Des bestioles qui sont à prendre au figuré, je le précise, il ne sera pas question ici de prédation et de repas goulus... Non, c'est tout autre chose qui va nous intéresser dans ce billet et c'est plutôt les mots "Confiance en toi" qu'il faut souligner, car ils vont sous-tendre tout ce court roman en forme de conte philosophique, dans un univers que nous connaissons tous, mais que nous allons découvrir sous un angle bien différent. "Moi, Peter Pan", de Michaël Roch (qui vient de paraître en poche chez Folio), est l'occasion de découvrir non seulement un jeune et talentueux auteur, à la plume précise et intelligente, mais aussi une maison d'édition qui monte, qui monte, Mü Editions, qui a publié ce livre en grand format et dont nous reparlerons forcément dans les mois qui viennent. Après J.M. Barrie, son créateur, après Disney ou Spielberg, voici un nouveau regard sur ce personnage si touchant qu'est Peter Pan, à travers une introspection en plusieurs temps, où chaque rencontre, même les plus surprenantes, viennent nourrir la réflexion...
Et si la vie au Pays imaginaire n'était pas si rose ? Et si être enfant et le demeurer le plus longtemps possible n'empêchait pas de devoir affronter les doutes et les douleurs que nous expérimentons tous un jour ou l'autre ? On accueille toujours de nouveaux enfants perdus qui rejoignent ce monde merveilleux, avec Peter pour les accueillir, les intégrer à cette société si spéciale.
Peter, et sa présence rassurante, tranquillisante, sa bonne humeur éternelle, son charisme qui en fait un chef respecté, révéré... Mais un Peter qui, lorsqu'il se retrouve dans l'intimité, laisse transparaître des failles profondes. Et la première d'entre elle, c'est une solitude immense, comme si le départ de Wendy avait laissé un vide immense, impossible à combler.
Mais si on ne grandit pas au Pays imaginaire, Peter a bel et bien vieilli et surtout, il n'est plus heureux. Le doute le tenaille, ce sont ces fameuses bestioles évoquées dans le titre, qui menacent sans cesse de lui grignoter le coeur et le cerveau dès qu'il se met à penser. Penser à lui, à son existence, à l'incomplétude de celle-ci, à ces maux qu'il ne sait comment éviter...
Et tout cela est d'autant plus difficile qu'il est le garant du Pays imaginaire, pas seulement de la société que composent les Enfants perdus, mais de l'ensemble de cet univers merveilleux, puisqu'il en est le coeur et le cerveau. S'il se laisse entraîner vers le fond, vers la dépression qui le menace, vers un état qui ressemble à cet âge adulte qu'il a toujours repoussé, alors tout s'effondrera...
Devant les Enfants perdus, Peter assume, joue le rôle qu'on attend de lui, grand frère bienveillant et taquin, celui qui lance les jeux ou les concours de grimaces, mais il est de plus en plus difficile pour lui de masquer les sentiments sombres qui l'habitent jour et nuit. De dompter l'angoisse qu'il sent monter comme une marée, et qu'il refoule à grand peine.
"Ce n'est jamais plaisant quand on va mal", disait souvent Wendy... Wendy, dont le départ est certainement la source de tous les maux qui assaillent Peter. Comme si en quittant le pays imaginaire, elle avait emporté avec elle une grosse part d'enfance. Une énorme part d'insouciance... Et désormais, Peter doit lutter contre lui-même pour ne pas se perdre...
Heureusement, il n'est pas seul. Oh, ne parlons pas des enfants, dont le rôle est justement de permettre à Peter de laisser de côté ses interrogations quelques instants. Mais il y a tous les autres habitants de l'île, ce que nous connaissons tous, Lily la Tigresse et les Peaux-Rouges, le capitaine Crochet, la fée Clochette, et d'autres que Peter va croiser au gré d'une promenade introspective à travers l'île.
A chacune des rencontres, qu'elle soit intime, inopinée ou tumultueuse, car Peter n'est pas forcément partout le bienvenu sur l'île, c'est l'occasion de se poser une question, d'aborder un sujet de réflexion, de vider un abcès ou simplement de regarder l'existence avec lucidité, et non plus avec ce déni qui fonde le Pays imaginaire...
