Editeur : Autoédition
Dans ce recueil, vous trouverez 17 nouvelles ayant pour thème commun le harcèlement de rue. Parce que nous l'avons déjà vécu et qu'il est toujours mieux d'en parler, de montrer à quel point ça peut arriver à n'importe qui, et ce, peu importe la manière dont on est habillé, peu importe la saison, l'heure, ou encore ce que nous sommes en train de faire. Comme une boite de chocolats, découvrez des histoires diverses dans la forme et dans le fond. Certaines vous révolteront quand d'autres parviendront à vous faire sourire et à vous redonner de l'espoir.
Nouvelle #12 " Même pas peur de Alexandra Estiot
A travers les souvenirs d'une vieille dame qui fête sa centième année sur cette terre, on se rend compte que finalement notre conscience peut nous voiler pas mal de choses. Ou que l'on ne veut pas voir ces choses, du coup eh bien nous ne les voyons vraiment pas. Ce qui ne les empêchent pas d'exister.
Si cette dame n'a pas vécu de drame comme beaucoup d'autres, elle est chanceuse, mais en y regardant de près, se voiler la face, n'est-ce pas non plus une forme de harcèlement ? Un harcèlement moral que nous nous faisons subir à nous-même ? Finalement, elle aussi est une victime de harcèlement, mais elle en est également la responsable.
Je vais peut-être chercher un peu loin dans ce raisonnement, mais c'est de cette manière que j'ai ressenti ce récit en arrivant à la fin. Surtout lorsque nous rencontrons la petite Judith qui va échanger quelques mots avec cette dame.
Si vous avez lu ce recueil, n'hésitez pas à me dire si vous aussi vous avez eu ce sentiment avec cette nouvelle.
Alexandra Estiot en 5 questions
Tout d'abord, je tiens à te remercier d'avoir accepté de répondre à mes questions.
Le principe est simple, pour chacun des auteurs de ce recueil, je vais poser cinq questions, chaque fois les mêmes. Pas besoin de faire un roman pour les réponses, quelques mots suffisent souvent à dire beaucoup de choses.
Pourquoi avoir décidé de participer à ce recueil contre le harcèlement de rue ?
Quand ont été rendues publiques les multiples agressions commises par Weinstein, j'ai été sidérée par les réactions en chaîne. La façon dont on a pu le déshumaniser d'abord, avec ce qualificatif de " prédateur " : ce n'était plus un homme, mais un cas particulier ; pas tout à fait un monstre mais pas un homme non plus ; un animal, donc. Et puis il y a eu les témoignages sur Twitter et on a traîné dans la boue les femmes qui parlaient. L'amalgame entre dénonciation et délation m'a rendue folle de rage. C'est comme ça que mon personnage est née, cette vieille dame, qui réagit comme je réagissais mais qui, contrairement à moi, ne comprend pas la violence de ses sentiments, parce qu'elle n'a jamais pris conscience que elle, comme sa mère, ses sœurs, ses voisines, a subi cette oppression. J'étais en cours d'écriture quand j'ai vu passer l'appel à textes de Sandra et Charlotte pour le recueil. Et j'ai tenté ma chance !
Qu'espères-tu comme réaction de la part des lecteurs face à ce recueil ?
J'aimerais avant tout que chacun réfléchisse à toutes les formes que l'oppression peut prendre. Ce que l'on a appelé le harcèlement de rue en fait partie, même dans ses formes " légères " : reluquer, interpeller, siffler une femme est l'expression d'un droit que les hommes pensent avoir sur les femmes et plus précisément sur leurs corps. Hors ce droit n'existe pas et il faut poser cet interdit dès qu'il se manifeste et avant qu'il ne s'exprime dans des formes plus violentes. Le harcèlement de rue répond au même principe que l'agression sexuelle, le viol, le " meurtre conjugal ", l'interdiction de l'avortement : les femmes sont dépossédées de leurs corps. Si je parle des femmes, ce n'est pas que je considère le racisme ou l'homophobie comme moins condamnables. Ce sont d'autres formes d'une oppression qui est de même nature. Tout progrès dans une sphère devrait pouvoir bénéficier aux autres sphères. Mais cela prend du temps : la loi réprime les propos racistes, elle a mis du temps pour étendre l'interdit aux propos homophobes et le chemin reste à faire pour les propos sexistes.
Crois-tu que ce recueil aura un impact sur la manière d'agir des gens ?
Je ne sais pas. D'un côté, je pense que la fiction peut jouer le même rôle pour un lecteur que pour un proche de victime, un peu comme ces personnes qui, après avoir été mis au courant de l'homosexualité d'un parent, vont revenir sur leurs a priori homophobes ; ou ceux qui cessent de considérer qu'une jupe courte justifie le tripotage quand il s'agit de leur sœur. D'un autre côté, je crains que ceux qui liront ce recueil ne soient déjà des " sympathisants ".
Quelle serait, selon toi, la solution pour venir à bout du harcèlement, et ce, peu importe la forme qu'il prend ?
Il y a quelques années, une journaliste a demandé à Michel Houellebecq la qualité qui, pour lui, était l'essentielle. " La compassion " a-t-il répondu. Et au pourquoi de la journaliste : " parce que ça suffit ". Considérer l'autre comme un semblable, souffrir comme lui, suffit à arrêter un geste qui conduirait à le faire souffrir. Cette compassion me semble être là dès lors que l'on considère l'autre comme son semblable et que c'est donc cette dernière condition qu'il faut assurer. Je sais ce que cette réponse a d'idéaliste, que sa mise en pratique n'a rien d'évident. Je crois aussi que c'est le principe fondamental de la République et que l'école le porte et l'enseigne, avec de vrais résultats lorsque la mixité sociale est assurée.
Que ce soit à la victime ou au harceleur, quel message voudrais-tu leur faire passer ?
Lisez le recueil ?
Eh bien voilà, c'est terminé, encore une fois je te remercie d'avoir prit un peu de ton temps pour répondre à mes questions.