On a beau être éclectique dans ses choix de lectures, certains genres vous résistent sans véritable espoir de les voir céder un jour. Pour moi, c'est le cas de la romance... Les quelques tentatives pour découvrir ce genre particulier n'ont pas été très fructueuses, c'est ainsi, ce n'est pas pour moi. Pourtant, quand j'ai entendu dire que Catherine Dufour, une des plumes les plus acérées de la SF francophone, allait s'y essayer, j'ai eu envie de retenter ma chance. "Entends la nuit", paru en grand format aux éditions L'Atalante, est donc une romance, et même une romance paranormale. Mais si la romancière s'en approprie les codes, elle propose une histoire à sa façon, avec une héroïne forte et courageuse, un style plein de cynisme, mais aussi une certaine désillusion, et des thèmes qui sortent de la simple histoire d'amour impossible pour devenir volontiers politiques. Paris y est un personnage à part entière et offre un cadre parfait pour un final très spectaculaire, mais aussi assez sombre...
Myriame a 25 ans et, au moment d'entrer dans ce qu'on appelle la vie active, elle a préféré quitter la France, et une vie familiale difficile, pour s'installer à Amsterdam, où elle n'a pas vécu l'existence que pouvait lui permettre le master en communication qu'elle a en poche. Une jeunesse en marge d'une société qui ne la fascinait pas vraiment.
Jusqu'à ce qu'elle décide de rentrer. Parce que même si la relation qu'elle entretient avec sa mère est compliquée, agitée, elle est plus importante que le reste. Sa mère ne va pas bien. Une sale maladie qu'elle a vaincue, mais qui l'a laissée sur la paille. Et, à son âge, il semble difficile de retrouver un boulot désormais.
Alors, c'est elle qui a pris les choses en main : elle a décroché un job dans une boîte parisienne. Rien de bien excitant, il s'agit de faire de la veille informatique, mais cela lui permettra de gagner suffisamment pour prendre sa mère en charge aussi longtemps que nécessaire. Il lui faudra prendre sur elle, certainement, mais elle finira par s'y faire, elle n'en doute pas.
Voilà comment elle se retrouve à la Zuidertorten, c'est le nom de l'entreprise, assise pendant des heures devant un écran d'ordinateur. Rien de bien sorcier, même si les logiciels changent d'une société à l'autre, ils sont très proches et Myriame ne devrait pas avoir de mal à les maîtriser. Et vogue la galère !
Côté collègues, ça se goupille pas mal non plus. Il y a bien Iko (diminutif d'Ikovna), sa supérieure hiérarchique à l'ai revêche, mais les autres sont plutôt cool. Et, rapidement, Myriame se lie avec un petit groupe de veilleurs, comme elle : Sacha, Mei, Awa ou encore Ahmet, qui lui est comptable. On n'a pas trop le temps de s'amuser, on échange quelques mots autour d'un café et on reprend le boulot.
Le seul truc qui chiffonne la jeune femme, c'est qu'on les surveille... Dans les bécanes, un logiciel baptisé "Pretty Face" joue les Big Brother. Officiellement, il ne s'agit pas de garder à l'oeil le personnel, mais d'un outil de cohésion, mais dans les faits, c'est bien un moyen pour les cadres de vérifier en permanence que personne ne tire au flanc...
Comme méthode de management, c'est moyen, mais Myriame est toute nouvelle, difficile de la ramener à ce sujet... Et puis, les patrons n'ont pas l'air super abordables. Elle les a aperçus à la cafétéria, une des rares fois où ils ont quitté leur domaine réservé, le sixième étage de l'immeuble haussmmannien occupé par la Zuidertorten.
Une femme, deux hommes, une allure étrange qui fait dire à Mei en rigolant qu'ils ont l'air de vampires. Mais, c'est un autre personnage qui va retenir l'attention de Myriame. Un visage vu au milieu de la mosaïque de "Pretty Face", un teint livide, une chevelure rousse, encore un mec qui semble sorti tout droit d'un roman de fantasy !
