Les albums du mois #6

Les albums du mois #6

Ce mois-ci, j’ai décidé de ne parler que d’un seul album : le dernier Rebecca Dautremer. LE coup de coeur de l’année en album.

Les riches heures de Jacominus Gainsborough, Rebecca Dautremer, éditions Sarbacane, 2018.

Je l’ai vu et revu passer sur les réseaux sociaux, les blogs, les vitrines de libraires, les articles de presse… Et je me suis offert un cadeau : ce superbe livre aux illustrations sublimes et à l’histoire poétique.
J’aime beaucoup le style de Dautremer, que l’on reconnait aussitôt, ses images audacieuses, originales, aux couleurs profondes et lumineuses, aux personnages mutins et tendres à la fois.

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Jacominus ne déroge pas à la règle. Tout est beau, du texte aux illustrations. Une ode à la vie, simple et remplie de petits riens qui la rendent exceptionnelle, aux questions qui la traversent et aux souvenirs à chérir. Les dessins, pour les plus jeunes, sont de véritables peintures qui invitent à la contemplation et pour les plus grands, les références culturelles sont nombreuses, pour leur plaisir, pour pouvoir partager avec les petits ces repères qui font notre patrimoine en matière d’art.

Dès la couverture, le lecteur est invité à entrer dans un monde doux, aérien, délicat, plein de poésie et tendresse, comme le confirme à la fois la quatrième de couverture et la préface. Un album sur la vie, avec tout ce qu’elle comporte : simplicité, joie, tristesse, amitié, amour, aventures… la vie en somme !
Les secondes et troisième de couverture sont utilisées pour valoriser certaines planches intérieures du livre. Sur fond de croquis, chaque personnage est numéroté, renvoyant à son nom. Tel des tableaux de musées, la légende accompagne le lecteur pour qu’il reconnaisse les protagonistes, les apprivoise, en fasse des compagnons de route le long de l’album. Comme des amis intimes, des connaissances de toujours. Nommer tous les personnages, c’est leur donner vie, leur donner de l’importance à chacun d’eux, petit et grand, héros et figurants, on se sent proches d’eux, un peu aussi comme une gigantesque photo de famille, qu’on regarde avec affection.
Un petit mot sur la préface enfin : l’illustratrice invite tous les lecteurs, petits et grand à entrer dans l’univers de Jacominus. Car l’album est un pont entre les jeunes et moins jeunes, un support pour parler de la vie, de sa poésie, et toutes les questions qu’elle engendre !

C’est indéniablement un texte rempli de poésie, de sensibilité. Rebecca Dautremer y évoque tout ce qui fait une vie, celle de Jacominus, avec beaucoup de pudeur et de raffinement (comme elle le dit elle-même dans la préface !). Pas besoin de grandiloquence pour parler de ce que traverse son petit héros, au contraire, des mots simples et de belles tournures suffisent à rendre cette vie humble et tendre.
Sous les doubles pages, quelques lignes, comme des légendes de tableaux, car dans ce cas, c’est l’image qui parle davantage, qui raconte la vie, plus que les mots. Et à l’inverse, quand on voit juste Jacominus sur fond blanc, le texte est plus généreux. Et puis, il y a les portfolio, les collections d’images et de phrases brèves, avec les points de suspension. C’est un peu comme la vie : des fois, on regarde plus que l’on parle et d’autres c’est le contraire, le verbe se gonfle pour raconter ce que l’on ressent et expérimente et puis on tâtonne, pas à pas.

 Passons maintenant à l’organisation visuelle de l’album. Il s’agit d’une véritable recherche de construction, qui oriente le lecteur dans la vie de Jacominus, comme autant de phases clés, d’étapes dans son existence, du début à la fin : naissance, enfance, adolescence, vie adulte, vieillesse… Chacune se compose comme suit : une belle double page digne des tableaux de grands maîtres avec un petit texte, telle une légende, puis sur la page de gauche, une image de Jacominus seul en pleine page à différents âges avec à droite un texte plus important qui évoque cette période et pour les trois moments phares d’une vie (enfance, jeunesse eta adulte) s’intercale une double page comme une collection de photos, qui évoque les souvenirs et les apprentissages. L’organisation régulière de l’album offre au lecteur un rythme et des repères de lecture. Il est guidé tout au long de la vie de Jacominus, pris par la main pour voyager et contempler le destin du héros.

Les dessins de Rebecca Dautremer invitent à la contemplation, sollicitent le lecteur à prendre son temps, faire une pause et observer attentivement tous les éléments, les détails, les personnages, les couleurs… Comme au musée, encore une fois, une grande toile est offerte au sens de la vue, pour le plaisir des yeux. On dirait vraiment des tableaux de maîtres ! Le lecteur peut s’amuser à retrouver Jacominus et ses amis, qui grandissent au fil des pages. Tout est pensé dans le moindre détail, rien n’est laissé au hasard. Chaque peinture forme un tout complet et tellement vivant ! Les couleurs sont chaleureuses, s’adaptent à la scène représentée pour renforcer le sentiment qu’elle procure : joie, tristesse, quiétude… L’ensemble est incroyablement réaliste, touchant et beau.

Enfin, parlons un peu d’intertexualité : il s’agit là des références aux autres oeuvres culturelles. L’album de Rebecca Dautremer en est truffé. Pour notre plus grand plaisir ! En effet, quel régal pour un grand lecteur de chercher les indices qui le renvoient à d’autres créations et de pouvoir le partager avec les plus jeunes. Car toute oeuvre est enrichie de ce qui existe déjà, la rend plus vivante, plus forte et aussi plus complexe, donc plus intéressante à observer et à décoder, elle se propose d’être un support pour transmettre le patrimoine culturel qui élargit les connaissances du lecteur. Mais c’est aussi comme un jeu de piste, de deviner et retrouver ces références, un amusement au delà de la contemplation propre de l’album.
Les renvois à deux auteur-es majeur-es de la littérature jeunesse sont bien présent :
Benjamin Rabier, dessinateur animalier, précurseur de la BD, il s’illustre pour ses scènes anthropomorphiques. Les grandes planches avec tous les animaux m’ont fait pensé à lui. D’ailleurs, on trouve un clin d’oeil à l’auteur dans la deuxième double page, sous forme d’affiche.
Beatrix Potter, la mère de Pierre Lapin. Bien sûr, premier hommage : le personnage de Jacominus, le rongeur aux grandes oreilles. Comme celui de Potter, il a de grands yeux, un trait de dessin tendre. Ensuite, le nom de la grand-mère du héros et son penchant pour l’anglais. Et, toujours dans la deuxième double page, on trouve aussi une affiche de Béatrix Potter.
Voici d’autres exemples d’intertextualité : les photographies du début du XXème siècle, la Première Guerre mondiale, Alice au Pays des Merveilles (la scène de pied)…

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Ainsi, Les riches heures sont un hymne à la vie, à la peinture, à la littérature jeunesse. Un album à mettre dans toutes les mains, à lire et relire, voir et revoir encore et encore. Je vous laisse donc en compagnie de Jacominus et de son univers ! Et retrouvez sur cette page de nombreuses illustrations de l’album et d’autres oeuvres de l’illustratrice.

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