéré comme un hommage, si elles sont " moches " c'est alors une chance (ça me fait un peu gerber de l'écrire mais bon). Le viol conjugal peine aussi à être reconnu. On dénonce les " mauvaises " réactions post-viol alors que la science montre qu'elles peuvent être tout à fait diverses.
Enfin, une mise à distance du viol lui-même s'opère, en présentant des viols à mains armées, avec beaucoup de violence (enfin, plus que ce que le viol n'en présuppose...).
La quatrième partie présente les spécificités de la culture du viol en France. En 2011, DSK est inculpé pour viol et le nombre de personnes qui s'empressent de le défendre est très choquant : que ce soit pour parler de mauvaises accusations ou clamer qu'on ne pourrait plus draguer. C'est une habitude très française de défendre ces agressions en évoquant la littérature courtoise. Ce traitement très violent a montré toute l'étendue de la tâche à accomplir et le fait qu'au sein même de " notre camp ", des féministes, des personnes se sont précipitées pour le défendre.
Valérie Rey-Robert présente son livre en trois minutes.
En France, les États-Unis sont souvent dénoncés comme des puritain quand les viols sont condamnés, mais le puritanisme n'entend certainement pas lutter contre les viols, seulement contre le sexe hors mariage et entre personnes du même sexe.
Avec la sortie des #metoo et #balancetonporc, le même schéma de défense s'est reproduit, avec des spécificités françaises : notamment des moqueries permanentes sur le vocabulaire féministe, sous prétexte qu'il s'agit d'anglicisme ( slutshaming, manspreading, etc.). Mais non seulement ces mots s'y prêtent, il faut également rappeler que ce qui n'est pas nommé n'existe pas. De plus, quand les mots " patriarcat " et " sexisme " sont apparus dans les années 1970, ils étaient également très moqués alors qu'aujourd'hui ils sont bel et bien acceptés.
Avec #metoo, certain·e·s se sont empressé·e·s de comparer les dénonciations faites aux collabos qui livraient des personnes juives pendant la Seconde guerre mondiale...
La cinquième et dernière partie tente de trouver des solutions à la culture du viol. Tout d'abord, il faut combattre l'impunité des violeurs qui nuit à la liberté des femmes de prendre possession de la sphère publique (sortir la nuit, boire). Il faut aussi cesser de montrer des viols à tout va dans les productions populaires, et s'assurer du bon traitement des scènes et du sujet.
Au moment des discussions, il a été demandé à Valérie Rey-Robert si elle avait des conseils pour confronter nos proches à la culture du viol suite à des " blagues " ou réflexions problématiques. Elle conseille de prendre les personnes isolément pour leur expliquer que des idées reçues persistent sur ce sujet, en quoi elles sont fausses et il ne faut pas hésiter à renvoyer vers des ressources ou études féministes.
→ Thread de Pay ta Schnek sur Twitter (je me disais bien que j'avais reconnu la voix du podcast YESSS ♥)
→ Twitter de Valérie Rey-Robert
→ Vidéo " Trois minutes avec Valérie Rey-Robert "
→ Présentation de La culture du viol à la française sur le site de l'éditeur, Libertalia, avec le sommaire et l'introduction téléchargeables.
→ Les mots tuent, Tumblr recense mauvais traitement médiatiques des viols