Et au-delà même de la personne de Peter et de ses soucis personnels, les questions qui sont abordées au cours des différentes étapes de ce périple, ce sont des questions qui nous concernent tous, car tous, nous doutons, tous nous devons affronter quotidiennement des situations délicates, tous nous avons une relation au monde et à autrui qui peut vite devenir conflictuel.
Au fil des discussions, ce ne sont pas seulement les problèmes de Peter qui vont apparaître, mais ceux de tous les habitants de l'île, y compris ceux qui ont grandi. Car tous, à part peut-être les enfants, en tout cas les derniers arrivés, qui doivent encore se dépouiller (et s'épouiller) de leur vie terrestre, tous ont choisi de se défiler et de ne pas affronter les difficultés qui se sont présentées à eux.
Mais tout cela, c'est terminé. Il n'est plus possible de faire semblant. Il n'est plus possible de repousser cet âge adulte qui s'immisce partout, dans chaque lézarde de son esprit, à chaque instant. L'heure est venue d'affronter ses peurs, ses doutes, ses inquiétudes. L'heure est venue de grandir, enfin, d'accepter l'inéluctable. Et ce monde effrayant qui vient dans le sillage de l'age adulte...
"Moi, Peter Pan" est un court roman, 136 pages dans ce format de poche chez Folio, avec une taille de caractères et un interlignage marqués. C'est donc un texte qui se lit aisément d'une traite, comme s'il s'agissait d'un unique plan séquence qui se déroule sous nos yeux. Ce n'est pas tout à fait vrai, on ne suit pas Peter pas à pas, mais c'est tout comme.
On est en tout cas avec lui à chacune des rencontres de cette nuit pas tout à fait comme les autres, une nuit où le sommeil fuit Peter, trop obnubilé par ces questions existentielles, ces fameuses bestioles qu'il évoque d'emblée et qu'il essaye d'endormir, comme on anesthésie les abeilles d'une ruche pour prélever le miel, mais qu'il se refuse encore à combattre.
Et avec lui, on aborde des sujets qui pourraient faire de ce roman un parfait ouvrage pour préparer le bac philo. Je suis sérieux ! Chaque chapitre, chaque rencontre est l'occasion d'une réflexion sur un sujet fort : la nature même de l'existence, la réalité et le mensonge, le temps, l'amour et le bonheur, la différence, qui entraîne la discrimination, l'âme, l'acceptation et l'estime de soi...
Eh oui, vous le voyez, c'est un texte court, mais dense. Et le talent de Michaël Roch, c'est justement d'assigner à chaque personnage que rencontre Peter un de ces sujets, évidemment en lien avec ce qu'il est ou avec la relation qu'il entretient avec le garçon. Cette fois, on laisse tomber les masques et les rôles, on ouvre son coeur, son âme et on échange, sincèrement, sans arrière-pensée.
Même avec ceux qu'on pourrait qualifier d'ennemis, c'est l'occasion de confronter les points de vue, de partager les expériences, de regarder comment les uns et les autres ont géré les soucis qui aujourd'hui taraudent Peter. Et s'il n'y a pas forcément de réponse imparable à chaque fois, il y a toujours quelque chose à prendre pour faire avancer les choses. Pour faire un pas de plus vers un but.
Et ce but, c'est cette fameuse confiance en soi... En cela, nous sommes certainement nombreux à se retrouver dans le personnage de Peter Pan : rongé par le doute, à tort ou à raison, il a préféré prendre une déviation et s'engager vers ce monde imaginaire où l'on fait abstraction de ces soucis. Où l'enfance écrase tout et ne laisse aucune chance à l'âge adulte d'étendre ses vilains tentacules.
Qui n'a pas eu ces mêmes peurs, au moment de quitter le confort (relatif) de l'enfance et de se lancer, tel l'oisillon se jetant dans le vide et espérant qu'il saura instinctivement comment voler, dans la vie active ? Qui ne s'est pas demandé s'il allait y arriver ou s'il allait se crasher lamentablement ? Qui n'a pas eu envie de retarder ce moment ?
