Une fois n’est pas coutume, c’est un livre qu’il faut commencer par les remerciements. Impossible sinon de comprendre le cheminement de ce texte, de sa genèse à sa dernière mouture. Nico Walker l’a écrit en prison. Condamné à 11 ans de réclusion pour vol avec violence, il devrait retrouver la liberté l’an prochain. Cherry possède une tonalité très autobiographique, j’ai d’ailleurs cru au départ que ce serait un pur récit de prison, à la manière de ce qu’a pu faire Chester Himes dans Qu’on lui jette la première pierre ou plus récemment Joel Williams avec Du sang dans les plumes. Mais je me suis trompé sur toute la ligne. Cherry ne se passe pas derrière les barreaux, c’est l’histoire d’un pauvre gosse d’une pauvre banlieue de Cleveland qui tombe amoureux fou d’Emily au milieu des années 2000, s’engage dans l’armée alors qu’il a tout juste 20 ans, part sur le front irakien et rentre au pays tellement perturbé qu’il sombre dans l’héroïne et la délinquance.
Dis comme ça, j’avoue, ça ne fait pas rêver. Et autant prévenir les adeptes de feelgood et autres niaiseries mielleuses, Cherry n’a rien d’une douce cerise sur un bon gros gâteau. C’est plutôt glauque, désespéré, toxique, sans issue. Une plongée dans la noirceur d’un quotidien rythmé par le manque de drogue et la quête sans fin de la dose qui va permettre de tenir le coup jusqu’à la prochaine. Du moins dans la seconde partie du livre. La première est un récit de troufion américain plutôt classique avec la chaleur insupportable du désert, l’ennui sans fin de la vie de caserne, les missions inutiles auprès d’une population locale jamais coopérative et la perte de camarades dont les véhicules blindés sautent sur des mines. Le narrateur est aide-soignant, il a été formé à la va-vite et n’y connait rien en médecine. Il se contente de faire quelques bandages, de distribuer de l’aspirine et de constater les dégâts que peut faire une arme artisanale sur le corps d’un soldat (membres arrachés, cadavres calcinés, etc.). Une expérience forcément plus traumatisante qu’enrichissante dont il ne tirera aucune gloire.
Le retour au pays signe le début des chapitres les plus réussis du livre. On suit son basculement vers l’addiction à l’héroïne dans laquelle il entraîne l’amour de sa vie Emily. Chaque jour, partir en quête de la divine poudre. Chaque jour, se frotter à des dealers sans scrupules qui l’embarquent dans des plans foireux, l’arnaquent avec de la dope archi-coupée ou se barrent carrément avec son argent sans rien lui offrir en échange. Le couple sombre, la trésorerie s’assèche. Ensemble ils pensent s’en sortir alors qu’ils ne font que se tirer mutuellement vers le bas. Les jours de dèche ils passent leur temps à vomir, se disent que le sevrage n’a aucune chance d’aboutir et qu’il est préférable de replonger au plus vite. Et quand l’argent vient à manquer, le braquage de banques devient la seule issue possible. Sans se poser de question mais aussi sans illusion, avec la certitude que tout ça ne pourra pas durer indéfiniment.
Le style est brutal. Pas de chichi, tout est décrit sans complaisance mais avec une forme de naïveté et une précision qui file la nausée. L’écriture, sèche, elliptique, ne s’embarrasse pas de fioritures. Les dialogues claquent avec un réalisme ravageur et les personnages secondaires sont croqués avec une attention qui force le respect.
Roman de guerre, roman d’amour et roman sur l’addiction, Cherry est une énorme claque dans la gueule de l’Amérique. C’est un roman de l’échec, échec personnel, échec de tout un pays incapable de sauver ses enfants après les avoir envoyés au casse-pipe dans un inextricable bourbier et qui finit par les enfermer plutôt que de leur tendre la main. Un texte incroyable de sincérité, qui ne tourne jamais au pathos ou à l’enjolivement. Les pages sur la toxicomanie sont les plus bouleversantes que j’ai pu lire depuis le cultissime Requiem for a Dream (Retour à Brooklyn) de Selby. Une référence absolue en ce qui me concerne, la comparaison est amplement méritée et place d’emblée Cherry au firmament de mes plus belles lectures américaines de ces dernières années.
