Elle donne vie et voix à Alice, un personnage qui n'est rien de moins que le cri silencieux de tous ces enfants que nous avons cachés, puis abandonnés sans plus d'explications une fois la guerre terminée dans les tranchées : mais également sur ces êtres cabossés... Car au-delà des tranchées, la guerre avait toujours lieu : dans les esprits autant que dans les corps, elle continuait de sévir, cette insidieuse meurtrière.
Et c'est par le biais d'Alice, notre petite narratrice & protagoniste que nous allons le découvrir : alors qu'elle vit paisiblement avec celle qu'elle considère et nomme comme sa tante : l'horreur prend fin, tout comme la vie qu'elle mène ; car sa mère a survécu au camp de la mort & la voilà aujourd'hui, en chair mais surtout en os pour la ramener "à la maison", loin de sa Jeanne, de son chat, loin de ses repères, et proche d'une inconnue qu'elle n'avait fait qu'idéalisé au fil des années...
Mais sa mère s'avère être absolument tout sauf la mère qu'elle imaginait : elle a devant elle une femme brisée, se mourant de l'intérieur. Mais qu'est-ce que cette maladie que l'on nomme la guerre ? Qu'est-ce que cette maladie qu'on cache aux enfants, qu'on place sous silence ? Comment alors comprendre, comment accepter sans moufter cette situation alors qu'on est un enfant à qui on ne dit rien, à qui l'on souhaite bien maladroitement épargner la guerre ?
Ce livre est un brise-coeur, la situation d'Alice, ses réactions bourrées d'une innocence qui ne fera que progressivement s'éteindre au fil des chapitres : ça presse le coeur comme on presse un citron. Et c'est d'une amertume sans nom.
Mais elle est courageuse notre petite Alice, elle a le caractère de cette mère qui lui est inconnue, qu'elle poursuivait dans ses rêves... Elle est vaillante, notre petite, c'est une battante et si elle doit se débrouiller seule : elle se débrouillera seule.
Durant quatre années, nous allons donc la suivre, durant quatre années, nous allons nous accrocher à elle et la soutenir au travers de ces lignes de mots qui sont les siens : des mots que nous allons boire sans nous en rendre véritablement compte, dévorant pages & chapitres, rencontrant des âmes brisés, usés, cabossés. - Ce livre est d'une justesse... Sarah Barukh a su faire de sa plume une voix d'enfant ballotté, perdue, à la recherche d'un quelconque sens à ce sale monde qui s'impose et qui lui déplaît. Et c'est poignant, c'est terrible à lire : on traverse les plaies encore béantes de la guerre avec des yeux d'enfants, des yeux cherchant ses racines, cherchant un but, cherchant une main à laquelle s'accrocher... à lire, ne serait-ce qu'une fois.