
C’était plus que prévisible... Après la lecture du dernier roman d’Antonio Lobo Antunes, il m’était impossible d’enchaîner avec un autre roman. Le vide littéraire abyssal dans lequel j’étais tombée imposait un changement drastique de registre. Je me suis donc lancée dans la lecture de deux romans graphiques. Après quoi, j’ai pu ensuite revenir aux romans, fraîche et dispose!
NOIRE, LA VIE MÉCONNUE DE CLAUDETTE COLVIN – ÉMILIE PLATEAU – DARGAUDComment dire? Voilà un roman graphique qui cache bien son jeu. Sous ses allures de légèreté se camoufle tout un pan de l’histoire américaine à travers une grande héroïne méconnue: Claudette ColvinDans l’Alabama des années 1950, la ségrégation bat son plein. Claudette Colvin, 15 ans, rêve de devenir avocate. Au retour de l’école, elle refuse de céder sa place dans le bus à une Blanche. S’ensuivent quelques jours dans une prison pour adultes et un procès. À peine neuf mois plus tard, le même événement se répète, cette fois mettant en scène une femme mariée de 43 ans, couturière de métier: Rosa Parks. Claudette Colvin n’avait pas la «respectabilité» de Rosa Parks: très jeune, sans compter qu’elle était enceinte d’un homme blanc marié. Valait mieux la pousser en coulisse. Un mouvement de boycott contre la compagnie de bus se met en branle. À sa tête, non pas Claudette Colvin, non pas Rosa Parks, mais Martin Luther King. Comme s’il allait de soi que les hommes allaient récupérer la lutte pour les droits civiques. Claudette Colvin et Rosa Parks ont mené des actions concrètes de résistance. Pourtant, ces deux femmes apparaissent comme des figurantes dans le mouvement antiségrégationniste. Passée l’indignation devant une telle injustice, reste que la Cour suprême des États-Unis a mis fin, en novembre 1956, aux lois ségrégationnistes dans les bus, les déclarant anticonstitutionnelles. C’est au moins, ça...
Une petite pépite que ce roman graphique! Ça part comme ça: «Désormais, vous êtes noir. Un noir de l’Alabama. Dans les années 1950.» Et ça fonctionne de tous les feux. En choisissant d’interpeller le lecteur, Émilie Plateau le met au parfum sans possibilité d’échappatoire. La mise en pages épurée, le trait naïf et minimaliste, la bichromie d’orange et de noir allègent la lourdeur du propos. Un roman graphique édifiant, qui dresse le portrait d’une grande oubliée de l’Histoire, injustement méconnue.


Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin, Émilie Plateau (dessins et scénario) et Tania de Montaigne (scénario), Dargaud, 136 pages, 2019.★★★★★
· · · · · · · · ·L’ÎLE AUX CHIENS – MINETATO MOCHIZUKI – LÉZART NOIR



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LA NUIT DES JUIFS-VIVANTS – IGOR OSTACHOWICZ – L’ANTILOPE

J’ai lu le roman d’Igor Ostachowiczd’un seul souffle. Toute la force de ce roman réside dans la juxtaposition de scènes macabres, voire traumatisantes, avec la vie quotidienne dans ce qu’elle a de plus banale: la préparation d’œufs brouillés, une séance d’essayage de vêtements de marque, etc. Le style vif, alerte, décoiffe et revigore.De cette Nuit des Juifs-vivants, je retiendrais l’audace, l’insolence détonante du propos et… un certain malaise bienvenu. Un roman irrévérencieux et marquant, dont je dois la découverte à Véronique.La nuit des Juifs-vivants, Igor Ostachowicz, trad. Isabelle Jannès-Kalinowski, L’Antilope, 334 pages, 2016 [2012].★★★★★
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LES BRAISES – CHARLES QUIMPER – TRYPTIQUE

Un personnage dépourvu de nom s’adresse, par écrit, à un certain Quimper. Il déverse son fiel, déroule le fil de ses souvenirs, maudit son passé et son père imparfait, crache sur son présent. L’homme rempli d’aigreur reste marqué par son enfance chaotique. Il porte un regard désabusé sur le monde, vilipendel’humanité entière,n’épargnant rien ni personne. Cet homme marié, père de famille, vit retranché dans son logis. Le temps l’use à la corde. Il attend le pire, aspire au pire...
Un court texte dérangeant, nimbé d’un pessimisme qui laisse hagard. Quel est le lien entre Quimper et le narrateur. Pourquoi l’avoir choisi comme destinataire? Je n’ai pas trouvé de réponses… et ça m’importe peu. La langue remplie de venin et le style de Charles Quimper ont fait oeuvre de tentacules. Je n’en demandais pas plus.Les braises, Charles Quimper, Triptyque, 84 pages, 2019.★★★★★