Un dialogue muet s'installe au fil des jours entre Myriame et cet étrange personnage... qui s'avère être un autre de ses supérieurs hiérarchiques. Un certain Duncan, présence discrète, mais omniprésente, qui semble vouloir prendre la petite nouvelle sous son aile et lui apporter une aide matérielle précieuse : lui assurer un contrat solide, lui proposer un logement...
Tout ça pourrait fleurer bon (enfin, façon de parler) le harcèlement sexuel. Exactement le genre de comportement qui devrait agacer et même plus Myriame, qui a si longtemps rejeter ce système. Et pourtant, cet étrange badinage semble lui convenir et elle se prend à ce drôle de jeu, une séduction mutuelle avec ce mystérieux dandy...
Le hic, c'est qu'en se renseignant sur son étrange bienfaiteur, Myriame va faire quelques découvertes du genre à vous refroidir illico. Ou au contraire, à aiguiser votre curiosité. Car, celui qui se présente sous le nom de Duncan et le titre de comte d'Angus... est mort depuis plus d'un siècle... Mais c'est qui, ce mec-là ? Highlander ?
Comme d'habitude, pardon si vous trouvez que je détaille trop (mais ce n'est pas vraiment le cas, en fait), il est important de bien planter le décor. Rien n'est anodin, dans tout cela, on va le comprendre au fil du récit. Au fil de cette histoire improbable qui va se nouer entre Myriame, la jeune recrue un peu rebelle, et cet actionnaire moins inaccessible que les autres.
Un élément manque pourtant : qui est vraiment Duncan ? Et c'est l'un des grands intérêts de ce roman, ainsi qu'une des excellentes idées qu'on y trouve. Plutôt que de reprendre de vieux pots pour y concocter sa propre soupe, Catherine Dufour imagine autre chose, innove, surprend, aussi. Et nous propose quelque chose de très original.
Ah, ah, je vous sens intrigués, là... Mais ne comptez pas sur moi pour en dire plus à ce sujet, si vous voulez savoir qui est Duncan, lisez "Entends la nuit". Mais que cela ne nous empêche pas d'évoquer ce roman qui n'est justement pas qu'une romance, parce que c'est justement la volonté de Catherine Dufour d'aller au-delà de ce que proposent les titres phares du genre.
Elle l'explique d'ailleurs très bien sur son blog, alors plutôt que de la paraphraser et de vous faire croire que ces passionnantes informations sont de mon cru, je préfère vous renvoyer à ce billet introductif. Et en plus, Catherine Dufour propose un voyage en images à travers son livre, qui rappellera quelque chose à ceux d'entre vous qui me suivent sur les réseaux sociaux...
Le blog de Catherine Dufour.
Vous y découvrirez donc la vision cash de la romance par une écrivaine engagée, qui n'oublie pas que quel que soit le contexte, il y a forcément quelque part une dimension sociale, et donc politique. Amusant, au passage, de noter que la référence shakespearienne mise en avant par Catherine Dufour n'est pas "Roméo et Juliette", comme on pourrait s'y attendre, mais "Richard III".
Et le moins qu'on puisse dire, c'est que le sujet de cette tragédie n'a pas grand-chose à voir avec l'amour, même contrarié. C'est une pièce sur le pouvoir, un pouvoir absolu qu'on cherche à atteindre par des moyens absolus, jusqu'à y laisser sa famille, sa vie, son âme... Je ne dis pas que "Roméo et Juliette" n'est pas une pièce violente, mais les causes de ces violences diffèrent radicalement.
D'une certaine manière, "Entends la nuit" est également un roman sur le pouvoir, celui qu'exerce un actionnaire sur les salariés qui font tourner ses entreprises. Duncan, comme les autres actionnaires que l'on croise dans le livre, sont des souverains modernes, ayant quasiment droit de vie et de mort sur leurs sujets, le salarié devenant une sorte de vassal.
La relation entre Myriame et Duncan repose donc sur la séduction, mais aussi sur cette lutte de classe, d'une certaine manière. C'est d'ailleurs là que le passé de Myriame prend son importance : son choix premier, c'est de fuir ce système, de choisir une vie libérée de toutes ces contingences, de rejeter le fonctionnement d'une société capitaliste.
