La BD, ça conserve! A près de 75 ans, l’auteur brésilien Leo (Luiz Eduardo Oliveira de son vrai nom) a toujours le feu sacré. Porté par l’immense succès de ses « Mondes d’Aldébaran », une gigantesque saga de science-fiction dont le premier tome est sorti en 1993, il poursuit inlassablement l’exploration de cet univers. Après « Aldébaran » (5 tomes), « Bételgeuse » (5 tomes), « Antarès » (6 tomes) et « Survivants » (5 tomes), il a lancé l’an dernier un nouveau cycle, « Retour sur Aldébaran », dont le deuxième tome vient de sortir en librairie. A côté de ces aventures fantastiques, dont il signe à la fois le scénario et le dessin, il multiplie également les projets en tant que scénariste, soit en solo (« Ultime frontière ») soit en duo (« Amazonie » avec Rodolphe, « Mutations » avec Corine Jamar). L’imagination de Leo ne semble donc pas avoir de limites. A l’occasion d’une exposition des planches originales de « Retour sur Aldébaran » à la galerie Huberty & Breyne à Bruxelles, nous en avons profité pour lui demander d’où lui viennent toutes ses idées.
Pourquoi ce retour sur Aldébaran?
Je me suis dit qu’il fallait inventer quelque chose de nouveau, afin de ne pas me répéter. Je me suis donc appuyé sur un autre schéma en faisant revenir mes personnages sur Aldébaran, mais en les envoyant quand même sur une autre planète par le biais d’une porte quantique. Cela change un peu par rapport à mes albums précédents.
Comment avez-vous eu cette idée de porte quantique?
C’est difficile à dire. J’ai imaginé cette porte parce que ça me donnait l’occasion d’aller vers une nouvelle planète, sans pour autant passer par le chemin traditionnel de mes cycles précédents, qui racontent tous la colonisation d’une nouvelle planète et les difficultés que cela entraîne. Cela dit, mon objectif principal avec cette nouvelle série était surtout de rassembler les personnages de Kim et de Manon.
Pourquoi? Parce que Manon est un peu la nouvelle Kim?
Oui, on peut dire ça. Dans « Survivants », Manon était une adolescente, tout comme Kim l’était dans la première série « Aldébaran » avant de devenir adulte dans les cycles suivants. J’aime bien mettre en scène des jeunes gens qui découvrent la vie, l’amour, le sexe.
Quelle est la différence entre Manon et Kim?
Manon n’est pas timide, mais elle est plus réservée. Kim, par contre, est une femme d’action. Ce sont deux personnages que j’aime beaucoup. C’est pour ça que j’ai tenu à ce qu’elles se rencontrent. Ce qui est amusant, c’est que Manon est née 100 ans avant Kim, mais grâce à la porte quantique, elles peuvent quand même se croiser.
Si je comprends bien, la porte quantique est une pirouette de scénariste. Elle vous permet de résoudre tous vos problèmes?
Oui, un peu. (rires) Cela dit, les portes quantiques existent vraiment, même si cela reste quelque chose de très compliqué. Même Einstein avait apparemment du mal à comprendre la physique quantique!
Vos albums se basent-ils sur des recherches scientifiques réelles ou bien sont-ils entièrement le fruit de votre imagination?
J’essaie de me baser sur certaines recherches scientifiques réelles, pour au moins donner l’impression que ce que je raconte dans mes albums est crédible. Bien sûr, j’exagère un peu l’un ou l’autre élément, mais je veux éviter que mes histoires ressemblent à du délire total. Dans « Bételgeuse », par exemple, j’ai mis en scène une voiture qui vole. Mais avant de la dessiner, j’ai vraiment cherché à comprendre à quoi un tel engin pourrait ressembler et comment il fonctionnerait. Il faut savoir que je suis ingénieur de formation, donc j’adore me pencher sur les détails techniques. Je lis d’ailleurs beaucoup de revues scientifiques.
Le point de départ de vos Mondes d’Aldébaran, c’est le fait que les humains doivent quitter la Terre parce que celle-ci n’est plus vivable. Est-ce que vous croyez que c’est quelque chose qui va finir par se produire pour de vrai?
Non, je ne crois pas. C’est juste une extrapolation qui provient de mon imagination. En réalité, le projet « Aldébaran » est né de ma fascination pour la découverte d’un nouveau monde. Quand j’étais gosse avec mon frère, on imaginait les Portugais qui débarquaient au Brésil au milieu de plantes et d’animaux qu’ils ne connaissaient pas, avec des Indiens qu’ils trouvaient sans doute bizarroïdes. Cela nous impressionnait beaucoup. Mais aujourd’hui, il n’y a plus de nouveaux continents à découvrir sur la Terre. Du coup, si on veut revivre ce genre d’expériences, il faut aller vers des nouvelles planètes.
Un autre élément qui revient souvent dans vos bandes dessinées, c’est que les humains finissent toujours par tout gâcher. Comment expliquez-vous cela?
