Eh oui, voilà un méchant qui se pique de poésie, avec plus ou moins (?) de talent... D'où ces vers, disons, assez violent, mais qui évoque celle qui est au coeur de notre roman du jour, au point que c'est son nom qui lui sert de titre. Treize ans ! On a attendu treize longues années avant de pouvoir lire un nouveau thriller signé Thomas Harris ! Forcément, dès l'annonce l'année dernière de cette publication, l'impatience avait grandi et c'est non sans une certaine fébrilité qu'on s'attaque à "Cari Mora", paru au printemps chez Calmann-Lévy (traduction de Bernard Cohen). On y retrouve quelques éléments qui pourraient faire penser au "Silence des agneaux", c'est presque inévitable de jouer au jeu des comparaisons, mais on oublie vite tout ça pour se plonger dans l'histoire de Cari Mora, jeune femme aux apparences fragiles, aux prises avec un paquet de bonshommes déterminés à obtenir ce qu'ils sont venus chercher. Mais il faut toujours se méfier des apparences...
Deux hommes s'entretiennent au téléphone. Une conversation longue distance, puisque l'un est à Barranquilla, en Colombie, et l'autre, à Miami. Le sujet de la conversation ? L'argent, évidemment ! Le second, Hans-Peter Schneider, réclame le pognon que lui doit le premier, Jesus Villareal, dont on doute qu'il ait la même philosophie que l'auguste personnage dont il porte le prénom...
Mais laissons Jesus, qui n'a pas l'air en grande forme, et intéressons-nous à Hans-Peter. Un homme qui ne passe guère inaperçu : il est grand, d'une pâleur spectrale et surtout, il n'a pas un poil sur l'ensemble du corps... Et après ce coup de fil cordial, mais emprunt d'une fermeté non dissimulée, il est concentré sur un objectif, à travers les objectifs d'une paire de jumelles.
C'est une maison qui focalise son attention. Une belle baraque, sans doute, dans ce coin de Miami. Mais surtout une maison qui a une histoire : un de ses anciens propriétaire s'appelait Pablo Escobar. Jamais le plus célèbre des narcotrafiquants n'y a vécu, il l'avait acheté en solution de repli pour sa famille, au cas où il serait arrêté...
Ensuite, elle est passée de propriétaire en propriétaire, sans que personne ne s'y installe durablement. Mais chacun de ses acheteurs successifs y a laissé son empreinte : la maison est pleine d'un impressionnant bric-à-brac, les vestiges d'une passion abandonnés là comme si un revers de fortune avait obligé un départ à la six-quatre-deux...
Aujourd'hui, la maison n'a plus sa splendeur initiale, mais elle conserve une certaine allure, un peu flétrie tout de même. Et elle est encore habitée. Pas par un énième propriétaire, mais par une locataire. Une locataire dont la présence contrarie les plans de Hans-Peter, car il voudrait pouvoir opérer dans la plus grande tranquillité, et sans témoin encombrant.
Voilà pourquoi à côté de l'homme glabre, se trouve Félix, un agent immobilier qui a la charge de cette maison un peu spéciale. Et qui se retrouve bien embêté, parce que Hans-Peter n'a pas l'air très compréhensif, en réalité, il est clairement menaçant, et que la locataire, elle, n'a pas du tout envie de partir de là, et peu importe ce qu'on lui offre...
Cette locataire s'appelle Caridad Mora, que tout le monde appelle par son diminutif, Cari. Une jeune femme pleine d'énergie, qui rêve de devenir un jour vétérinaire et d'habiter dans sa propre maison, mais qui doit pour l'instant exercer plusieurs petits boulots pour pouvoir joindre les deux bouts. Son préféré se passe auprès d'une association de préservation des oiseaux marins.
Oh, il ne s'agit pas encore de soigner les animaux victimes, bien souvent, de l'activité humaine. Mais, de tout préparer pour que les vétérinaires puissent travailler dans les meilleures conditions ou que les participants aux excursions dans les keys, sources essentielles de revenus pour l'association, ne manquent de rien et reviennent contents...
Ce qu'elle ignore, c'est que la maison qu'elle habite fait l'objet de nombreuses convoitises... Enfin, pas vraiment la maison elle-même, mais plutôt ce qu'elle est censée contenir. En effet, il semblerait qu'une coquette quantité d'or soit enterrée quelque part sur cette propriété et plusieurs gangs sont sur le coup, attendant le moment propice pour tout retourner et mettre la main sur le trésor d'Escobar...
