Après Eric Vuillard, précipitant de quatre mois la parution de La Guerre des pauvres (janvier 2019), c’est Leslie Kaplan qui, en quelques semaines, inspirée par l’actualité des Gilets Jaunes, écrit et fait imprimer en tout petit format son Désordre (mai 2019).
L’intrigue : une série de crimes. Quelques personnalités dominantes, dans tous les domaines, sont assassinées par des « exploités de toutes sortes », qui n’ont aucun lien entre eux, si ce n’est le sentiment confus d’une domination. Il n’y a pas de héros ni d’héroïne, pas d’intrigue non plus. La narratrice, qui détaille les réactions médiatiques, publiques, universitaires ou politiques à ces événements, n’en donnera pas la clef.
« Un député avait imaginé, et sa proposition avait fait grand bruit, de remettre en cause le calcul des heures supplémentaires, sous prétexte de compétitivité et d’incitation à l’embauche pour des entreprises en difficulté. Deux jours plus tard il fut poussé sous un autobus par un ouvrier fraiseur, pourtant au chômage et qui aurait peut-être, certains le soulignèrent, pu retrouver du travail si la proposition du député avait été votée. Le fraiseur ne dit qu’une chose, Ça suffit la connerie ! La phrase était forte, péremptoire. Elle frappa les esprits.«
L’opuscule de Leslie Kaplan représente, à n’en pas douter, l’état final d’une littérature qui s’est affranchie de toute idéologie, et du marxisme en particulier, au point de ne plus pouvoir rien dire, au point de ne pouvoir qu’enregistrer l’écho, soit du bruit parasite des médias bourgeois, soit des minuscules éclairs d’expression du peuple habitué au silence. L’écrivaine abandonne tout à fait son poste de virtuose de l’expression, si ce n’est dans cette trouvaille sublime : « Ça suffit la connerie ». Un mot d’ordre qu’on espère refondateur.
Voir la critique de Mediapart et l’entretien de Leslie Kaplan avec Nathalie Quintane sur lundi.am.
Leslie Kaplan, Désordre, P.O.L, mai 2019, 64 p., 7€.