Nous avons toujours vécu au château de Shirley Jackson,
Publié aux éditions Rivages,
" Je m'appelle Mary Katherine Blackwood. J'ai dix-huit ans, et je vis avec ma sœur, Constance. J'ai souvent pensé qu'avec un peu de chance, j'aurais pu naître loup-garou, car à ma main droite comme à la gauche, l'index est aussi long que le majeur, mais j'ai dû me contenter de ce que j'avais. Je n'aime pas me laver, je n'aime pas les chiens, et je n'aime pas le bruit. J'aime bien ma sœur Constance, et Richard Plantagenêt, et l'amanite phalloïde, le champignon qu'on appelle le calice de la mort. Tous les autres membres de ma famille sont décédés. "Constance et Mary-Katherine sont sœurs. Elles habitent dans un manoir avec leur oncle Julian, handicapé. Le trio vit presque en autonomie, à l'écart du village, dans cette somptueuse demeure, légué par le père des deux sœurs. Quand une fois par semaine, Mary-Katherine, la plus intrépide des deux sœurs, fait les courses au village, elle doit affronter les murmures et les moqueries sur son passage. Pourquoi déteste-t-on cette famille au village? Que leur reproche-t-on? Et quelle est cette étrange comptine fredonnée par les enfants du village parlant d'un empoisonnement?
Nous avons toujours vécu au château est un roman étrange. Un roman d'ambiance sombre et tragique. Le point de vue adopté est celui de Mary-Katherine, une bien étrange jeune fille. On sent, dès le départ, qu'un drame a eu lieu dans le manoir des sœurs. Rapidement, Mary-Katherine évoque l'empoisonnement du reste de la famille lors d'un repas, un dimanche. Personne n'y a survécu sauf les filles et l'oncle Julian. Qui les a empoisonnés et pourquoi?
Shirley Jackson instaure un climat d'étrangeté et aime brouiller les pistes. Les sœurs habitent le manoir, à l'écart du village: un manoir de conte de fées où le temps ne semble pas avoir de prise. D'ailleurs qu'en est-il de l'époque? On ne le saura jamais. Les filles vivent comme au 19ème siècle même si certains détails laissent penser que l'intrigue se joue plutôt au 20ème siècle.
Et puis, il y a cette histoire d'empoisonnement. C'est Constance qui semble porter le fardeau du crime. Mais qu'en est-il vraiment? " Cette petite folle de Merrycat " comme elle aime appeler sa sœur avec affection semble aussi traîner un passé lourd. Pourquoi enterre-t-elle des objets dans le jardin? A quoi lui servent ses pensées magiques?
J'ai adoré ce roman pour l'atmosphère qu'il dégage. Il prend le lecteur au dépourvu, lui apportant finalement peu de réponses, le laissant déduire certaines choses, certains faits. C'est un livre qui peut désarçonner car il ne s'y passe pas beaucoup de choses. On sent que les deux sœurs vivent coupées du monde pour une bonne raison. Le rythme du roman monte crescendo et se termine sur une fin énigmatique et glaçante qui ne laissera personne indifférent.
Nous avons toujours vécu au château est un roman fascinant, noir et poétique qui sort des sentiers battus. Une parenthèse maudite pour le lecteur.