Son retour n'est pas un reniement, c'est une urgence : elle ne le fait pas pour elle, mais bien pour venir en aide à sa mère. Et toute sa relation avec Duncan va être marquée par cet aspect : bien sûr, il y a une attraction entre les deux personnages, mais Myriame est aussi en conflit avec ce que représente l'homme, ce qu'elle croit percevoir de lui au départ...
L'histoire d'amour qui naît, s'épanouit, connaît des hauts et des bas, des périodes heureuses, d'autres nettement plus compliquées, tout cela est influencée par ces questions politiques et idéologiques, qui permettent à Catherine Dufour de faire de la romance un vecteur de critique d'un système qui, on l'aura aisément compris, ne lui plaît pas.
Mais cette relation est aussi tourmentée, turbulente, difficile parce que le fossé entre les deux personnages va au-delà de cette simple question d'appartenance à une classe, et même à une caste. Là encore, en soi, c'est un élément classique du genre : la notion de danger que représente une telle relation, parce que l'un des deux amoureux incarne une force brute, une violence difficile à contrôler.
Bien sûr, on songe au vampire, qui doit refréner son instinct et son appétit pour pouvoir entretenir sa relation avec un ou une humaine. Catherine Dufour joue d'ailleurs avec cette idée du vampire, ne serait-ce que dans l'apparence des personnages bizarres pour qui travaille Myriame. Mais là encore, c'est différent, car Duncan n'est justement pas un non-vivant, détaché de tout par la force des choses.
Duncan est un possesseur, il incarne un pouvoir, une institution, une histoire, qu'on pourrait presque écrire avec un h majuscule. En un mot comme en cent, il a des responsabilités, et elles dépassent largement une amourette, qui plus est avec une simple humaine. Cela va imposer des choix aux deux personnages, différents de ce qu'on peut trouver habituellement, dans le cas des vampires, pour reprendre cet exemple.
Vous le verrez, les tensions qui s'instaurent entre Myriame et Duncan s'étalent selon tout une gamme qui va de l'érotisme et du sexe, quand même, ne faisons pas l'impasse là-dessus, à la colère, féroce et impressionnante. C'est un amour qui devra s'arracher de haute lutte, et le terme d'impossible, qui fait un peu cliché, je le reconnais, est pourtant ici adéquat.
J'ai évoqué Shakespeare, l'autre référence, c'est celle que l'on trouve dans le titre du roman : "Entends la nuit" (non, ce n'est pas une version alternative d'une chanson de Johnny...), c'est un clin d'oeil au dernier vers d'un sonnet de Baudelaire, qui me rajeunit d'une bonne trentaine d'années, l'époque à laquelle je l'ai appris : "Recueillement".
Je ne saurais que trop vous conseiller de le lire ou de le relire, si vous avez également eu l'occasion de l'étudier en classe, plutôt après la lecture du roman, car c'est l'ensemble de ce texte qui ouvre des pistes de réflexion autour du roman de Catherine Dufour... De la douleur initiale, que l'on voudrait plus tranquille, jusqu'à cette nuit qui marche...
Et l'élément majeur qui va faire écho, c'est la ville, même si on retrouve pas mal d'éléments du sonnet dans le roman. La ville, oui. Paris, au premier chef, même si elle n'est pas l'unique décor du roman. La ville... et ce qui la constitue. La ville comme un corps et les bâtiments comme des organes. La ville comme lieu de pouvoir, et les bâtiments comme l'expression de ce pouvoir.
Sur la page de blog que j'évoquais plus haut, Catherine Dufour vous propose des images des principaux lieux marquants de son roman, à l'exception du principal, la fameuse "Tour du Midi", la Zuidertorte, qui est le fruit de son imaginaire, même s'il existe des équivalents. Beaucoup de choses se passent dans cet immeuble, et pas seulement dans la partie réservée aux bureaux.
Et puis, il y a ces autres lieux, dont certains ont derrière eux une longue histoire, et qui vont devenir le cadre d'épisodes souvent forts dans la quête de Myriame pour comprendre dans quoi elle a mis les pieds, et un peu plus. La balade vaut le coup d'oeil, avec des points de vue fort intéressants et des scènes mémorables.