Dans le premier cycle d’Aldébaran, j’ai essayé d’imaginer ce que ça donnerait si un petit groupe de 1.500 personnes devait apprendre à vivre ensemble pendant un siècle. Dans ce genre de situation, il y a toujours quelqu’un qui finit par décider qu’il faut produire davantage, que les femmes doivent faire des enfants, que ceux qui veulent chanter ou faire de la poésie doivent faire des choses plus utiles, etc. A côté de cet aspect dictatorial, il y a souvent aussi une dimension religieuse. Les gens ont besoin de se raccrocher à quelque chose. Selon moi, ce que je raconte dans « Aldébaran » est tout à fait plausible. Mes scénarios sont d’ailleurs basés en partie sur mon expérience personnelle de la dictature brésilienne. Cela dit, même s’il y a toujours des dérives, je crois qu’il y a toujours aussi des petits groupes d’humains qui sont prêts à s’engager dans une forme de résistance. Il y a toujours des gens bien pour s’opposer à la bêtise. C’est ce qui s’est passé avec les personnes qui ont sauvé des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale, par exemple.
La série « Retour sur Aldébaran » ne comptera que trois tomes, soit beaucoup moins que vos autres séries. Pourquoi ce choix?
Par rapport aux autres cycles, on a effectivement choisi de faire moins de tomes de « Retour sur Aldébaran ». Mais par contre, on fait des épisodes plus longs, avec trois albums de 60 pages au lieu de cinq albums de 46 pages. Avec Dargaud, on s’est dit que c’était mieux de ne pas attendre cinq ou six ans pour boucler la série, mais de la terminer en trois ans. Il faut dire aussi que je travaille plus vite qu’avant. C’est grâce à l’expérience.
Et après? Vous avez déjà des idées pour la suite?
Oui, je pense à plein de choses, comme toujours. Ce qui me préoccupe surtout, c’est de savoir comment je vais parvenir à me renouveler.
Comment est-ce que vous travaillez? Est-ce que vous avez une ligne du temps et une grande carte de l’univers sur les murs de votre bureau?
Non, je n’en ai pas besoin. Mon bureau est assez petit, un peu comme un cockpit, donc tout est dans ma tête. Cela fait tellement longtemps que je navigue dans cet univers qu’il est bien consolidé dans mon esprit. Je sais exactement comment se comportent tous mes personnages dans telle ou telle situation.
Sur « Retour sur Aldébaran », vous êtes à la fois dessinateur et scénariste. Sur d’autres séries, vous êtes seulement scénariste. Qu’est-ce que vous préférez entre les deux?
« Aldébaran », c’est mon truc à moi. Je ne pourrais jamais confier cette histoire à quelqu’un d’autre. Par contre, sur les autres séries, c’est complètement différent. Le travail avec Rodolphe, par exemple, est plus léger et plus facile parce qu’on partage l’angoisse de la création.
Comment est-ce que vous travaillez avec Rodolphe?
C’est étrange, parce qu’on ne se parle pas forcément beaucoup, mais on se comprend parfaitement. On déjeune ensemble et on échange des idées. Puis on rentre à la maison et on met des trucs sur papier. En réalité, on pourrait très bien écrire nos scénarios chacun de notre côté, mais c’est beaucoup plus amusant de le faire à deux. A un moment donné, par exemple, lui avait envie d’écrire une histoire qui se déroule juste après la guerre et moi, j’avais en tête un récit qui se déroule dans les plaines d’Afrique, comme dans les vieux films de safari avec Clark Gable, avec soudain l’apparition d’un animal préhistorique. C’est en mettant ces éléments ensemble qu’on a créé la série « Kenya », qui s’est super bien vendue. Comme on s’amusait et qu’en plus ça marchait, on a continué à créer des aventures avec notre héroïne Kathy Austin, d’abord « Namibia » puis « Amazonie ». Mais on a fait appel à un autre dessinateur parce que je n’arrivais plus à suivre.
Est-ce qu’il y a un style Leo?
Je crois que je ne suis pas la meilleure personne pour répondre à cette question, mais je dirais que mes histoires se caractérisent par un côté assez lent, sans trop d’action, avec une grande attention accordée aux personnages et aux relations entre eux. C’est parce que mes histoires prennent leur temps pour s’installer que beaucoup de lecteurs préfèrent les lire sous forme d’intégrales. En plus, ce sont de beaux objets.
Est-ce qu’il y a des projets d’adaptation de vos albums en film ou en série?
Il y a déjà eu des projets pour « Aldébaran », mais ça n’a jamais abouti. J’ai notamment été en contact avec un producteur français qui voulait faire un film à gros budget, tourné en anglais sur la côte australienne avec des acteurs connus. Il y a aussi eu un projet de série lancé par des Britanniques, mais pour l’instant j’attends toujours que ça se concrétise. J’espère que ça se fera un jour, parce que je pense que ce serait génial d’adapter « Aldébaran » en film ou en série.