De purs hommes
Mohamed Mbougar Sarr
Philippe Rey
2018
190 pages
Le roman démarre sur un fait divers : la vidéo montrant le cadavre d’un homme déterré puis traîné hors du cimetière pour la simple raison que les homosexuels, les goor jigeens n’ont pas droit à être enterrés dans un cimetière musulman. Ils profanent la pureté de la foi.
Terribles sont certaines paroles proférées par un ex-futur imam :
« Je ne hais pas ces gens, je ne souhaite pas leur mort, mais je ne veux pas que ce qu’ils font, ce qu’ils sont, soit considéré comme normal dans ce pays. Si c’est ça être homophobe, j’assume de l’être. Chaque pays a des valeurs sur lesquelles il s’est construit. Nos valeurs ne sont pas celles-là. Tout simplement. On ne peut pas les accepter comme quelque chose de banal, ce serait le début de notre mort, une trahison de nos ancêtres et de nos pères spirituels. Pire : une trahison de Dieu. Pour moi, c’est clair : si une minorité menace la cohésion et l’ordre moral de notre société, elle doit disparaître. Au moins, elle doit être réduite au silence, par tous les moyens. »
Ce roman nous ouvre les yeux sur la réalité de ce que vivent les homosexuels dans certains pays du monde, ici le Sénégal. La religion dans ce cas, tue l’humanité. La religion et la bêtise humaine, l’intolérance et le poids des coutumes… autant d’obstacles à la liberté de chaque être humain.
La particularité de l’écriture de ce roman réside dans son magnifique cheminement. Plus l’histoire se déroule et plus elle se fait envoûtante, frénétique, jusqu’à l’apothéose. Les réflexions se font de plus en plus philosophiques, et remuent ce qu’il y a de plus profond en nous, concernant nos préjugés. C’est un livre qui interroge sur l’humain, sur les relations humaines et sur ce qui fait qu’on peut se regarder ou pas dans une glace. Que devons-nous faire de notre existence ? Doit-on aller jusqu’au bout de ses convictions, au risque d’y perdre sa vie ?
Très intéressante cette réflexion sur la notion de secret qui n’est déjà plus … dès lors qu’il est révélé, que l’on a mis des mots dessus.
« Un secret qu’on se dit, qu’on se dit à soi-même sous une forme claire, est déjà perdu. Il ne peut exister qu’en nous, en ce soi trouble, ce cloître mal éclairé où la vérité doit non seulement toujours s’entourer d’ombres, mais encore être une part de cette ombre. Un vrai secret n’est jamais clair, même à sa propre conscience. Alors deux consciences pour un secret, c’est trop à mes yeux. Dès qu’on le dit, on le trahit et doublement : d’abord parce qu’on a mis des mots sur ce qui était un réseau mystérieux de vérités n’ayant de sens que dans notre silence intérieur ; ensuite parce que les mots qu’on a choisis pour le confesser ne resteront pas les mêmes dans la mémoire de celui qui le reçoit. Les mots du secret, qui sont la première trahison du secret, seront immanquablement trahis à leur tour dans l’esprit de celui à qui on le confie, qu’il le garde ou le répète. »
L’auteur développe ensuite la notion de rumeur, celle qui déforme les pensées, celle qui enfle au fur et à mesure que les mots sont répétés, distordus, celle qui détourne des faits en intentions, celle qui détruit la vie des hommes…
J’ai trouvé l’idée de lire ce roman chez Autist reading et je suis ravie d’avoir fait cette découverte. Ingannmic a aimé aussi.
Un livre à lire pour combattre l’obscurantisme.