Je vais être franc, la première partie du roman m'a semblé longue... Décidément, je ne suis vraiment pas un lecteur de romance... J'avais hâte de savoir où ce jeu de séduction allait mener. Et puis, d'un seul coup, tout s'enclenche, et l'on entre dans une toute autre phase, nettement plus sombre, nettement plus violente, aussi, et carrément spectaculaire.
Cela devient extrêmement visuel, avec un côté gothique, des clins d'oeil à différentes oeuvres, qui ont elle aussi utilisé Paris et ses monuments (on pense, par exemple, au "Fantôme de l'opéra" ; accrochez-vous, vertige assuré, et pas juste le vertige de l'amour, wo-hohohoho) et la ville s'impose de toute sa force, de toute sa majesté brute, de toute son imposante présence...
Il faudrait parler longuement du style de Catherine Dufour, sa gouaille, son ironie mordante, son humour teinté de cynisme, aussi. Le franc-parler de Myriame est un vrai plaisir de lecture et reflète la force du personnage de Myriame autant que ses convictions affirmées. Ne la cherchez pas, son sens de la repartie est acéré comme une lame, et elle sait parfaitement la manier.
Enfin, il reste un élément à évoquer dans ce billet déjà bien long... C'est l'héroïne. J'en ai déjà dit pas mal à propos de Myriame, mais tout cela est aussi ce qui la met à part de ces héroïnes de romance, au mieux un peu nunuches ou soumises, au pire, insupportables... Myriame a ce côté adulte et responsable qui manque bien souvent à ces demoiselles.
Elle n'a peut-être pas toutes les rênes en main, mais elle n'est pas non plus démunie dans se relation face à Duncan. C'est une vraie joute, un vrai duel, et le caractère de la jeune femme s'affirme tout au long de cette histoire, jusqu'au dénouement où des choix vont s'imposer à elle et où elle va prendre son destin en main en bousculant tout.
Son parcours n'est pas linéaire. De la curiosité initiale, aux questionnements qui vont suivre, de l'attirance qui monte, à la peur, réelle, qu'elle va expérimenter en découvrant qui elle a face à elle, elle reprend très vite ses esprits, même lorsqu'elle doit affronter des situations extraordinaires et fortement déstabilisantes.
C'est une femme de tête, déterminée, qui ne se résigne pas face aux événements contraires, face à ce qui lui est imposé par le sort, et pas seulement lui, d'ailleurs. Elle se bat, on peut se dire qu'il y a quelque chose de désespéré dans sa démarche, et pourtant, c'est cela qui la rend plus forte et belle encore. C'est cela qui fait d'elle, définitivement, une héroïne...
Myriame a 25 ans et, au moment d'entrer dans ce qu'on appelle la vie active, elle a préféré quitter la France, et une vie familiale difficile, pour s'installer à Amsterdam, où elle n'a pas vécu l'existence que pouvait lui permettre le master en communication qu'elle a en poche. Une jeunesse en marge d'une société qui ne la fascinait pas vraiment.
Jusqu'à ce qu'elle décide de rentrer. Parce que même si la relation qu'elle entretient avec sa mère est compliquée, agitée, elle est plus importante que le reste. Sa mère ne va pas bien. Une sale maladie qu'elle a vaincue, mais qui l'a laissée sur la paille. Et, à son âge, il semble difficile de retrouver un boulot désormais.
Alors, c'est elle qui a pris les choses en main : elle a décroché un job dans une boîte parisienne. Rien de bien excitant, il s'agit de faire de la veille informatique, mais cela lui permettra de gagner suffisamment pour prendre sa mère en charge aussi longtemps que nécessaire. Il lui faudra prendre sur elle, certainement, mais elle finira par s'y faire, elle n'en doute pas.
Voilà comment elle se retrouve à la Zuidertorten, c'est le nom de l'entreprise, assise pendant des heures devant un écran d'ordinateur. Rien de bien sorcier, même si les logiciels changent d'une société à l'autre, ils sont très proches et Myriame ne devrait pas avoir de mal à les maîtriser. Et vogue la galère !
