Après la lecture de La loterie, adapté en roman graphique par Miles Hyman, j’avais très envie de découvrir d’autres nouvelles de la redoutable Shirley Jackson. Outre «La loterie» et «Les vacanciers», les treize nouvelles qui composent ce recueil étaient jusqu’à tout récemment inédites en français. Voilà un autre bon coup des éditions Rivages!Le recueil s’ouvre avec LA nouvelle la plus connue de l’auteure: «La loterie», dont je ne dirais rien de l’intrigue. Incroyable nouvelle, terrifiante par son pouvoir d’évocation. La chute est l’une des plus inattendues que j’aie lue de ma vie. La désinvolture et la nonchalance des personnages, voire leur indifférence, font froids dans le dos. La publication de cette nouvelle dans les pages du New Yorker, en 1948,a fait scandale, au point que plusieurs lecteurs ont résilié leur abonnement. Choqués, ils ont pris pour réalité ce qui n’était que fiction.
À mon avis, «La loterie» porte ombrage aux autres nouvelles du recueil. Quoique d’un intérêt certain, elles n’ont pas sa puissance.
Parmi les autres nouvelles que j
’ai appréciées, il y a «La possibilité du mal», dans laquelle une vieille dame bien sous tous rapports manigance pour créer la bisbille entre les habitants de son patelin. J’ai bien aimé aussi «Louisa, je t’en prie, reviens à la maison», dans laquelle une jeune femme quitte sa famille pour voler de ses propres ailes. Des recherches sont entamées pour la retrouver. Lorsque Louisa décide de faire un saut à la maison quelques années plus tard, elle est loin de se douter de ce qui l’attend… Dans «Elle a seulement dit oui», une jeune adolescente vient de perdre ses parents dans un accident d’avion. Les voisins s’occupent d’elle en attendant l’arrivée de sa tante. Ici, le malaise vient du fait que la jeune fille ne soit pas aussi affectée que l’exige la situation. Dans «Les vacanciers», un couple de retraités passent l’été dans leur petit chalet en bordure d’un lac. À la fête du Travail, tous les vacanciers plient bagage. Cette année, le couple de new-yorkais décide de prolonger leurs vacances. L’attitude de la population locale se met à changer du tout au tout.Le plaisir que j’ai eu à lire La loterie et autres contes noirs est difficile à exprimer. L’Amérique des années 1940-1950 décrite par Shirley Jackson a toutes les apparences de la perfection: de jolis patelins où vivent de petites communautés puritaines, bienséantes et bien-pensantes. Mais tôt ou tard, un grain de poussière apparaît, un fil dépasse. C’est immanquable, dans chaque nouvelle vient un moment où le malaise surgit. Tout le plaisir malsain vient justement de l’attente du moment où il surgira! Sans compter que l’angoisse et la terreur ne sont jamais loin. Sous la pression écrasante des conventions, derrière la façade sociale se cachent la médisance, la paranoïa, et les non-dits. Comme quoi, la noirceur qui gît dans toute âme humaine est insondable. Avec Shirley Jackson, y’a pas de doutes, «L’enfer, c’est les autres.»La loterie et autres contes noirs, Shirley Jackson, trad. Fabienne Duvigneau, Rivages / Noir, 250 pages, 2019.★★★★★