Mon histoire d'amour avec Antonio Lobo Antunes remonte à plus de vingt-cinq ans. Si je le rencontrais aujourd'hui, je doute fort que je tomberais sous le charme. C'est qu'il n'est pas commode, le monsieur. Surtout, il n'est pas facile à suivre. Il part dans des délires pas possibles. À chaque nouvelle rencontre, il faut que j'attache ma tuque avec de la broche. Antonio Lobo Antunes a une petite poignée de fans aguerris, dont je suis. Ceux qui aimeraient s'y frotter pour la première fois se cassent les dents plus souvent qu ' autrement. Et je comprends pourquoi.
' aimerais que mes romans, dans les librairies, ne soient pas disposés près des autres, mais à l ' écart et dans une boîte hermétique, pour ne pas contaminer les histoires des autres ou les lecteurs non avertis." Livre de chroniques III
À chaque année, je prends un plaisir orgastique à le retrouver. Un plaisir coupable, aussi. Tsé, le genre de personnes qu'on n'a pas envie de présenter à ses amis ou à sa famille? Parce que forcément, ils vont le trouver bizarre, torturé... Il faut que je me prépare à chaque rencontre. Car être en sa présence, c'est hautement exigeant. Ça implique que je laisse tout tomber pour lui, que je lui accorde toute mon attention. Que je plonge en apnée pendant tout le temps que dure cette rencontre. Je ne peux reprendre mon souffle qu'une fois qu'il est parti. Et quand il part, c ' est le grand vide. Un vide sidérant, douloureux.
Ce nouveau roman, avec son ixième titre à rallonge, ne fait pas exception. Je suis à la fois vidée et assouvie. Je ne dis rien de l'intrigue. De toute façon, là n'est pas l'essentiel. Là n'est jamais l'essentiel avec Antonio Lobo Antunes. Comme il le disait dans ses conversations avec Maria Luisa Blanco ( ' Conversations avec Antonio Lobo Antunes ): "L intrigue ne m ' intéresse pas; ce que je voudrais, ce n ' est pas qu ' on me lise, mais qu ' on vive le livre. Les émotions viennent avant les mots et, mon but, c ' est de traduire les émotions, de faire en sorte que les mots signifient ces émotions. Voilà l ' impossible défi, mais je crois qu ' il faut essayer de le relever."
Un style en ébullition , torrentiel. Un roman d'une profondeur insondable. Mon Antonio est é gal à lui-même, toujours aussi unique, mémorable.
"L'unique manière, me semble-t-il, d'aborder mes romans, est de les attraper comme une maladie [...] Puis, le voyage achevé, et le livre refermé, vous entrerez en convalescence." Livre de chroniques III
Voilà, je suis en convalescence. Une fois de plus après l avoir lu, lui, l incomparable.
à ce que les pierres deviennent plus douces, Antonio Lobo Antunes, trad. Dominique Nédellec , Christian Bourgois, 576 pages, 2019.