Côté collègues, ça se goupille pas mal non plus. Il y a bien Iko (diminutif d'Ikovna), sa supérieure hiérarchique à l'ai revêche, mais les autres sont plutôt cool. Et, rapidement, Myriame se lie avec un petit groupe de veilleurs, comme elle : Sacha, Mei, Awa ou encore Ahmet, qui lui est comptable. On n'a pas trop le temps de s'amuser, on échange quelques mots autour d'un café et on reprend le boulot.
Le seul truc qui chiffonne la jeune femme, c'est qu'on les surveille... Dans les bécanes, un logiciel baptisé "Pretty Face" joue les Big Brother. Officiellement, il ne s'agit pas de garder à l'oeil le personnel, mais d'un outil de cohésion, mais dans les faits, c'est bien un moyen pour les cadres de vérifier en permanence que personne ne tire au flanc...
Comme méthode de management, c'est moyen, mais Myriame est toute nouvelle, difficile de la ramener à ce sujet... Et puis, les patrons n'ont pas l'air super abordables. Elle les a aperçus à la cafétéria, une des rares fois où ils ont quitté leur domaine réservé, le sixième étage de l'immeuble haussmmannien occupé par la Zuidertorten.
Une femme, deux hommes, une allure étrange qui fait dire à Mei en rigolant qu'ils ont l'air de vampires. Mais, c'est un autre personnage qui va retenir l'attention de Myriame. Un visage vu au milieu de la mosaïque de "Pretty Face", un teint livide, une chevelure rousse, encore un mec qui semble sorti tout droit d'un roman de fantasy !
Un dialogue muet s'installe au fil des jours entre Myriame et cet étrange personnage... qui s'avère être un autre de ses supérieurs hiérarchiques. Un certain Duncan, présence discrète, mais omniprésente, qui semble vouloir prendre la petite nouvelle sous son aile et lui apporter une aide matérielle précieuse : lui assurer un contrat solide, lui proposer un logement...
Tout ça pourrait fleurer bon (enfin, façon de parler) le harcèlement sexuel. Exactement le genre de comportement qui devrait agacer et même plus Myriame, qui a si longtemps rejeter ce système. Et pourtant, cet étrange badinage semble lui convenir et elle se prend à ce drôle de jeu, une séduction mutuelle avec ce mystérieux dandy...
Le hic, c'est qu'en se renseignant sur son étrange bienfaiteur, Myriame va faire quelques découvertes du genre à vous refroidir illico. Ou au contraire, à aiguiser votre curiosité. Car, celui qui se présente sous le nom de Duncan et le titre de comte d'Angus... est mort depuis plus d'un siècle... Mais c'est qui, ce mec-là ? Highlander ?
Comme d'habitude, pardon si vous trouvez que je détaille trop (mais ce n'est pas vraiment le cas, en fait), il est important de bien planter le décor. Rien n'est anodin, dans tout cela, on va le comprendre au fil du récit. Au fil de cette histoire improbable qui va se nouer entre Myriame, la jeune recrue un peu rebelle, et cet actionnaire moins inaccessible que les autres.
Un élément manque pourtant : qui est vraiment Duncan ? Et c'est l'un des grands intérêts de ce roman, ainsi qu'une des excellentes idées qu'on y trouve. Plutôt que de reprendre de vieux pots pour y concocter sa propre soupe, Catherine Dufour imagine autre chose, innove, surprend, aussi. Et nous propose quelque chose de très original.
Ah, ah, je vous sens intrigués, là... Mais ne comptez pas sur moi pour en dire plus à ce sujet, si vous voulez savoir qui est Duncan, lisez "Entends la nuit". Mais que cela ne nous empêche pas d'évoquer ce roman qui n'est justement pas qu'une romance, parce que c'est justement la volonté de Catherine Dufour d'aller au-delà de ce que proposent les titres phares du genre.
Elle l'explique d'ailleurs très bien sur son blog, alors plutôt que de la paraphraser et de vous faire croire que ces passionnantes informations sont de mon cru, je préfère vous renvoyer à ce billet introductif. Et en plus, Catherine Dufour propose un voyage en images à travers son livre, qui rappellera quelque chose à ceux d'entre vous qui me suivent sur les réseaux sociaux...
Le blog de Catherine Dufour.
