Dans "La naissance". (c) La ville brûle.
Mai 68 a incontestablement apporté un coup de neuf à la littérature de jeunesse. Un vent frais qui a fait tomber quelques murs de la bien-pensance, a vivifié les esprits et a permis la création d'albums qui ne verraient sans doute plus le jour aujourd'hui, cinquante ans plus tard... Parmi ceux-ci, l'œuvre merveilleuse et abondante d'Agnès Rosenstiehl, née à Paris en 1941, qui révolutionne le genre par son fin trait noir, son graphisme épuré et ses textes minimalistes, par ses héroïnes espiègles et libres également. Ses livres ont peu à peu disparu des rayons des librairies au fil des non-réimpressions. Heureusement, Marianne Zuzula des Editions La ville brûle a eu la bonne idée de rééditer trois livres en noir et blanc de la créatrice de Mimi Cracra, ses trois premiers, "De la coiffure" (1967), "La naissance" (1973) et "Les filles" (1976). Génial, ils n'ont pas pris une ride.
"La naissance" parle donc d'amour aux enfants. Sans tabou, avec justesse, avec art. Un petit garçon et une petite fille rentrent de l'école. Ils discutent. Lui annonce qu'il sera grand frère. Elle répond le peu qu'elle sait d'une grossesse. Ensuite, ils partagent leurs informations, souvent obtenues du papa ou de la maman. La rencontre des parents, l'amour, les baisers, le désir, la grossesse, la vie à deux, le corps masculin et le corps féminin, l'embryon et le fœtus, la naissance, pour en revenir à l'avenir des deux enfants qui sera avec enfants ou pas.
L'ouverture aux autres modes de vie. (c) La ville brûle.
Guère de différences entre les deux éditions. Le marié a disparu d'un dessin. La mise en pages tient parfois mieux compte du pli central pour mettre les illustrations en valeur. Le texte est parfois légèrement modifié pour être plus compréhensible ou s'ouvrir aux nouveaux modes de vie en famille, à l'allaitement par la maman ou aux biberons du papa... Mais l'album d'Agnès Rosenstiehl demeure un chef-d'œuvre qui répond clairement et franchement aux questions que se posent les enfants. L'auteure-illustratrice aborde autant la sexualité que l'amour dans ses diverses formes. Avec une telle légèreté qu'on admire la facilité qu'elle offre. Quant aux dessins, ils sont suffisamment réalistes pour être explicites et tellement simples et évidents qu'ils permettent toutes les identifications. Cet album est véritablement magnifique et indispensable par sa légèreté de ton dans un sujet essentiel.
Heureuse réédition qui remplace celle de 2008 par Autrement Jeunesse, maison d'édition qui a été fermée et pour laquelle Agnès Rosenstiehl avait beaucoup travaillé en tant qu'éditrice, y créant notamment une formidable collection de peinture pour les plus jeunes.
1977. (c) Le Centurion.
2018. (c) La ville brûle.
L'album "La naissance" pourrait-il encore être créé aujourd'hui? Pas sûr tellement l'époque où nous vivons est devenue pudibonde. Alors que les enfants ont toujours autant besoin qu'on leur explique avec naturel les choses de la vie.
"Moi, je suis une fille, tu connais?", commence l'héroïne. "Montre", lui répond un blondinet. Et les voilà partis pour se dénuder, se montrer l'un l'autre leur sexe, le toucher, se chatouiller, jouer au pipi le plus loin, se bagarrer pour de rire... Des intérêts universels, tellement bien mis en scène. Comment être choqué? Pas plus que quand la demoiselle à la sombre chevelure explique à son camarade qu'elle aura ses règles plus tard. La deuxième partie de l'album est délicieuse aussi quand elle explique ce qu'aiment faire les filles, bousculant tellement son comparse qu'elle en rate presque un goûter préparé par lui. C'est mal connaître ces enfants qui se jaugent et montent sur leurs grands chevaux pour mieux se réconcilier et s'aimer.
"Les filles". (c) La ville brûle.
Les images sont délicieuses encore une fois dans leur liberté et leur vérité, dans le plaisir qu'elles disent et dans celui qu'elles donnent. Le ton extra avec cette féministe en herbe qui joue à être dire. Et l'album s'achève sur l'idée de parler des garçons.
"Les filles". (c) La ville brûle.
La premier et modeste proposition. (c) La ville brûle.
La réalité. (c) La ville brûle.