Dites donc, j'ai fait bref, pour ce résumé, incroyable ! Mais que vous dire de plus : l'essentiel est là, je pense, le reste, c'est à vous de le découvrir. Et de vous intéresser au personnage de Cari Mora, dont on se demande comment elle va se débrouiller au milieu de tous ces requins sans état d'âme. Quel va être le rôle de cette locataire qui dérange bien des plans ?
Soyons franc, on se doute vite qu'il y a anguille sous roche, et qu'elle est de belle taille. Mais qui est vraiment Cari Mora ? C'est l'un des enjeux majeurs de ce roman, vous savez, les fameuses apparences dont il faut se méfier... Ce qui explique que nous allons enchaîner directement avec un autre sujet, pour ne rien dévoiler à son sujet...
Mais ce que l'on peut dire, c'est que très vite, le duo Cari Mora / Hans-Peter Schneider s'impose comme le coeur de ce roman. Et là, forcément, même en mobilisant toute la volonté du monde, on se demande si... Eh bien oui, s'il n'y a pas du Clarice Starling / Hannibal Lecter qui transparaîtrait dans ce nouveau binôme imaginé par Thomas Harris...
Télérama, par exemple, ne s'embarrasse pas : mention du "Silence des agneaux" dès le "chapeau" de l'article, puis dès les premiers mots de l'article, une référence à la plus célèbre stagiaire du FBI et son serial killer "préféré"... Et Christine Ferniot n'est forcément pas la seule à avoir réagi ainsi face à Cari Mora, cible de l'ogre Hans-Peter...
Avant de donner un avis sur la question, un mot sur Hans-Peter, justement, dont je n'ai décrit que le physique jusqu'à présent. C'est LE méchant du roman, même s'il faut reconnaître que les gentils sont en nette minorité, dans une histoire où l'on n'a aucun scrupule à éliminer la concurrence dans la chasse au trésor en cours.
Un bon vieux psychopathe comme on a envie d'en trouver lorsqu'on ouvre un bouquin de Thomas Harris, oui, je sais, je suis un lecteur très prévisible et poussant les auteurs à stéréotyper leur production... Mais non, ça n'existe pas, les lecteurs qui voudraient que leurs auteurs préférés écrivent toujours le même livre, voyons ! (la dernière phrase contient de vrais morceaux d'ironie).
Hans-Peter Schneider est donc un homme violent, impitoyable, dont les côtés les plus sombres vont apparaître au fil du roman, ainsi que les origines. Mais, même un monstre, un tueur sans merci, a ses jardins secrets : la musique, la poésie... La muse vient souvent le taquiner, pour accompagner ses exploits, à l'image des vers cités en titre du billet, qui lui sont inspirés par Cari Mora...
Il m'a bien plus, ce Hans-Peter, je me suis bien amusé à suivre son évolution, sa folie furieuse, sa violence sans borne, sa cupidité dévorante, son côté Néron, faisant des vers lorsqu'il sent la violence monter ou lorsqu'il vient d'assouvir son besoin de tuer... Il a même un petit côté cannibale, il ne faut jamais changer une équipe qui gagne...
Je peux paraître ironique dans mon propos, mais ce personnage de méchant vaut le coup d'oeil, par son espèce de démesure, sa vanité absolue, sa roublardise aussi... Oui, il faut le prendre au sérieux, parce que si on relâche sa garde face à un individu pareil, lui ne vous rate pas et vous expédie en enfer, sans espoir de retour...
J'ajoute que, derrière son côté grand-guignolesque, Hans-Peter a aussi des goûts très particuliers... Et pour qui aurait eu l'idée bizarre de le trouver sympathique de prime abord, il va vite calmer les ardeurs par sa perversité écoeurante... Dès le premier coup d'oeil, Cari Mora va inspirer Hans-Peter, poétiquement, esthétiquement, mais aussi pour des raisons nettement plus sordides...
Voilà donc notre agnelle silencieuse installée et son prédateur potentiel présenté... Il est donc temps de refermer la parenthèse comparative... A moins que... Au fil des pages, et encore maintenant au moment de rédiger ce billet, une hypothèse m'apparaît, telle Nuestra Señora de la Caridad del Cobre sur la couverture de ce livre...
Je me demande à quel point Thomas Harris n'en a pas eu ras-le-bol de prolonger l'existence de Hannibal Lecter, façon acharnement thérapeutique. Il faut dire que, si "Dragon rouge" et "Le Silence des agneaux" vont rester des classiques, les autres sont oubliables... Pendant treize ans, il a dû, le pauvre, entendre parler, encore et encore, de cette envahissante créature, jusqu'à la nausée...