Cette confiance, elle se gagne, elle se perd. Elle se construit peu à peu, ce n'est pas un capital de départ dont tout le monde dispose, comme les points de vie d'un jeu de rôle. Certains en ont naturellement, d'autres savent bluffer tout en flippant sévère et d'autres sont paralysés. Peter est sans doute dans cette dernière catégorie.
La version du personnage que nous offre Michaël Roch est celle d'un hyper-sensible qui camoufle sous ses comportements d'enfant, ses jeux, ses grimaces, ses blagues et ses piques, ses blessures et ses angoisses. Et il faut de la force pour continuer malgré tout. Malgré le départ de Wendy, qui l'a dévasté, malgré les bestioles, tout le temps à l'affût.
Ce n'est plus le Peter éternel enfant, on a d'ailleurs même la sensation, mais je me trompe peut-être, que physiquement, il n'a déjà plus rien d'un enfant. En cela, cette version de Peter Pan s'approche plus de celle de "Hook" et d'un Robin Williams qui ne trompe plus grand-monde en voulant continuer à croire qu'il est un enfant.
Ici, c'est encore l'étape suivante : le moment n'est-il pas venu de cesser ce qui est devenu un mensonge ? Peter n'est plus un enfant, l'heure est venue de se comporter comme un adulte, d'assumer, de prendre le risque d'échouer et de souffrir. Mais il souffre déjà, alors... Paradoxalement, dans le livre, c'est lui qui va asséner à un autre personnage qu'il se ment à lui-même... Jeu de miroirs...
J'en vois qui commencent à se crisper en lisant ce billet : mais c'est quoi, ce bouquin ? C'est vraiment Peter Pan ? Eh oui, c'est bien lui, mais c'est vrai qu'il s'agit d'un regard très introspectif, un peut comme si l'on déchirait le rideau et qu'on découvrait l'envers du décor, comme si on mettait à jour le sous-texte, ce que l'auteur suggère sans l'expliciter...
L'enfance éternelle de Peter est un costume, celui du rôle qu'il incarne et qu'il s'est dessiné sur mesure. Dans "Moi, Peter Pan" (titre qui rappelle le syntagme de la fameuse anaphore d'un candidat à la présidentielle), ce n'est plus le personnage que l'on rencontre, mais le véritable Peter, débarrassé de ses oripeaux, mis à nu moralement...
C'est un véritable conte philosophique, oui. Un Candide en souffrance dans le meilleur des mondes, puisqu'il a été imaginé pour l'être. Pour autant, ne soyez pas effrayés par le terme, c'est surtout une balade pleine de poésie et de douceur, malgré la gravité des sujets abordés, dans un univers que l'on regarde sous un autre angle. Comme un décor qu'on découvrirait une fois les projecteurs éteints.
Il y a d'ailleurs quelque chose d'assez étonnant dans ce livre, troublant presque : le personnage de Peter se décide à affronter la réalité dans une démarche qui elle, se déroule comme s'il rêvait (aux frontières du cauchemar, par moments), comme s'il examinait le champ des possibles en s'y projetant par la pensée...
L'écriture de Michaël Roch est simple, mais limpide. Elle véhicule les riches émotions qui sont présentes tout au long du livre, vous en avez une belle palette qui se dégage de ce qui précède, mais aussi l'humour lors de la scène d'ouverture, jusqu'à l'absurde de certaines rencontres pour aboutir au choix final : que va décider Peter, bordel ?
Michaël Roch nous offre un très beau voyage au Pays imaginaire, sans doute pas celui que vous connaissez, sans doute pas celui que vous attendez. Mais cela ne le rend pas moins fascinant, au contraire. Il prend une autre apparence, un peu plus sombre, un peu plus brumeuse. Il y a déjà une certaine nostalgie de ces lieux, de ces habitants, comme s'il fallait, quoi qu'il arrive, se résoudre à aller de l'avant.
On s'interroge, on suit le parcours sinusoïdal d'un Peter Pan qui oscille du rire aux larmes, de l'ironie à la gravité, presque bipolaire, funambule sur le fil qui sépare l'enfance de l'âge adulte. On le suit dans sa démarche courageuse, mais surtout nécessaire, pour son bien-être, pour l'apaisement de son esprit en effervescence.
