Pas drôle, le décès de François Weyergans

Pas drôle, le décès de François Weyergans

François Weyergans, reçu à l'Académie française le 16 juin 2011.


"Le Secrétaire perpétuel et les membres de l'Académie française ont la tristesse de faire part de la disparition de leur confrère M. François Weyergans, décédé le 27 mai 2019 à Paris. Il était âgé de soixante-dix-huit ans. Il avait été élu le 26 mars 2009 au fauteuil d'Alain Robbe-Grillet (32e fauteuil)."
Tel est le communiqué qu'a publié ce lundi 27 mai 2019 Hélène Carrière d'Encausse, secrétaire perpétuel depuis le 21 octobre 1999, pour annoncer le décès du premier écrivain belge - mais qui connaissait la nationalité de ce Français d'adoption - élu sous la coupole. François Weyergans était né le 2 août 1941 à Bruxelles, d'un père belge, l'écrivain Franz Weyergans, et d'une mère française. Il allait donc avoir les 78 ans annoncés par l'Académie. Il y fut reçu le 16 juin 2011 par Erik Orsenna qui répondit à son discours sur son prédécesseur de fauteuil, Alain Robbe-Grillet.
François Weyergans, F.W. comme il disait,  aurait sans doute écrit tout autre chose, lui le facétieux qui avait l'art de faire tourner ses éditeurs en bourrique, en ne rendant jamais ses textes à l'heure qu'il avait lui-même annoncée. Ses lecteurs aussi, à qui il promettait un nouveau livre, une promesse qu'il n'honorait souvent que très longtemps plus tard. Lui qui aimait faire le clown pour masquer qu'il doutait tant de lui-même. Sans oublier les académiciens qui ont dû l'attendre lors de sa séance de réception. Il était officiellement coincé dans un embouteillage mais la petite souris dans le taxi voyait bien qu'il était encore en train de relire et de raturer son discours, contrairement aux usages de l'Académie qui veulent que le texte prononcé soit communiqué bien à l'avance.
Apprendre la mort de François Weyergans, c'est voir soudain danser un tas de titres qui ont marqué la littérature. "Trois jours chez ma mère" (Grasset), bien entendu, prix Goncourt 2015, obtenu de haute lutte contre Michel Houellebecq et sa "Possibilité d'une île" (Flammarion), lui donnant le titre de seul doublé Goncourt-Renaudot. "Salomé" (Léo Scheer), son dernier titre, publié en 2015, un roman écrit en 1968 et 1969 quand il avait 27 ans et resté inédit jusqu'à sa publication. "Royal romance" (Julliard, ), roman attendu six ans, date de parution reportée deux fois, titre modifié en finale, du Weyergans en condensé, avec un héros qui lui ressemble tellement. "La démence du boxeur" (Gallimard), prix Renaudot 1992, la dernière nuit d'un producteur de cinéma dans la maison de son enfance. "Macaire le Copte", cet esclave, pilleur de tombes et moine dans la Basse-Egypte du IVe siècle, prix Rossel 1981. "Le Radeau de la méduse", ou ce que sont devenus au XXe siècle les rescapés du tableau de Géricault, prix Méridien des quatre jurys (1983), Evidemment "Franz et François" (Grasset), Grand prix de la langue française 1997 où l'auteur s'expliquait avec son père décédé vingt ans plus tôt. Et aussi "La vie d'un bébé" (Gallimard, 1986), ou plutôt les souvenirs d'un fœtus.
Passionné de cinéma, il participa aux "Cahiers du Cinéma" dès l'âge de 19 ans et tourna son premier court-métrage, "Béjart", en 1961. Critique cinématographique, il était aussi critique littéraire, créateur de plusieurs sujets pour l'émission "Dim Dam Dom", de 1968-1970, metteur en scène de "Tristan und Isolde" de Wagner , en 1970, au Théâtre de la Monnaie bruxellois. Il présida la commission "Roman" du C.N.L. pendant quatre ans dans les années 1980.

