Le dernier recueil de Séverine Daucourt, Transparaître, est aussi celui qui s’inscrit le plus résolument dans la tradition littéraire féministe, que la chanteuse et poète s’était jusqu’ici ingéniée à contourner ou détourner. Dans Transparaître, une première personne raconte des avortements, des menstruations (« un poème mensuel »), des insultes (reçues ou proférées), un viol, des accouchements…. c’est-à-dire, par accumulation, l’effet du temps sur ce que Beauvoir appellerait la « formation » psychologique de la féminité (« … on le devient »).
« La féminité, c’est de la putasserie » : comme Virginie Despentes à qui Libé l’a comparée, Séverine Daucourt décrit la « mascarade féminine » (p.105) comme une performance de genre au service du désir masculin. Mais c’est une « performance » au sens sportif plutôt qu’artistique. Être femme signifie monter « en selle » pour être « celle / qui doit servir » le « sel » (p.58). Être femme signifie brusquer, quantifier, aller trop loin trop vite : « je suis entrée en maternel un peu trop tôt ». Tout l’art consiste, pour laisser entendre les transitions manquées, à faire revenir, résonner, ce qui est passé trop vite, grâce à la répétition et l’assonance : « personne ne voit ma personne / personne personne » (p.50).
En cela, Transparaître n’est ni un essai, ni une autobiographie. Le recueil fait varier la place des pronoms masculins et féminins et tente de compliquer les « règles » féminines du « je ». Pour l’autrice de Dégelle, décrire le « bordel » (p.16), c’est aller chercher les bords d’elle. Mais la possibilité d’un unisson, d’une concorde même temporaire, semble s’être éloignée depuis Dégelle : « je n’ai pas même pensé je me suis fait violer mais juste à ce problème / d’accord masculin ou féminin du participe passé » (p.77).
Privée des possibilités « d’accord », saisie par la « crue » mensuelle féminine (p.17) qui l’empêche d’être crue, la voix lyrique est divisée non plus par les différences de genre, mais par les discordances qu’elle découvre en elle-même : les « amas d’amants » qu’elle compte « de dizaine en dizaine » la conduisent à « [s]e décimer » (p.54), à « [mettre] en pièces » (p.45). Les deux pôles de ce déchirement sont la « pornographie » de sa jeunesse (p.117) et le « voile d’indifférence intégrale » qui recouvre les femmes âgées (1). Entre les deux, le recueil ménage pourtant le désir de « transparaître », ni disparue ni offerte au « regard », comme dans le poème de la page 72 :
Voir ailleurs : une recension sur remue.net, une présentation du recueil chez Libération, un extrait du recueil dans l’anthologie permanente de Poezibao, et une lecture de poèmes par leur autrice sur vimeo.
Séverine Daucourt, transparaître, Lanskine, mars 2019, 146 p., 15€.
(1) A ce sujet précisément, Celle que vous croyez de Camille Laurens est adapté au cinéma, et en salle depuis quelques semaines : courons-y.