Donna Tartt
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Alien
Plon
Paru en 1993 puis en 2014 pour la version poche
789 pages en poche
Dionysos [est] le maître des illusions, capable de faire pousser une vigne sur la planche d’un navire, et en général de faire voir à ses fidèles le monde tel qu’il n’est pas. ( E.R. Dodds. The Greeks and the Irrational )
Ce livre traîne sur mes étagères depuis 3 ans, depuis ma lecture du Chardonneret, mais je craignais de l’en extraire, à cause de sa taille, je l’avoue. Ma seconde semaine de vacances, j’ai attrapé la bête, j’en ai lu les deux premières pages, et j’ai très vite compris que j’aurais beaucoup de mal à le lâcher.
L’épilogue commence sur l’assassinat d’un dénommé Bunny. Nous retrouverons ce moment au milieu du livre, à la fin de la première partie qui relate les événements qui ont mené à cet acte atroce. La seconde partie développe la suite, l’après-meurtre… Je n’ai pas du tout envie de raconter l’histoire parce que je n’en connaissais rien, m’étant tenue éloignée de tout résumé, et c’est bien mieux ainsi, l’émerveillement cauchemardesque n’en est que plus puissant. Ceux ou celles qui déflorent l’histoire ne se rendent pas compte à quel point ils peuvent gâcher la lecture des futurs lecteurs.
Il m’a été très difficile d’arrêter la lecture de ce pavé. Les pages s’enchainaient à une vitesse hallucinante. Dans un état presque second j’ai suivi les personnages et notamment Richard, le narrateur qui fait tout pour ferrer son lecteur, avec ses brèves remarques sur l’avenir, sur ce qu’il ne savait pas encore. Le choix de ce narrateur est pour beaucoup dans la réussite de ce roman magistral, il ne sait pas tout, il est l’intrus, l’élément extérieur, il est aussi le déclencheur du drame, malgré lui.
La construction du roman est remarquable. Donna Tartt prend son temps pour camper ses personnages (ils n’ont commencé à avoir une consistance qu’au bout d’une centaine de pages, voire plus), elle joue avec ses lecteurs, les emmène où elle veut, pas forcément là où ils avaient envie d’aller.
Les cinq personnages principaux ne sont guère attachants, ils sont riches (sauf le narrateur) égoïstes, pervers, féroces, prétentieux, lâches, alcooliques et malgré tout, je les ai suivis de mon plein gré, avide de connaître le déroulement de l’histoire. Ils se révèlent plus dans leurs actes que dans la description de leur psychologie. On ne connaît presque rien de leur passé. Ils sont atypiques dans leur comportement, loin de notre monde, perchés dans leur univers éthéré. Des personnages de tragédie.
Un petit bémol cependant, j’ai repéré quelques lourdeurs de style (la traduction peut-être ?) mais sur presque 800 pages, on peut excuser ces petites faiblesses.
J’avais déjà été éblouie par Le chardonneret, là, j’ai été fascinée.
Certaines choses sont trop pénibles pour être appréhendées sur le coup. D’autres encore – nues, grésillantes, d’une horreur indélébile – sont trop terribles pour être admises. Ce n’est que plus tard, dans la solitude, le souvenir, que pointe la compréhension ; quand les cendres sont froides, que les affligés se sont retirés, qu’on regarde autour de soi pour se retrouver – à sa grande surprise – dans un monde entièrement différent.
Il a ouvert son lexique et s’est mis à chercher sa marque. « Il ne convient pas de s’effrayer de ce dont on ne sait rien. Vous êtes comme des enfants qui ont peur du noir. »