Alors, il a eu cette idée (oui, je m'aventure dans la tête de Thomas Harris, on ne se refuse rien, ici, mais tout cela est une hypothèse, bien sûr), l'idée d'écrire un anti- "Silence des agneaux" absolu... On reprend la plupart des éléments forts du classique qu'on lira encore dans bien des années, et on le retourne, comme un gant de toilette...
Vous voulez une Clarice Sterling vulnérable sous ses airs de dure, inexpérimentée, maladroite et manipulable ? Eh bien voilà Cari Mora, qui cache sous ses airs fleur bleue et son amour pour les animaux, une personnalité bien trempée. Elle n'est pas du genre à flipper pour quelques lamentables bêlements, parce qu'elle a connu bien pire...
Vous voulez un Hannibal Lecter, raffiné, élégant, cultivé, et pourtant impitoyable, insaisissable et chambreur, séduisant malgré tout ? Eh bien voilà Hans-Peter Schneider, raffiné, élégant, cultivé, et pourtant impitoyable et insaisissable. Mais séduisant, c'est peut-être beaucoup dire. Quant au chambrage, c'est plutôt lui la cible, car il devient vite assez grotesque...
Vous voulez une ambiance oppressante et flippante à la "Silence des agneaux", un drame implacable dont on sort groggy ? Eh bien, vous aurez "Cari Mora", un thriller enlevé et violent, presque construit comme une pièce de théâtre, limite un vaudeville, ou mieux, du grand-guignol. Pas jusqu'à la caricature, mais vraiment à l'extrême-limite, par moments...
Bref, fallait pas emm... euh, enquiquiner Thomas Harris avec Hannibal le Cannibale. Il n'est pas Conan Doyle, il ne va pas balancer son personnage du haut d'une falaise pour qu'on en finisse et que ce ne soit pas lui qui finisse par nourrir des envies de meurtres, mais il sait manier l'ironie et l'auto-dérision pour, d'une certaine manière, se parodier lui-même.
Au-delà de cette hypothèse, qui est la mienne et n'est pas une vérité absolue, il est vrai que "Cari Mora", malgré l'attente, ne rejoindra sans doute pas "Le Silence des agneaux" au panthéon des thrillers mondiaux. Cela ne veut pas dire qu'on ne prend pas de plaisir à cette histoire, au contraire, la situation foutraque du départ est plutôt sympa et Cari Mora est un très beau personnage.
C'est d'ailleurs la frustration que j'ai après avoir lu ce livre : j'aurais aimé que Thomas Harris creuse un peu plus ce passé tumultueux, cette personnalité inattendue et la genèse de son anti-héroïne aux aspirations simples qui la rendent attachantes. En fait, j'ai eu l'impression que cette lecture était passée à toute vitesse, trop vite, même.
D'un côté, c'est en général un bon signe, et je le reçois d'ailleurs ainsi : je me suis laissé emporter par cette histoire, je l'ai dévorée et j'en aurais bien repris un peu. C'est l'autre côté, l'autre revers de la pièce, ce "goût de trop peu"... Comme pour Cari Mora, il y avait sûrement moyen de développer cette trame sur plus de 300 pages. Comme disait une pub de mon enfance, il est bien ton livre, monsieur Thomas Harris, vous pourriez pas le faire un peu plus long ?
Pour terminer ce billet, une petite histoire autour de ce livre... Par hasard, je me suis rendu compte que non seulement la fameuse maison de Pablo Escobar existait (ou plutôt, avait existé, car elle a été démolie au début de cette année, je crois), mais que Thomas Harris avait construit son roman autour d'un point de départ réel et tout à fait étonnant...
De ces événements, je ne vais pas parler ici, car Thomas Harris s'en écarte très rapidement pour laisser la place à la fiction, et c'est tant mieux, car le fait divers, lui, s'est vite enlisé dans la médiocrité, mais je vais terminer en vous offrant une visite de la maison en photos. Il n'y a pas le même bazar que dans le livre, on ne voit pas Cari Mora, en revanche, ce qui saute aux yeux, c'est le bon goût chaque fois plus évident des narco-trafiquants...
Plus de photos au bas de l'article.
Deux hommes s'entretiennent au téléphone. Une conversation longue distance, puisque l'un est à Barranquilla, en Colombie, et l'autre, à Miami. Le sujet de la conversation ? L'argent, évidemment ! Le second, Hans-Peter Schneider, réclame le pognon que lui doit le premier, Jesus Villareal, dont on doute qu'il ait la même philosophie que l'auguste personnage dont il porte le prénom...
