Le Patient (Timothé Le Boucher – Editions Glénat)
Lors d’une patrouille nocturne, deux agents de police interpellent une jeune femme errant dans la rue. Les yeux perdus dans le vide, elle porte des habits tachés de sang et tient un couteau dans sa main. Immédiatement, les agents se doutent qu’un drame vient de se jouer et appellent des renforts. En se rendant au domicile de l’adolescente, qui s’appelle Laura Grimaud, les policiers découvrent avec horreur que sa famille a été sauvagement assassinée. Il y a des cadavres ensanglantés dans toutes les pièces. Seul Pierre Grimaud, 15 ans, a survécu à ce que la presse baptise rapidement « le massacre des Corneilles », du nom de la rue où habitait cette famille plutôt dysfonctionnelle. Mais impossible pour le garçon de témoigner sur ce qui s’est passé, car il a sombré dans un profond coma. Six ans plus tard, Pierre sort enfin de sa léthargie. Devenu un jeune homme de 21 ans, il souffre encore de séquelles importantes, notamment au niveau de ses jambes et de sa mémoire, mais grâce à l’aide de la psychologue Anna Kieffer, il retrouve petit à petit ses facultés. C’est Anna qui a insisté pour s’occuper de Pierre. Elle vient le voir deux fois par semaine, même si elle habite à deux heures de route de l’hôpital. Il faut dire que le docteur Kieffer, qui est également une romancière à succès, connait très bien l’affaire du « massacre des Corneilles » puisque c’est elle qui avait été appelée par la police six ans plus tôt pour prendre en charge Laura Grimaud. Hélas, celle-ci s’était enfermée dans un mutisme profond avant de se suicider peu après. Au fil de leurs rencontres, une complicité trouble s’installe entre Pierre et Anna. Malgré ses pertes de mémoire, le jeune homme évoque plusieurs fois la présence d’un mystérieux homme en noir sur le lieu du massacre. Et si ce n’était pas Laura Grimaud qui avait assassiné toute sa famille?
Quel plaisir de retrouver Timothé Le Boucher! Depuis l’énorme succès de « Ces jours qui disparaissent », son roman graphique sur le dédoublement de personnalité, le jeune auteur français a changé de statut. L’engouement public et critique pour son album précédent, qui a multiplié les réimpressions et les récompenses depuis sa sortie il y a deux ans, a fait de lui un auteur qui compte dans le monde de la BD, au même titre qu’un Bastien Vivès. Une adaptation de « Ces jours qui disparaissent » au cinéma est d’ailleurs en cours de préparation. Autant dire que la pression était forte sur les jeunes épaules de Timothé Le Boucher pour la sortie de ce nouvel album. Une attente très forte à laquelle celui-ci a choisi de répondre avec panache! Il n’a, en effet, pas choisi la facilité puisqu’il s’est lancé dans un ambitieux thriller psychologique de près de 300 pages. On retrouve dans « Le Patient » les trois éléments principaux qui ont fait le succès de « Ces jours qui disparaissent »: l’élégance du dessin (toujours à mi-chemin entre le style franco-belge et le style manga), l’influence cinématographique (l’auteur lui-même cite des cinéastes comme Stanley Kubrick ou Gus Van Sant) et l’art de la narration, avec en particulier un « twist » qui fait totalement basculer le récit au milieu de l’album. L’histoire du « Patient » aurait pu se limiter à une enquête policière classique, mais Timothé Le Boucher préfère nous embarquer dans un face-à-face psychologique ambigu et angoissant entre le jeune Pierre et la psychologue Anna Kieffer, chacun de ces deux protagonistes se révélant beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît au premier abord. Ce qui n’empêche pas l’auteur d’étoffer son récit avec une belle galerie de personnages secondaires et d’utiliser à merveille le décor terrifiant d’un grand hôpital. Plus réaliste, plus noir et plus adulte que « Ces jours qui disparaissent », « Le Patient » est un album froid mais fascinant, qui prend le temps d’installer une véritable atmosphère. Il devrait donc confirmer le statut d’étoile montante de Timothé Le Boucher, même si forcément, l’effet de surprise n’est plus tout à fait le même.