Je n'ai pas encore lu le nouveau roman de Michaël Roch, "Le Livre jaune", tout juste sorti chez Mü Editions, mais cette première expérience donne envie de poursuivre l'aventure, d'aller plus loin dans la découverte de l'imaginaire de ce jeune auteur, également remarqué pour sa chaîne Youtube. Et continuer à rêver, pour repousser la ténébreuse réalité...
Et si la vie au Pays imaginaire n'était pas si rose ? Et si être enfant et le demeurer le plus longtemps possible n'empêchait pas de devoir affronter les doutes et les douleurs que nous expérimentons tous un jour ou l'autre ? On accueille toujours de nouveaux enfants perdus qui rejoignent ce monde merveilleux, avec Peter pour les accueillir, les intégrer à cette société si spéciale.
Peter, et sa présence rassurante, tranquillisante, sa bonne humeur éternelle, son charisme qui en fait un chef respecté, révéré... Mais un Peter qui, lorsqu'il se retrouve dans l'intimité, laisse transparaître des failles profondes. Et la première d'entre elle, c'est une solitude immense, comme si le départ de Wendy avait laissé un vide immense, impossible à combler.
Mais si on ne grandit pas au Pays imaginaire, Peter a bel et bien vieilli et surtout, il n'est plus heureux. Le doute le tenaille, ce sont ces fameuses bestioles évoquées dans le titre, qui menacent sans cesse de lui grignoter le coeur et le cerveau dès qu'il se met à penser. Penser à lui, à son existence, à l'incomplétude de celle-ci, à ces maux qu'il ne sait comment éviter...
Et tout cela est d'autant plus difficile qu'il est le garant du Pays imaginaire, pas seulement de la société que composent les Enfants perdus, mais de l'ensemble de cet univers merveilleux, puisqu'il en est le coeur et le cerveau. S'il se laisse entraîner vers le fond, vers la dépression qui le menace, vers un état qui ressemble à cet âge adulte qu'il a toujours repoussé, alors tout s'effondrera...
Devant les Enfants perdus, Peter assume, joue le rôle qu'on attend de lui, grand frère bienveillant et taquin, celui qui lance les jeux ou les concours de grimaces, mais il est de plus en plus difficile pour lui de masquer les sentiments sombres qui l'habitent jour et nuit. De dompter l'angoisse qu'il sent monter comme une marée, et qu'il refoule à grand peine.
"Ce n'est jamais plaisant quand on va mal", disait souvent Wendy... Wendy, dont le départ est certainement la source de tous les maux qui assaillent Peter. Comme si en quittant le pays imaginaire, elle avait emporté avec elle une grosse part d'enfance. Une énorme part d'insouciance... Et désormais, Peter doit lutter contre lui-même pour ne pas se perdre...
Heureusement, il n'est pas seul. Oh, ne parlons pas des enfants, dont le rôle est justement de permettre à Peter de laisser de côté ses interrogations quelques instants. Mais il y a tous les autres habitants de l'île, ce que nous connaissons tous, Lily la Tigresse et les Peaux-Rouges, le capitaine Crochet, la fée Clochette, et d'autres que Peter va croiser au gré d'une promenade introspective à travers l'île.
A chacune des rencontres, qu'elle soit intime, inopinée ou tumultueuse, car Peter n'est pas forcément partout le bienvenu sur l'île, c'est l'occasion de se poser une question, d'aborder un sujet de réflexion, de vider un abcès ou simplement de regarder l'existence avec lucidité, et non plus avec ce déni qui fonde le Pays imaginaire...
Et au-delà même de la personne de Peter et de ses soucis personnels, les questions qui sont abordées au cours des différentes étapes de ce périple, ce sont des questions qui nous concernent tous, car tous, nous doutons, tous nous devons affronter quotidiennement des situations délicates, tous nous avons une relation au monde et à autrui qui peut vite devenir conflictuel.
