Vous pensiez vraiment que Superman est un super héros qui vient de la planète Krypton? Et bien non. Plus prosaïquement, il est originaire de Cleveland, comme en atteste cette très belle biographie en images, intitulée Joe Shuster Un rêve américain.En 1938, National Comics (qui deviendrait par la suite DC Comics) offrit 130 dollars à l'écrivain Jerry Siegel et à l'artiste Joe Shuster pour les droits de Superman, un personnage de leur propre invention. Les deux amis, craignant de ne jamais voir publié ce projet pour lequel ils avaient dépensé tant de temps, d'efforts et d'argent, ont accepté l'offre, trop naïvement.Avant d’arriver chez National Comics, les deux créateurs du premier grand super-héros de l’histoire ont été rejetés par nombre d’éditeurs. Cette situation, combinée à la crise économique implacable, a poussé les deux amis, fans de science fiction et de comics d'aventure, a accepté un compromis qui allait marquer à jamais leur destin. C'est qu'ils proviennent de familles fort modestes, des immigrés de l'Europe de l'est, de confession juive, pour qui la vie n'est pas une sinécure tous les jours. Le critique Tom Spurgeon a qualifié l'exploitation du jeune Siegel et de Shuster par un éditeur peu scrupuleux de "péché originel de la bande dessinée". Quand on voit les existences que vont avoir les deux compères, et qu'on met cela en relation avec les wagons de millions que Superman rapportera vite, dans les comics ou à la télévision, on ne peut que souscrire.Julian Voloj a étudié en profondeur la vie de Joe Shuster. Pour la réalisation de ce volume, l’écrivain s’est entretenu avec un groupe nourri de grands dessinateurs, qui ont eu chacun leur part de déboires avec les grandes maisons d’édition. L’histoire, dans un style documentaire, est racontée du point de vue de Shuster, mais ne manque pas d’expédients narratifs intéressants, qui brisent le quatrième mur ou qui plus simplement, mettent les mots de côté, laissant l'aspect graphique s'exprimer pleinement, et se suffire à lui seul (il suffit de voir Bob Kane en Joker pour comprendre ce que Joe pensait de l'individu, qui revendiquait la seule paternité de Batman...)Le Joe Shuster de Voloj est semblable au protagoniste d'un grand roman américain comme ceux de Roth ou de Kerouac: il est humain, à la merci des événements, et subit souvent les conséquences de ses (in)actions, et celles des personnages qui l'entourent.Parlons un peu du dessin, de Thomas Campi, qui réconcilie le graphisme des bandes dessinées pulp, qui ont inspiré Siegel et Shuster, et une magnifique mise en couleur à l'aquarelle. Le style rétro de cette dernière, délibérément effacée et en retenue, transforme chaque page en photographie d'une époque révolue, créant un effet vraiment agréable et apaisant, qui rend la lecture très fluide. De plus, Campi utilise beaucoup d’éléments qui citent d’autres styles de dessin, et ce dans des buts très variés: montrer les différentes facettes des deux auteurs ou reproduire fidèlement le style des magazines de l’époque, afin de mieux immerger les lecteurs dans histoire, le plus souvent.Si Shuster et Siegel ne s'étaient jamais entendus avec National Comics, Superman aurait-il été publié un jour? Est-ce que "l'âge d'or" de la bande dessinée super-héroïque aurait vu le jour? Ce ne sont là que deux des questions qui viennent à l’esprit lors de la lecture de ce livre. Ces questions resteront sans réponse, et on se contentera, façon de parler, de l'humanité dense et passionnante qui suinte de chaque planche, du destin de ces artistes qui vont de pair avec leur création, tutoyant la gloire, pour s'abîmer dans l'oubli, et l'injustice la plus inouïe.Joe Shuster et Jerry Siegel ont été les premiers à concrétiser un rêve que beaucoup de gens ont encore aujourd'hui. Ils sont les pionniers et les pères putatifs de ce qui est notre passion commune à tous, et c'est là un hommage splendide, appuyé, documenté, que vous devriez tous avoir lu, ou avoir l'intention de lire.
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