J'avais eu la chance de rencontrer François Weyergans à la sortie de "Royal Romance" en avril 2012. Voici ce qui avait été publié alors.
"Duffel-coat bleu, costume, baskets aux pieds, l'air de ne jamais savoir quelle attitude prendre, regard mi-ironique mi-perdu derrière les lunettes. C'est François Weyergans. Une écriture policée, travaillée et retravaillée. Un discours hésitant, parsemé de silences, de réflexions et de détours, mais original, pertinent, personnel. Un écrivain qui ne joue pas à l'écrivain, profondément anticonformiste mais académicien quand même.
Dans votre dernier roman, "Royal Romance", vous écrivez: "Le vrai sujet, c'est, comme toujours: à quoi riment nos vies?" Le sujet de vos livres?
C'est une question qui n'a pas de réponse. En effet, la vraie souffrance, qui peut conduire jusqu'à des états que les psychiatres essaient de soigner, c'est de ne pas avoir de réponse à la question: à quoi rime ma vie? Mais si on ne parle que de moi, on peut dire que je suis très content: je suis écrivain, je suis reconnu, je reçois des à-valoir comme peu de gens en reçoivent, je les dépense trop vite et c'est une autre histoire, je voyage et en même temps fondamentalement, ça ne sert rien.
C'est la seule vraie question de la littérature?
On ne va pas prendre de telle décision si vite. Mais si vous prenez le théâtre de Shakespeare, que dit-il d'autre en fin de compte? Dans mon livre, c'est un propos que le type remue comme ça dans sa tête. Il fait aussi l'éloge de l'improviste, de l'inattendu. Ce qui me plaît, c'est de mettre plein de signes de piste, d'énigmes, un peu comme quand on cache des œufs de Pâques dans le jardin pour les gosses. Des choses qui font un peu penser, réagir le lecteur. Moi, mon plaisir de lecteur, c'est quand c'est moi qui invente le livre. Quand je lis, il y a dans ma tête des choses qui ne sont pas imprimées mais qui se cachent quand même derrière les phrases.
Vous, pourquoi vous écrivez?
Parce que ça m'occupe. Mais je suis content quand j'ai fini. On a l'impression alors qu'on a terminé un objet. Et je le termine au moment où j'arrive à le lire un peu vite et que rien ne m’arrête: c'est fluide, ça glisse, ça va… Ce qu'il y a dedans, je suis censé y avoir réfléchi avant. Et là l'objet est bien poli. Après on peut le trouver intéressant ou pas.
Vous écrivez pour éviter des psychanalyses, pour vous amuser, pour lancer un message.
Pas de message, non, non. Pour le reste, je n'en sais rien au fait. J'écris parce que j'ai signé des contrats.
C'est réduit à sa plus simple expression, ça.
Enfin un peu de simplicité. Il faut quand même que j'écrive.
C'est un besoin?
Oui, sans doute. Si je gagne un jour au Loto, je continuerai quand même à écrire.
Vous écrivez toujours la nuit?
Oui, c'est plus fort que moi. La nuit, on est seul, on n'est pas dérangé et il n'y a pas la tentation de sortir trop. De 22-23 h jusqu'à 8-9 h. Il y a des écrivains qui ne travaillent que le matin, 9 h-11 h 45, et puis ils s'arrêtent. Moi je veux continuer. C'est pour ça que je recule le moment d'avancer parce que, pendant l'écriture, il n'y a pas de vie sociale, c'est exténuant et c'est humiliant: le premier texte n'’est évidemment pas bon, il faut l'améliorer sans cesse, mais ça vous avance petit à petit vers le livre qui sera un jour fini.
Vous écrivez à l'ordinateur, à la plume?
J'écris beaucoup à la main. Dès que c'est compliqué, et c'est souvent compliqué, j'écris à la main. J'ai renoncé aux machines à écrire mécaniques parce qu'on ne trouve plus de ruban. Elles avaient l'intérêt que, quand on avait trop de ratures, on retapait, et en retapant, on corrigeait encore des erreurs. A l'ordinateur, on corrige ce qui ne va pas, mais on ne réécrit pas les choses. Quand on retape toute une page, on fait vraiment attention. Tout à coup, il y a une phrase qui n'est pas très bonne, alors on la fait sauter. Et puis quand je tapais à la machine, je gardais toutes les pages que j'avais rejetées, et en les relisant, je trouvais que j'avais mieux rendu un moment là que dans le texte postérieur. On peut alors tomber vite dans le personnage de Jack Nicholson dans "Shining", l'écrivain qui tape une seule page et qui finit avec une hache à la main.
Vous écrivez des livres pour ne pas finir une hache à la main?
Je ne crois pas que l'écriture a un rôle analytique. Après "Franz et François", des gens sont venus me dire: ça vous a soulagé d’écrire ça? Je suis tombé des nues. Je voulais faire un livre qui s'approche du classicisme littéraire, mais pas me guérir du deuil de mon père. Françoise Dolto avait dit un jour: "Un écrivain est malade quand il n'écrit pas." Moi c'est quand j'écris que je suis malade."