Image captée sur le site Babélio
Vernon Subutex est un disquaire sur le déclin : son commerce a périclité, il survit difficilement d'aide sociale et son mentor qui lui paie ses fins de mois difficiles (loyers compris) vient de mourir. La descente aux enfers ne fait que commencer.Écrites comme cela, les trois précédentes lignes ne donnent foncièrement pas envie de débuter la lecture du bouquin. Ce serait sincèrement dommage. D'abord parce que notre Vernon est un gars sympathique, sociable et qui a tout plein d'amis pour l'héberger le temps de sa galère. Mais notre Vernon a l'art et la manière de s'attirer les ennuis ou de les provoquer ou de fricoter avec les mauvaises personnes. Et du coup, son quotidien ne s'arrange pas !
Le récit de l'histoire n'est pas linéaire, ce qui le rend hyper passionnant et pas simple à suivre (dixit mon cerveau certes en vacances mais ramolli d'une cadence habituelle infernale). Il y a donc Vernon affable mais aussi tous ses copains, ex-amis, ex-concubines ou ex-parties de jambe en l'air (et son monde fornique à tout va. Je reconnais que lire Vernon Subutex m'a instruite sur l'univers trans, lesbien, gay et porno. J'avais pas mal de lexique à rattraper.) Il y a aussi l'énigme dans ce chemin de traverse car plusieurs personnes recherchent notre homme pour un trésor dont il n'a pas encore connaissance.
Après avoir parcouru les éléments biographiques (grâce à Wikipédia, mon meilleur ami) de Virginie Despentes, j'ai le sentiment que l'auteure (je devrais dire autrice mais je déteste ce nom - je n'aime pas sa sonorité, il faudrait que je m'y fasse pourtant) y a narré sa vie, du moins a repris son parcours de vie pour y construire sa série. Il y a l'univers rock, l'underground, le crack, l'alcool, l'amour physique (et parfois sans issue... reprise de Serge Gainsbourg), il y a le monde LGBT, il y a le monde de la nuit et il y a notre monde (celui des laissez-pour-compte dont la colère justifiée dérive en sectaire politique, celui d'une conjugalité défaillante ou en déprime). A la fin de la lecture de ce premier tome, il m'est venu deux remarques :
- la première élogieuse qui met en lien Vernon Subutex tome 1 à l'Assommoir d'Emile Zola (j'y vois plein de points communs : l'acuité du regard de chaque auteur sur leur monde, la société qui les entoure ; le déclassement social de leurs héros, leur chute continuelle également, la violence conjugale, les addictions en tout genre);
- la seconde (et j'en parle en introduction, ce qui prouve que même sans relecture, je suis capable de ne pas oublier) relève d'une remarque toute simple : Virginie Despentes ne parle pas d'amour, du sentiment d'amour. C'était déjà le cas dans Apocalypse bébé, et c'est aussi le cas dans Vernon Subutex #1. Peut-être le décrit-elle dans ses autres œuvres mais là, il n'y a rien. Il y a la rage, la colère, le désespoir, l'envie, le désir, la passion, le manque, l’exubérance, l'exagération mais il n'y a pas d'amour, il n'y a jamais d'amour. Il y a des coups de foudre, des coups tout court (parfois sulfureux, souvent douloureux), il y a une certaine cristallisation stendhalienne vitesse grand V (cinq jours maximum) mais il n'y pas pas de sentiment amoureux, ou du moins un ersatz, une représentation erronée de l'amour. Et je crois que sous son travers de fille-auteure décomplexée, il y a une vraie pudeur/une fêlure (et peut-être une difficulté littéraire et humaine) de la part de Virginie Despentes à exprimer ce qu'est l'amour, à le décrire, à en parler. Ou bien les deux livres lus d'elle ne s'y prêtent pas ? L'univers factice de Vernon Subutex #1 est rude pour les âmes sensibles, et violent tout court : chaque humain roule en pilote automatique, en fonction de ses besoins et de ses désirs ; l'impatience induit l'instabilité, la violence physique ou verbale et l'extrémisme. Les ébats corporels se résument souvent à des gestes, à de l'énergie, rarement à une fusion.
Comme tant d'autres avant elle (Patrick Modiano, Annie Ernaux par exemple), Virginie Despentes s'est livrée dans Vernon Subutex #1 : elle y a dessiné son passé, ses angoisses, ses souvenirs, ce qui l'a construite, ce qui l'a détruite aussi et les a sublimés en atteignant l'universalité, pour nous remettre un premier tome 1 unique, riche qui en dit long sur notre présent. Je lui souhaite tout le bonheur du monde parce qu'il est clair que la vie ne lui a certainement pas fait de cadeau, qu'elle a morflé ; je lui souhaite de connaître l'amour simple limite ennuyeux et la douceur.
Sans contestation possible, Vernon Subutex #1 fait partie des classiques français : aussi précieux que fragile, aussi riche qu'indémodable. Exemplaire donc !
Editions Le Livre de Poche
avis :
Krol, Aifelle, Alex, Comète, Gwenaelle, Keisha, Papillon, Céline, Laure, Sylire, Clara, Sandrion, Estelle, Mior,
De la même auteure : Apocalypse bébé