Au fil des discussions, ce ne sont pas seulement les problèmes de Peter qui vont apparaître, mais ceux de tous les habitants de l'île, y compris ceux qui ont grandi. Car tous, à part peut-être les enfants, en tout cas les derniers arrivés, qui doivent encore se dépouiller (et s'épouiller) de leur vie terrestre, tous ont choisi de se défiler et de ne pas affronter les difficultés qui se sont présentées à eux.
Mais tout cela, c'est terminé. Il n'est plus possible de faire semblant. Il n'est plus possible de repousser cet âge adulte qui s'immisce partout, dans chaque lézarde de son esprit, à chaque instant. L'heure est venue d'affronter ses peurs, ses doutes, ses inquiétudes. L'heure est venue de grandir, enfin, d'accepter l'inéluctable. Et ce monde effrayant qui vient dans le sillage de l'age adulte...
"Moi, Peter Pan" est un court roman, 136 pages dans ce format de poche chez Folio, avec une taille de caractères et un interlignage marqués. C'est donc un texte qui se lit aisément d'une traite, comme s'il s'agissait d'un unique plan séquence qui se déroule sous nos yeux. Ce n'est pas tout à fait vrai, on ne suit pas Peter pas à pas, mais c'est tout comme.
On est en tout cas avec lui à chacune des rencontres de cette nuit pas tout à fait comme les autres, une nuit où le sommeil fuit Peter, trop obnubilé par ces questions existentielles, ces fameuses bestioles qu'il évoque d'emblée et qu'il essaye d'endormir, comme on anesthésie les abeilles d'une ruche pour prélever le miel, mais qu'il se refuse encore à combattre.
Et avec lui, on aborde des sujets qui pourraient faire de ce roman un parfait ouvrage pour préparer le bac philo. Je suis sérieux ! Chaque chapitre, chaque rencontre est l'occasion d'une réflexion sur un sujet fort : la nature même de l'existence, la réalité et le mensonge, le temps, l'amour et le bonheur, la différence, qui entraîne la discrimination, l'âme, l'acceptation et l'estime de soi...
Eh oui, vous le voyez, c'est un texte court, mais dense. Et le talent de Michaël Roch, c'est justement d'assigner à chaque personnage que rencontre Peter un de ces sujets, évidemment en lien avec ce qu'il est ou avec la relation qu'il entretient avec le garçon. Cette fois, on laisse tomber les masques et les rôles, on ouvre son coeur, son âme et on échange, sincèrement, sans arrière-pensée.
Même avec ceux qu'on pourrait qualifier d'ennemis, c'est l'occasion de confronter les points de vue, de partager les expériences, de regarder comment les uns et les autres ont géré les soucis qui aujourd'hui taraudent Peter. Et s'il n'y a pas forcément de réponse imparable à chaque fois, il y a toujours quelque chose à prendre pour faire avancer les choses. Pour faire un pas de plus vers un but.
Et ce but, c'est cette fameuse confiance en soi... En cela, nous sommes certainement nombreux à se retrouver dans le personnage de Peter Pan : rongé par le doute, à tort ou à raison, il a préféré prendre une déviation et s'engager vers ce monde imaginaire où l'on fait abstraction de ces soucis. Où l'enfance écrase tout et ne laisse aucune chance à l'âge adulte d'étendre ses vilains tentacules.
Qui n'a pas eu ces mêmes peurs, au moment de quitter le confort (relatif) de l'enfance et de se lancer, tel l'oisillon se jetant dans le vide et espérant qu'il saura instinctivement comment voler, dans la vie active ? Qui ne s'est pas demandé s'il allait y arriver ou s'il allait se crasher lamentablement ? Qui n'a pas eu envie de retarder ce moment ?
Cette confiance, elle se gagne, elle se perd. Elle se construit peu à peu, ce n'est pas un capital de départ dont tout le monde dispose, comme les points de vie d'un jeu de rôle. Certains en ont naturellement, d'autres savent bluffer tout en flippant sévère et d'autres sont paralysés. Peter est sans doute dans cette dernière catégorie.
