J’ai eu un mal fou à mettre la main sur le seul roman traduit en français de Richard Van Camp. Comme toutes les nouvelles acquisitions de livres de Cendrillon-Electra m’intriguent, il fallait bien que je jette un œil sur celui-là aussi. La quatrième de couverture, que je lis très rarement, m’inspirait. (Après avoir lu le roman, cette quatrième me semble du pur marketing, passant à côté de l’essentiel. Mais passons…) Il n’a pas fait long feu dans ma PAL, ce roman. Et, pour une surprise, c’en est toute une. Dès les premières pages, le style incisif, vigoureux et cru m’a fait l’effet d’un coup de massue, m’a happée pour ne plus me lâcher jusqu’à la toute fin.
Larry Sole, seize ans, est un Indien Dogrib. Il vit avec sa mère à Fort Simmer, une petite ville fictive des Territoires du Nord-Ouest, une province canadienne dont trop peu de romans font état. Larry a de sérieuses pertes de mémoire à la suite d’un violent accident dans lequel son père y a laissé sa peau.Il garde de vilaines cicatrices de brûlures au dos et le sang de son père sur les mains.
En ce début de nouvelle année scolaire, Larry se lie d’amitié avec Johnny Beck, un métis grande gueule turbulent. Ils deviennent amis après que l’un ait défendu l’autre lors d’une bagarre. Larry n’a d’yeux que pour Juliet Hope, qui elle, n’a d’yeux que pour Johnny. À travers les chemins cahoteux de l’adolescence, Larry cherche ses repères et tente de se construire.Une intrigue somme toute banale autour d’un triangle amoureux à l’âge ingrat de l’adolescence? Ce serait sans compter le talent avec lequel Richard Van Camp dispose ses pièces et sculpte ses personnages. Parlons-en, des personnages. Plus vrais que nature, riches, consistants. Jed, le beau-père de Larry, est un sacré beau personnage: un conteur né, amoureux de la mère de Larry, et surtout, qui a une relation harmonieuse avec son beau-fils. (Rares sont les romans pour ados dans lesquels les relations adultes-ados sont saines et enviables...) Le petit frère de Johnny et Juliet, la Marie-couche-toi-là de la ville, se révèlent intelligemment bien développés.Plusieurs pourraient reprocher à Richard Van Campla crudité et la dureté de certaines scènes, de certains mots. À quoi je rétorquerai que l’action ne se déroule pas à Walt Disney, mais dans un territoire où le chômage, la drogue et l’alcool sont le lot quotidien. Il dépeint avec un réalisme saisissant, sans concession et, surtout, sans moralisme, le trouble et les affres de l’adolescence. Tout comme Melvin Burgess dans Junk et Une idée fixe, il ne prend pas les ados pour des idiots innocents et ne les immergent pas dans un univers de Calinours. Ça peut choquer les âmes sensibles… Malgré la dureté du paysage (social et émotionnel), la vivacité des dialogues fait souvent sourire. Une petite écharde: une traduction beaucoup trop franchouillarde à mon goût! Ah, et puis une autre, toute petite: le passé de Larry, révélé par bribes ici et là, demeure trop nébuleux à mon goût. L’insatiable curieuse que je suis aurait voulu en apprendre davantage. Je demeure dans l’expectative et c’est bien fait pour moi!À quand une réédition? Parce que là, les exemplaires disponibles doivent commencer à se faire plutôt rares. Et qui, pour traduire Whistle, qui met en scène Darcy McManus, un des personnages des Délaissés? Les délaissés, Richard Van Camp, trad. Nathalie Mège, Gaïa, 184 pages, 2003 [1996].★★★★★