« No War »: une nouvelle saga très prometteuse

Par Mathieu Van Overstraeten @matvano

No War #1 (Anthony Pastor – Editions Casterman)

Le Vukland est un archipel situé au beau milieu de l’Atlantique nord, quelque part entre l’Islande et le Groenland. Il est composé de deux îles principales: Numak et Saarok. Cette dernière est le berceau des Kiviks, un peuple autochtone au mode de vie traditionnel et proche de la nature. Leur culture accorde notamment beaucoup d’importance aux « Kafikadik », d’étranges pierres qu’on trouve dans les sources chaudes. L’île de Saarok – beaucoup plus petite que Numak – jouit d’une certaine autonomie. Mais les choses sont en train de changer. L’élection d’un nouveau président populiste à la tête du Vukland renforce les tensions entre les habitants des deux îles, tandis qu’un projet de grand barrage situé en plein territoire sacré des Kiviks suscite une vive résistance. A tel point que le gouvernement décide de maintenir tous les bateaux à quai entre Numak et Saarok après qu’on ait retrouvé le corps sans vie de l’ingénieur principal du barrage. De toute évidence, il s’agit d’un assassinat, les mots « No dam » (« pas de barrage ») ayant été inscrits sur son front. Dans le même temps, des violentes manifestations éclatent dans la capitale, suite à l’élection contestée du nouveau président. Au milieu de ce chaos grandissant, Run est un adolescent qui a du mal à trouver sa place. Pas seulement parce que ses parents ont divorcé, mais surtout parce qu’il se retrouve tiraillé entre deux cultures: sa mère est l’une des principales figures de proue du parti Kivik, tandis que son père est à la tête de l’entreprise qui est derrière le fameux projet de barrage. Sans le vouloir, Run va se retrouver au cœur d’un fameux conflit politico-écologique.

Après « Le sentier des reines » (et sa suite « La Vallée du diable »), Anthony Pastor change totalement de registre et de décor avec « No War ». L’auteur français troque le thriller historique pour une ambitieuse saga politique et sociale. Celle-ci s’annonce d’ores et déjà comme une série au long cours puisque l’éditeur prévoit la parution d’un nouvel épisode tous les six mois. Les tomes 2 et 3 sont annoncés pour l’automne 2019 et le printemps 2020, tandis qu’Anthony Pastor a déjà écrit les scénarios des six premiers épisodes. Une fameuse performance, surtout quand on constate que le tome 1 totalise près de 120 pages! Pour pouvoir tenir cette cadence infernale, Anthony Pastor a changé sa manière de dessiner, en optant pour un dessin plus narratif et plus graphique. Un style plus proche d’un Hugo Pratt ou d’un Bastien Vivès, que Pastor cite comme ses deux principaux modèles. « Pour moi, Bastien Vivès est un exemple de force graphique », affirme-t-il. Au niveau du scénario, par contre, on est davantage dans la série Netflix que dans la bande dessinée traditionnelle. « No War » est une histoire haletante et bien construite, dans laquelle on suit une dizaine de personnages en parallèle. Mais ce qui fait surtout la force de cette nouvelle saga, c’est sa connexion avec les préoccupations de notre époque. Même si l’action se situe dans un pays imaginaire, le Vukland, « No War » aborde des thèmes très actuels: l’écologie, l’injustice sociale, le racisme, le populisme. Un tome 1 particulièrement prometteur, donc, qui marque peut-être le début d’une des séries BD les plus intéressantes des années à venir.