INTERVIEW – Mathieu Burniat: « Trap se prête carrément au dessin animé »

Par Mathieu Van Overstraeten @matvano

Il y a quelques jours, les premiers Prix Victor Rossel de la BD ont été décernés à Louvain-la-Neuve. Héritiers des anciens Prix Diagonale, ils ont mis à l’honneur Frank Le Gall, le créateur de Théodore Poussin, récompensé par le « Grand Prix de l’Académie Victor Rossel » pour l’ensemble de son œuvre. Dans le même temps, Max de Radiguès s’est vu décerner le prix de la meilleure série pour « Stig et Tilde », tandis que Mathieu Burniat et Loup Michiels ont reçu celui du meilleur album pour « Trap ». Enfin, une Mention spéciale du jury de l’Académie Victor Rossel, présidée par Bernard Yslaire et composée d’une kyrielle de grands auteurs et de grandes autrices, a été remise à la collection « La petite Bédéthèque des Savoirs ». A l’occasion de la remise des prix, nous en avons profité pour poser quelques questions à Mathieu Burniat. Depuis le succès de sa BD culinaire « La Passion de Dodin-Bouffant » puis de sa BD scientifique « Le Mystère du monde quantique », le jeune Bruxellois s’est définitivement imposé comme l’un des auteurs les plus intéressants et les plus imprévisibles du moment. Il le confirme une nouvelle fois avec « Trap », une BD muette sur un trappeur qui acquiert le pouvoir des animaux dont il endosse la fourrure. Un livre très graphique, à mi-chemin entre manga et BD franco-belge.

Vous venez de remporter le Prix Victor Rossel de la meilleure BD pour votre album « Trap ». Est-ce qu’on peut dire que les récompenses commencent à être une habitude pour vous?

Non, certainement pas. C’est vrai qu’il y a eu quelques plus petits prix en France, mais en Belgique, c’est seulement le deuxième prix que je reçois. Il y a eu le prix de la Fnac pour « Le Mystère du monde quantique », auquel s’ajoute maintenant le prix Victor Rossel de la BD pour « Trap ». Je suis évidemment très content d’avoir reçu ce prix, surtout en sachant qu’il m’a été décerné par une académie d’auteurs que j’ai absolument tous lus. C’est bien aussi d’avoir reçu ce prix en Belgique, parce que jusqu’à présent, je suis davantage lu en France que dans mon propre pays. C’est notamment lié au fait que les Français sont plus friands que les Belges de BD didactiques.

Est-ce qu’on peut dire qu’avec ce prix, vous faites maintenant vraiment partie du sérail des auteurs de bande dessinée?

Je crois que c’est toujours difficile de se dire ça quand on est auteur de BD. Récemment, j’en ai discuté avec plusieurs auteurs au salon du livre de Genève et autour de la table, on avait tous l’impression d’être des imposteurs. Je crois qu’on oscille tous en permanence entre un manque de confiance en soi et l’impression d’être les maîtres du monde.

Comment est né le projet de « Trap »?

Il est né du crayon de Loup Michiels, qui cosigne la BD. Il y a quelques années, il avait juste fait un dessin d’un trappeur et il m’avait dit qu’il trouverait ça marrant de faire une BD sur un trappeur qui, lorsqu’il endosse la fourrure d’une bête, se transforme en cette bête. Cette phrase m’est restée. En 2012, j’ai donc commencé à écrire une histoire là-dessus. Mais comme j’étais sur plusieurs autres projets au même moment, j’ai rangé le scénario dans un tiroir. Ce n’est qu’en 2017 que je l’ai ressorti et que j’ai commencé à le dessiner.

Pourquoi avoir attendu cinq ans? Parce que le projet était plus facile à vendre à un éditeur à ce moment-là?

Oui, je crois bien. Lorsque j’en avais parlé à Dargaud en 2012, ils aimaient bien l’idée, mais ils m’avaient répondu que ça leur semblait compliqué de faire une BD muette. Quand je suis revenu avec la même demande en 2017, ils m’ont dit qu’ils aimaient beaucoup le projet et qu’ils allaient l’éditer. C’est génial qu’ils aient pris le risque de le faire, parce que pour un gros éditeur, cela peut s’avérer un peu casse-gueule de faire de la BD muette.

Ce risque a-t-il payé? Comment se passent les ventes de « Trap »?

Je n’en sais rien du tout! Comme je fais des trucs très différents, les ventes de mes albums fluctuent énormément. Le problème est que les libraires ne savent pas toujours où classer mes livres. Avec son format, « Trap » pourrait très bien se retrouver dans le rayon des mangas, par exemple. Mais en même temps, les lecteurs de mangas aiment les mangas très traditionnels. « Trap » est une sorte d’OVNI. Et parfois, les gens sont un peu frileux par rapport aux OVNI. On verra donc comment ça va se passer au niveau des ventes. Ce qui est certain, c’est qu’on m’avait prévenu que les BD muettes ne se vendent pas facilement.

Pourquoi avoir opté pour un récit muet?

Ca s’est fait un peu malgré moi. J’ai commencé à écrire l’histoire de manière muette et c’est au moment où j’ai voulu ajouter des dialogues que je me suis rendu compte que ça collait bien comme ça. C’est l’histoire d’un homme et de son chien qui font face à une nature féroce. Tout peut donc s’exprimer à travers le dessin et les émotions. En particulier celles du chien, qui est souvent plus expressif que son maître.

Est-ce que le muet amène une façon différente de travailler? Est-ce qu’il faut consacrer plus d’attention au dessin?