La version du personnage que nous offre Michaël Roch est celle d'un hyper-sensible qui camoufle sous ses comportements d'enfant, ses jeux, ses grimaces, ses blagues et ses piques, ses blessures et ses angoisses. Et il faut de la force pour continuer malgré tout. Malgré le départ de Wendy, qui l'a dévasté, malgré les bestioles, tout le temps à l'affût.
Ce n'est plus le Peter éternel enfant, on a d'ailleurs même la sensation, mais je me trompe peut-être, que physiquement, il n'a déjà plus rien d'un enfant. En cela, cette version de Peter Pan s'approche plus de celle de "Hook" et d'un Robin Williams qui ne trompe plus grand-monde en voulant continuer à croire qu'il est un enfant.
Ici, c'est encore l'étape suivante : le moment n'est-il pas venu de cesser ce qui est devenu un mensonge ? Peter n'est plus un enfant, l'heure est venue de se comporter comme un adulte, d'assumer, de prendre le risque d'échouer et de souffrir. Mais il souffre déjà, alors... Paradoxalement, dans le livre, c'est lui qui va asséner à un autre personnage qu'il se ment à lui-même... Jeu de miroirs...
J'en vois qui commencent à se crisper en lisant ce billet : mais c'est quoi, ce bouquin ? C'est vraiment Peter Pan ? Eh oui, c'est bien lui, mais c'est vrai qu'il s'agit d'un regard très introspectif, un peut comme si l'on déchirait le rideau et qu'on découvrait l'envers du décor, comme si on mettait à jour le sous-texte, ce que l'auteur suggère sans l'expliciter...
L'enfance éternelle de Peter est un costume, celui du rôle qu'il incarne et qu'il s'est dessiné sur mesure. Dans "Moi, Peter Pan" (titre qui rappelle le syntagme de la fameuse anaphore d'un candidat à la présidentielle), ce n'est plus le personnage que l'on rencontre, mais le véritable Peter, débarrassé de ses oripeaux, mis à nu moralement...
C'est un véritable conte philosophique, oui. Un Candide en souffrance dans le meilleur des mondes, puisqu'il a été imaginé pour l'être. Pour autant, ne soyez pas effrayés par le terme, c'est surtout une balade pleine de poésie et de douceur, malgré la gravité des sujets abordés, dans un univers que l'on regarde sous un autre angle. Comme un décor qu'on découvrirait une fois les projecteurs éteints.
Il y a d'ailleurs quelque chose d'assez étonnant dans ce livre, troublant presque : le personnage de Peter se décide à affronter la réalité dans une démarche qui elle, se déroule comme s'il rêvait (aux frontières du cauchemar, par moments), comme s'il examinait le champ des possibles en s'y projetant par la pensée...
L'écriture de Michaël Roch est simple, mais limpide. Elle véhicule les riches émotions qui sont présentes tout au long du livre, vous en avez une belle palette qui se dégage de ce qui précède, mais aussi l'humour lors de la scène d'ouverture, jusqu'à l'absurde de certaines rencontres pour aboutir au choix final : que va décider Peter, bordel ?
Michaël Roch nous offre un très beau voyage au Pays imaginaire, sans doute pas celui que vous connaissez, sans doute pas celui que vous attendez. Mais cela ne le rend pas moins fascinant, au contraire. Il prend une autre apparence, un peu plus sombre, un peu plus brumeuse. Il y a déjà une certaine nostalgie de ces lieux, de ces habitants, comme s'il fallait, quoi qu'il arrive, se résoudre à aller de l'avant.
On s'interroge, on suit le parcours sinusoïdal d'un Peter Pan qui oscille du rire aux larmes, de l'ironie à la gravité, presque bipolaire, funambule sur le fil qui sépare l'enfance de l'âge adulte. On le suit dans sa démarche courageuse, mais surtout nécessaire, pour son bien-être, pour l'apaisement de son esprit en effervescence.
Je n'ai pas encore lu le nouveau roman de Michaël Roch, "Le Livre jaune", tout juste sorti chez Mü Editions, mais cette première expérience donne envie de poursuivre l'aventure, d'aller plus loin dans la découverte de l'imaginaire de ce jeune auteur, également remarqué pour sa chaîne Youtube. Et continuer à rêver, pour repousser la ténébreuse réalité...