Virginia Woolf, correspondances

Par Site3p

Présenter la correspondance de Virginia Woolf est à multiples facettes : avec les destinataires, avec elle-même car écrire c'est aussi se raconter, avec le monde de l'époque et avec son œuvre enfin.

Virginia Woolf est née en 1882 et morte en 1941. Elle est la troisième des quatre enfants de Leslie Stephen et Julia Duckworth. Sa sœur aînée, Vanessa, est une artiste de talent et sera la compagne et la confidente de toute sa vie. Son frère aîné, Thoby, elle le met sur le piédestal d'un dieu grec. Adrian, lui, " babille de son côté ... il grandit trop vite pour penser et ressentir et ne fait que manger " . En bref, ils forment une famille classique avec ses rivalités mais aussi un attachement indestructible. Julia, la mère tient son nom de son premier mariage avec Herbert Duckworth dont elle eut trois enfants : George, Stella et Gerald. Ce sont finalement sept enfants qui ont vécu sous le toit de la jolie maison du 22 Hyde Park Gate. Pour Leslie, le père, c'était aussi un second mariage, il avait épousé Harriett-Marian Thackeray et de ce mariage était née Laura.

Premiers Traumatismes

Virginia avait 13 ans quand elle perdit sa mère et fut alors victime de sa première dépression. L'affection qui régnait dans la famille Stephen débordait chez les Duckworth. Stella mourut tragiquement peu après son mariage et Virginia rechuta. Vanessa et Jack Hills, le veuf de Stella, eurent un penchant l'un pour l'autre que censura George non seulement par crainte des ragots mais aussi parce qu'un tel mariage était interdit par la loi. Voilà qui dut amorcer le féminisme de Virginia. De plus George assumait un rôle de père vers la fin de la vie de Leslie et pressait les deux sœurs d'entrer dans la société. Toutefois, lui et Gerald avaient des sentiments plus qu'ambigus qui faillirent se terminer un jour par le viol de Virginia.

La Mort du Père

Bloomsbury

T'es-tu sentie horriblement déprimée ? Moi oui. Je n'arrivais pas à écrire et tous les diables se mirent à sortir... avec des cheveux noirs. Avoir 29 ans et ne pas être mariée - être bonne à rien - sans enfants - folle aussi, et pas écrivain...

Entre temps, elle et Adrien avaient déménagé au 38 Brunswick Square qu'ils partageaient avec l'économiste John Maynard Keynes et où les rejoindrait... Léonard Woolf qui l'avait demandée en mariage. Sa lettre écrite le 1er mai 1912 depuis Asheham, la maison qu'elle partageait avec Vanessa à Rodmell, exprime toute sa confusion et finalement son acceptation malgré des phrases d'une cruauté qu'elle ne cherchait pas à dissimuler :

... Certes, la force de votre désir me met quelquefois en colère. Que vous soyez Juif y est peut-être pour quelque chose... Bien sur, vous voulez savoir si je vous épouserai jamais. Comment dire ? Je crois que oui car je ne vois aucune raison pour qu'il puisse en être autrement... Et puis je veux tout : amour, enfants, aventures, intimité, travail ... Il m'arrive de penser que, si je vous épousais, je pourrais tout avoir - et puis est-ce le côté sexuel qui vient entre nous ? Comme je vous l'ai dit brutalement l'autre jour, je n'éprouve aucune attirance pour vous...
Nous demandons beaucoup de la vie, n'est-ce pas? Peut-être l'obtiendrons nous, alors quelle merveille !

Et elle joint une photo d'elle.