Il faut surtout que ce soit lisible. Je me suis rendu compte que cet exercice est plus difficile qu’il n’y paraît. Quand un dessin dans une case muette est trop simple, les lecteurs vont avoir tendance à sauter cette case, alors qu’elle contient peut-être une information très importante pour le récit. Pour éviter ça, un auteur comme Lewis Trondheim a choisi de se limiter à un dessin par page dans ses BD muettes, ce qui impose une temporalité aux lecteurs. De mon côté, j’ai préféré respecter le format habituel du manga, avec plusieurs cases par page. Du coup, j’avoue que je ne sais toujours pas à l’heure actuelle comment fonctionne le rythme de lecture de « Trap ». Je crois qu’on a tous un rythme différent face à ce genre de récit. Et ça, je ne peux rien y faire en tant qu’auteur.

Trap et son chien bleu, c’est la version moderne de Tintin et Milou?

Vous ne croyez pas si bien dire, parce que récemment, l’émission « Plan Cult » de la RTBF est venue me voir pour me demander si j’étais l’un des héritiers d’Hergé. La réponse est clairement oui. Etant donné que Tintin est l’une des premières BD que j’ai eu dans ma bibliothèque, je revendique complètement cet héritage. D’ailleurs, dans « Les mystères du monde quantique », j’ai mis en scène des ersatz de Tintin et Milou qui se baladent sur la lune. L’hommage me semble suffisamment clair! (rires)

Outre Tintin et Milou, quelles ont été vos autres influences pour cet album?

Il y a le manga « Gunnm », par exemple, en particulier pour les scènes plus violentes. Il y a aussi l’influence des jeux vidéo, comme « Diablo », qui est un jeu dans lequel il faut collecter des objets pour devenir encore plus fort. On retrouve également ce principe dans « Trap ». Au niveau BD, il y a clairement une influence de Guillaume Bouzard, en particulier pour son trait un peu tremblant et ses personnages à gros nez. C’est quelqu’un dont le dessin n’est peut-être pas techniquement parfait, mais qui parvient à transmettre beaucoup d’émotions. Je trouve ça très beau. C’est quelque chose qui m’a beaucoup inspiré quand je me suis lancé dans ma première bande dessinée.

Vous nous avez habitués à sortir des albums à chaque fois très différents. Est-ce que votre prochain album sera à nouveau un OVNI?

Je ne sais pas si ce sera un OVNI, mais ce qui est certain, c’est que ça risque de n’être pas du tout la même chose que ce que j’ai déjà fait jusqu’à présent.

Il y a peu d’auteurs de BD qui se réinventent autant que vous. D’où vous vient cette volonté d’explorer sans cesse de nouveaux univers?

Ca vient du fait que j’ai envie de faire plein de trucs, ce qui est très positif, mais ça vient aussi d’une paresse. Je m’embête très vite en faisant les mêmes choses. Quand Dargaud a arrêté ma série « Shrimp » après seulement deux tomes, j’ai été un peu déçu au début, mais je me suis vite rendu compte qu’en réalité, c’était une aubaine. Depuis lors, ça m’a permis de faire plein de BD très différentes. J’ai compris que c’est vraiment ça que j’ai envie de faire.

Après l’immense succès du « Mystère du monde quantique », on a pourtant dû vous demander de faire d’autres BD dans le même genre, non?

Oui c’est vrai, notamment d’autres éditeurs. Mais ce qui est chouette avec mon éditeur, c’est qu’il se rend compte qu’il faut me laisser tranquille. Il comprend aussi que certains projets demandent un temps de gestation. C’est le cas pour le moment. Pour le prochain album, il faudra un peu patienter.

Il n’y a donc pas encore de nouveau projet concret sur lequel vous travaillez?

Non, mais j’ai des idées. J’ai commencé, par exemple, à écrire des histoires complètement délirantes sur des poulpes. J’ai fait ça pendant un mois, avant de me rendre compte que ça partait beaucoup trop en vrille. Par ailleurs, je suis dans une période où je m’inquiète énormément par rapport à l’état de notre planète. J’aimerais beaucoup parler de ce sujet dans une BD, mais j’ai peur d’être niais ou moralisateur. C’est très difficile pour moi de trouver le bon ton. Avec des auteurs comme Gwen de Bonneval, Marion Montaigne, Tom Tirabosco ou Cyril Pedrosa, on est nombreux à s’intéresser à des sujets comme la collapsologie et on s’échange beaucoup d’infos sur Facebook. Certains sont d’ailleurs en train de faire des projets là-dessus. Mais moi, je suis toujours un peu bloqué.

Est-ce qu’on pourrait envisager une version animée de « Trap »?

Oui, ça se prête carrément au dessin animé. Là, je suis d’ailleurs en train de faire une version webtoon. Selon moi, cela aurait même encore plus de sens d’avoir un long métrage de « Trap ». Je vois trop comment on pourrait animer ces personnages et faire un récit qui se tienne vraiment bien. Mais cela demanderait évidemment beaucoup d’argent et de travail. En attendant, le webtoon permet déjà d’adapter la BD en format smartphone. C’est vrai qu’il faut retravailler quasiment chaque case pour que ça rentre dans le bon format mais heureusement, cela ne demande pas trop de boulot. En plus, le résultat est super, notamment grâce aux couleurs très vives.

Dans le webtoon, l’histoire est la même que dans la BD?

Oui, tout à fait. Mais à ce stade, il y a déjà une scène bonus qui a été rajoutée. Et à la fin, il y en aura peut-être deux.