Vous y découvrirez donc la vision cash de la romance par une écrivaine engagée, qui n'oublie pas que quel que soit le contexte, il y a forcément quelque part une dimension sociale, et donc politique. Amusant, au passage, de noter que la référence shakespearienne mise en avant par Catherine Dufour n'est pas "Roméo et Juliette", comme on pourrait s'y attendre, mais "Richard III".
Et le moins qu'on puisse dire, c'est que le sujet de cette tragédie n'a pas grand-chose à voir avec l'amour, même contrarié. C'est une pièce sur le pouvoir, un pouvoir absolu qu'on cherche à atteindre par des moyens absolus, jusqu'à y laisser sa famille, sa vie, son âme... Je ne dis pas que "Roméo et Juliette" n'est pas une pièce violente, mais les causes de ces violences diffèrent radicalement.
D'une certaine manière, "Entends la nuit" est également un roman sur le pouvoir, celui qu'exerce un actionnaire sur les salariés qui font tourner ses entreprises. Duncan, comme les autres actionnaires que l'on croise dans le livre, sont des souverains modernes, ayant quasiment droit de vie et de mort sur leurs sujets, le salarié devenant une sorte de vassal.
La relation entre Myriame et Duncan repose donc sur la séduction, mais aussi sur cette lutte de classe, d'une certaine manière. C'est d'ailleurs là que le passé de Myriame prend son importance : son choix premier, c'est de fuir ce système, de choisir une vie libérée de toutes ces contingences, de rejeter le fonctionnement d'une société capitaliste.
Son retour n'est pas un reniement, c'est une urgence : elle ne le fait pas pour elle, mais bien pour venir en aide à sa mère. Et toute sa relation avec Duncan va être marquée par cet aspect : bien sûr, il y a une attraction entre les deux personnages, mais Myriame est aussi en conflit avec ce que représente l'homme, ce qu'elle croit percevoir de lui au départ...
L'histoire d'amour qui naît, s'épanouit, connaît des hauts et des bas, des périodes heureuses, d'autres nettement plus compliquées, tout cela est influencée par ces questions politiques et idéologiques, qui permettent à Catherine Dufour de faire de la romance un vecteur de critique d'un système qui, on l'aura aisément compris, ne lui plaît pas.
Mais cette relation est aussi tourmentée, turbulente, difficile parce que le fossé entre les deux personnages va au-delà de cette simple question d'appartenance à une classe, et même à une caste. Là encore, en soi, c'est un élément classique du genre : la notion de danger que représente une telle relation, parce que l'un des deux amoureux incarne une force brute, une violence difficile à contrôler.
Bien sûr, on songe au vampire, qui doit refréner son instinct et son appétit pour pouvoir entretenir sa relation avec un ou une humaine. Catherine Dufour joue d'ailleurs avec cette idée du vampire, ne serait-ce que dans l'apparence des personnages bizarres pour qui travaille Myriame. Mais là encore, c'est différent, car Duncan n'est justement pas un non-vivant, détaché de tout par la force des choses.
Duncan est un possesseur, il incarne un pouvoir, une institution, une histoire, qu'on pourrait presque écrire avec un h majuscule. En un mot comme en cent, il a des responsabilités, et elles dépassent largement une amourette, qui plus est avec une simple humaine. Cela va imposer des choix aux deux personnages, différents de ce qu'on peut trouver habituellement, dans le cas des vampires, pour reprendre cet exemple.
Vous le verrez, les tensions qui s'instaurent entre Myriame et Duncan s'étalent selon tout une gamme qui va de l'érotisme et du sexe, quand même, ne faisons pas l'impasse là-dessus, à la colère, féroce et impressionnante. C'est un amour qui devra s'arracher de haute lutte, et le terme d'impossible, qui fait un peu cliché, je le reconnais, est pourtant ici adéquat.
J'ai évoqué Shakespeare, l'autre référence, c'est celle que l'on trouve dans le titre du roman : "Entends la nuit" (non, ce n'est pas une version alternative d'une chanson de Johnny...), c'est un clin d'oeil au dernier vers d'un sonnet de Baudelaire, qui me rajeunit d'une bonne trentaine d'années, l'époque à laquelle je l'ai appris : "Recueillement".