Cherry de Nico Walker (traduit de l’américain par Nicolas Richard). Les Arènes, 2019. 430 pages. 20,00 euros.
Dis comme ça, j’avoue, ça ne fait pas rêver. Et autant prévenir les adeptes de feelgood et autres niaiseries mielleuses, Cherry n’a rien d’une douce cerise sur un bon gros gâteau. C’est plutôt glauque, désespéré, toxique, sans issue. Une plongée dans la noirceur d’un quotidien rythmé par le manque de drogue et la quête sans fin de la dose qui va permettre de tenir le coup jusqu’à la prochaine. Du moins dans la seconde partie du livre. La première est un récit de troufion américain plutôt classique avec la chaleur insupportable du désert, l’ennui sans fin de la vie de caserne, les missions inutiles auprès d’une population locale jamais coopérative et la perte de camarades dont les véhicules blindés sautent sur des mines. Le narrateur est aide-soignant, il a été formé à la va-vite et n’y connait rien en médecine. Il se contente de faire quelques bandages, de distribuer de l’aspirine et de constater les dégâts que peut faire une arme artisanale sur le corps d’un soldat (membres arrachés, cadavres calcinés, etc.). Une expérience forcément plus traumatisante qu’enrichissante dont il ne tirera aucune gloire.
Le retour au pays signe le début des chapitres les plus réussis du livre. On suit son basculement vers l’addiction à l’héroïne dans laquelle il entraîne l’amour de sa vie Emily. Chaque jour, partir en quête de la divine poudre. Chaque jour, se frotter à des dealers sans scrupules qui l’embarquent dans des plans foireux, l’arnaquent avec de la dope archi-coupée ou se barrent carrément avec son argent sans rien lui offrir en échange. Le couple sombre, la trésorerie s’assèche. Ensemble ils pensent s’en sortir alors qu’ils ne font que se tirer mutuellement vers le bas. Les jours de dèche ils passent leur temps à vomir, se disent que le sevrage n’a aucune chance d’aboutir et qu’il est préférable de replonger au plus vite. Et quand l’argent vient à manquer, le braquage de banques devient la seule issue possible. Sans se poser de question mais aussi sans illusion, avec la certitude que tout ça ne pourra pas durer indéfiniment.
Le style est brutal. Pas de chichi, tout est décrit sans complaisance mais avec une forme de naïveté et une précision qui file la nausée. L’écriture, sèche, elliptique, ne s’embarrasse pas de fioritures. Les dialogues claquent avec un réalisme ravageur et les personnages secondaires sont croqués avec une attention qui force le respect.
Roman de guerre, roman d’amour et roman sur l’addiction, Cherry est une énorme claque dans la gueule de l’Amérique. C’est un roman de l’échec, échec personnel, échec de tout un pays incapable de sauver ses enfants après les avoir envoyés au casse-pipe dans un inextricable bourbier et qui finit par les enfermer plutôt que de leur tendre la main. Un texte incroyable de sincérité, qui ne tourne jamais au pathos ou à l’enjolivement. Les pages sur la toxicomanie sont les plus bouleversantes que j’ai pu lire depuis le cultissime Requiem for a Dream (Retour à Brooklyn) de Selby. Une référence absolue en ce qui me concerne, la comparaison est amplement méritée et place d’emblée Cherry au firmament de mes plus belles lectures américaines de ces dernières années.
Cherry de Nico Walker (traduit de l’américain par Nicolas Richard). Les Arènes, 2019. 430 pages. 20,00 euros.