Hogarth Press

Un évènement va provoquer le sursaut créatif de Virginia : l'installation à Richmond dans la Hogarth House où Léonard et elle fonderont leur maison d'édition, la Hogarth Press. A cette époque, l'édition allait de pair avec l'impression et Virginia parle avec enthousiasme de l'odeur de l'encre et de l'ambiance de ruche qui règne autour de la presse. Les affaires prospèrent. Les amis se multiplient au-delà du cercle intime de Bloomsbury. Une aristocrate extravagante, Lady Ottoline Morrell, lui fait rencontrer Dora Carrington, Kathryn Mansfield, Aldous Huxley, D.H. Lawrence, T.S. Eliot ou E.M. Forster. Virginia est lancée, il lui reste à produire et elle y met une ardeur qu'elle n'avait pas encore connue. Voici l'œuvre.

Jacob's Room (1922), Mrs Dalloway (1925), To the Lighthouse (1927), Orlando: A Biography (1928), A Room of One's Own (1929), The Waves (1931), Flush: A Biography (1933), The Years (1937), Three Guineas (1938), Between the Acts (1941).

The Mark on the Wall (1917), Kew Gardens (1919), Monday or Tuesday (1921), A Haunted House and other Short Stories (1943).

The Common Reader (1925), The Common Reader: Second Series (1932), The Death of the Moth and Other Essays (1942), The Moment and Other Essays (1947), The Captain's Death Bed and Other Essays (1950), Granite and Rainbow (1958), Contemporary Writers (1965),

A l'automne 1940, la bataille d'Angleterre est déclenchée par les Allemands qui bombardent Londres. Les Woolf se réfugient à Rodmell, dans la Monk's House. Chaque semaine, Virginia retourne à Londres pour constater les dégâts causés par les bombardements, à Bloomsbury en particulier.
A Tavistock Square, elle lève les yeux pour voir

une porte de verre suspendue dans la maison d'à côté: je voyais un morceau du mur de mon bureau debout: autrement des gravats là où j'écrivis tant de livres. A l'air libre là où nous avons passé tant de soirées, donné tant de réceptions.

Mecklemburgh Square fut aussi endommagé mais elle put ramasser dans la couche de poussière des objets auxquels elle tenait: "

les lunettes de Duncan (Grant, le second mari de Vanessa), les assiettes de Vanessa... Comme j'ai travaillé pour les acheter une par une.

La dépression se produit après Noël. Le 28 décembre, Virginia passe la matinée à écrire dans sa Loge. A 11 h, elle rentre et prend une demi-heure de repos. Après avoir dit à Léonard qu'elle partait faire un tour, elle enfile son manteau, prend un bâton et se dirige vers les prairies au bord de l'Ouse. Le dernier à la voir est John Hubbard, un garçon de ferme. Elle met une lourde pierre dans sa poche et entre dans l'eau. Son corps sera retrouvé trois semaines plus tard flottant près de Asham Wharf.
Le matin, elle avait écrit trois lettres d'adieu : l'une à Vanessa, deux autres à Léonard dont voici l'une d'elles :

Très cher,
Je dois vous dire que vous m'avez donné un bonheur complet. Personne n'aurait pu faire plus que vous. Soyez en sûr.
Mais je sais que je n'aurai pas pu franchir ce moment et je gaspille votre vie. C'est cette folie. Rien de ce qu'on dit ne peut me persuader. Vous pouvez travailler et serez bien mieux sans moi. Vous voyez que je ne peux écrire ceci régulièrement, ce qui prouve que j'ai raison. Tout ce que je veux dire, c'est que jusqu'à ce que cette maladie arrive nous étions parfaitement heureux. Et c'était grâce à vous. Personne n'aurait pu être aussi bon que vous l'avez été, du premier jour à maintenant. Tout le monde sait cela.

Léonard enterra les cendres de Virginia dans la cour de Monk's House sous l'un des deux ormes entrelacés qu'ils avaient baptisés "Virginia et Léonard". Il les couvrit d'une pierre sur laquelle étaient gravés ces derniers mots du roman Les Vagues

Contre toi je me jette,
invaincue et inflexible,
O Mort !
Les vagues se sont écrasées sur le rivage.

Bruno Autin
25 avril 2019