Je ne saurais que trop vous conseiller de le lire ou de le relire, si vous avez également eu l'occasion de l'étudier en classe, plutôt après la lecture du roman, car c'est l'ensemble de ce texte qui ouvre des pistes de réflexion autour du roman de Catherine Dufour... De la douleur initiale, que l'on voudrait plus tranquille, jusqu'à cette nuit qui marche...
Et l'élément majeur qui va faire écho, c'est la ville, même si on retrouve pas mal d'éléments du sonnet dans le roman. La ville, oui. Paris, au premier chef, même si elle n'est pas l'unique décor du roman. La ville... et ce qui la constitue. La ville comme un corps et les bâtiments comme des organes. La ville comme lieu de pouvoir, et les bâtiments comme l'expression de ce pouvoir.
Sur la page de blog que j'évoquais plus haut, Catherine Dufour vous propose des images des principaux lieux marquants de son roman, à l'exception du principal, la fameuse "Tour du Midi", la Zuidertorte, qui est le fruit de son imaginaire, même s'il existe des équivalents. Beaucoup de choses se passent dans cet immeuble, et pas seulement dans la partie réservée aux bureaux.
Et puis, il y a ces autres lieux, dont certains ont derrière eux une longue histoire, et qui vont devenir le cadre d'épisodes souvent forts dans la quête de Myriame pour comprendre dans quoi elle a mis les pieds, et un peu plus. La balade vaut le coup d'oeil, avec des points de vue fort intéressants et des scènes mémorables.
Je vais être franc, la première partie du roman m'a semblé longue... Décidément, je ne suis vraiment pas un lecteur de romance... J'avais hâte de savoir où ce jeu de séduction allait mener. Et puis, d'un seul coup, tout s'enclenche, et l'on entre dans une toute autre phase, nettement plus sombre, nettement plus violente, aussi, et carrément spectaculaire.
Cela devient extrêmement visuel, avec un côté gothique, des clins d'oeil à différentes oeuvres, qui ont elle aussi utilisé Paris et ses monuments (on pense, par exemple, au "Fantôme de l'opéra" ; accrochez-vous, vertige assuré, et pas juste le vertige de l'amour, wo-hohohoho) et la ville s'impose de toute sa force, de toute sa majesté brute, de toute son imposante présence...
Il faudrait parler longuement du style de Catherine Dufour, sa gouaille, son ironie mordante, son humour teinté de cynisme, aussi. Le franc-parler de Myriame est un vrai plaisir de lecture et reflète la force du personnage de Myriame autant que ses convictions affirmées. Ne la cherchez pas, son sens de la repartie est acéré comme une lame, et elle sait parfaitement la manier.
Enfin, il reste un élément à évoquer dans ce billet déjà bien long... C'est l'héroïne. J'en ai déjà dit pas mal à propos de Myriame, mais tout cela est aussi ce qui la met à part de ces héroïnes de romance, au mieux un peu nunuches ou soumises, au pire, insupportables... Myriame a ce côté adulte et responsable qui manque bien souvent à ces demoiselles.
Elle n'a peut-être pas toutes les rênes en main, mais elle n'est pas non plus démunie dans se relation face à Duncan. C'est une vraie joute, un vrai duel, et le caractère de la jeune femme s'affirme tout au long de cette histoire, jusqu'au dénouement où des choix vont s'imposer à elle et où elle va prendre son destin en main en bousculant tout.
Son parcours n'est pas linéaire. De la curiosité initiale, aux questionnements qui vont suivre, de l'attirance qui monte, à la peur, réelle, qu'elle va expérimenter en découvrant qui elle a face à elle, elle reprend très vite ses esprits, même lorsqu'elle doit affronter des situations extraordinaires et fortement déstabilisantes.
C'est une femme de tête, déterminée, qui ne se résigne pas face aux événements contraires, face à ce qui lui est imposé par le sort, et pas seulement lui, d'ailleurs. Elle se bat, on peut se dire qu'il y a quelque chose de désespéré dans sa démarche, et pourtant, c'est cela qui la rend plus forte et belle encore. C'est cela qui fait d'elle, définitivement, une héroïne...