Mawda, son sourire et son bob.
L'an dernier, dans la nuit du 16 au 17 mai 2018, sur une autoroute belge, pas loin de la frontière française, une petite fille est morte. Elle se trouvait dans une camionnette, blanche comme il se doit. Le fourgon transportait des migrants et fuyait la police qui l'avait pris en chasse. Un policier a sorti son arme. Il a tiré. Il a tué Mawda, petite fille kurde de deux ans. Emotion dans le pays, comme souvent quand un enfant meurt - rappelez-vous Aylan -, émotion plutôt dans une partie du pays car le drame a vite été instrumentalisé par le gouvernement pour rendre les parents de Mawda en particulier et les migrants en général responsables de leur malheur. On a menti, officiellement, pour cacher la vérité. On a beaucoup menti.
Une fois encore, la société civile a été là pour recueillir Shamdin, Phrast et Hama Shawri, les parents et le frère de quatre ans de la petite victime. Pour accompagner cette famille dévastée par le chagrin, perdue sur les routes et dans la clandestinité faute de papiers de réfugiés. La presse n'a pas beaucoup bougé par rapport à cette bavure, se contentant de relayer les mensonges officiels sans rien vérifier. Sauf Michel Bouffioux qui a publié une formidable contre-enquête dans "Paris-Match Belgique" et a parfaitement démontré que l'affaire Mawda était directement liée aux opérations Medusa visant les migrants.
Vincent Engel reprend librement les faits réels de l'"affaire Mawda" et les précède d'une hallucinante séance à la Chambre des Représentants le 22 novembre 1938 - la Nuit de Cristal venait d'avoir lieu. Il choisit de se glisser successivement dans la peau des différents acteurs du drame. "La fiction est une manière de dire le monde, l'espoir et la souffrance", écrit-il. Il est Mawda, petite Kurde parlant le rare sorani qui nous raconte par bribes son histoire, celle de ses parents, celle de son frère. Il est la traductrice. Il est le passeur. Il est le tireur. Il est aussi le témoin d'une conversation glaçante entre le "Premier" et le "Secrétaire". Ces voix nous permettent de revoir l'affaire sous différents points de vue et sont autant d'occasions pour Vincent Engel de porter le fer là où cela fait mal. Une démarche d'écrivain jouant avec les mots n'empêche pas les prises de position et les engagements. Car la démocratie est menacée par cette affaire aussi désolante que sordide.
La deuxième partie du livre reprend la série d'articles que Michel Bouffioux, journaliste d'investigation courageux, a consacrés à l'affaire Mawda dans "Paris Match Belgique" et sur le site ParisMatch.be entre le 20 décembre 2018 et le 7 mars 2019. Soit une impeccable contre-enquête, basée sur de multiples témoignages et divers écrits et rapports officiels, qui a démonté les mensonges officiels, a mis en lumière les opérations policières Medusa et les multiples dysfonctionnements du système policier, complétée d'une interview de l'avocate de la famille. Des incidents techniques qui effacent les enregistrements précieux à la préparation d'une version policière collective en passant par la sinistre manière dont ont été traités les parents et le frère de Mawda alors que la petite fille mourait seule dans une ambulance et l'ordre de quitter le territoire remis quasi immédiatement à tous les passagers du fourgon maudit. Même si on l'a lue lors de sa publication, cette enquête rend muet de stupéfaction et d'indignation. La Belgique est-elle devenue ça? Et va-t-elle le rester?