Mais laissons Jesus, qui n'a pas l'air en grande forme, et intéressons-nous à Hans-Peter. Un homme qui ne passe guère inaperçu : il est grand, d'une pâleur spectrale et surtout, il n'a pas un poil sur l'ensemble du corps... Et après ce coup de fil cordial, mais emprunt d'une fermeté non dissimulée, il est concentré sur un objectif, à travers les objectifs d'une paire de jumelles.
C'est une maison qui focalise son attention. Une belle baraque, sans doute, dans ce coin de Miami. Mais surtout une maison qui a une histoire : un de ses anciens propriétaire s'appelait Pablo Escobar. Jamais le plus célèbre des narcotrafiquants n'y a vécu, il l'avait acheté en solution de repli pour sa famille, au cas où il serait arrêté...
Ensuite, elle est passée de propriétaire en propriétaire, sans que personne ne s'y installe durablement. Mais chacun de ses acheteurs successifs y a laissé son empreinte : la maison est pleine d'un impressionnant bric-à-brac, les vestiges d'une passion abandonnés là comme si un revers de fortune avait obligé un départ à la six-quatre-deux...
Aujourd'hui, la maison n'a plus sa splendeur initiale, mais elle conserve une certaine allure, un peu flétrie tout de même. Et elle est encore habitée. Pas par un énième propriétaire, mais par une locataire. Une locataire dont la présence contrarie les plans de Hans-Peter, car il voudrait pouvoir opérer dans la plus grande tranquillité, et sans témoin encombrant.
Voilà pourquoi à côté de l'homme glabre, se trouve Félix, un agent immobilier qui a la charge de cette maison un peu spéciale. Et qui se retrouve bien embêté, parce que Hans-Peter n'a pas l'air très compréhensif, en réalité, il est clairement menaçant, et que la locataire, elle, n'a pas du tout envie de partir de là, et peu importe ce qu'on lui offre...
Cette locataire s'appelle Caridad Mora, que tout le monde appelle par son diminutif, Cari. Une jeune femme pleine d'énergie, qui rêve de devenir un jour vétérinaire et d'habiter dans sa propre maison, mais qui doit pour l'instant exercer plusieurs petits boulots pour pouvoir joindre les deux bouts. Son préféré se passe auprès d'une association de préservation des oiseaux marins.
Oh, il ne s'agit pas encore de soigner les animaux victimes, bien souvent, de l'activité humaine. Mais, de tout préparer pour que les vétérinaires puissent travailler dans les meilleures conditions ou que les participants aux excursions dans les keys, sources essentielles de revenus pour l'association, ne manquent de rien et reviennent contents...
Ce qu'elle ignore, c'est que la maison qu'elle habite fait l'objet de nombreuses convoitises... Enfin, pas vraiment la maison elle-même, mais plutôt ce qu'elle est censée contenir. En effet, il semblerait qu'une coquette quantité d'or soit enterrée quelque part sur cette propriété et plusieurs gangs sont sur le coup, attendant le moment propice pour tout retourner et mettre la main sur le trésor d'Escobar...
Dites donc, j'ai fait bref, pour ce résumé, incroyable ! Mais que vous dire de plus : l'essentiel est là, je pense, le reste, c'est à vous de le découvrir. Et de vous intéresser au personnage de Cari Mora, dont on se demande comment elle va se débrouiller au milieu de tous ces requins sans état d'âme. Quel va être le rôle de cette locataire qui dérange bien des plans ?
Soyons franc, on se doute vite qu'il y a anguille sous roche, et qu'elle est de belle taille. Mais qui est vraiment Cari Mora ? C'est l'un des enjeux majeurs de ce roman, vous savez, les fameuses apparences dont il faut se méfier... Ce qui explique que nous allons enchaîner directement avec un autre sujet, pour ne rien dévoiler à son sujet...
Mais ce que l'on peut dire, c'est que très vite, le duo Cari Mora / Hans-Peter Schneider s'impose comme le coeur de ce roman. Et là, forcément, même en mobilisant toute la volonté du monde, on se demande si... Eh bien oui, s'il n'y a pas du Clarice Starling / Hannibal Lecter qui transparaîtrait dans ce nouveau binôme imaginé par Thomas Harris...
Télérama, par exemple, ne s'embarrasse pas : mention du "Silence des agneaux" dès le "chapeau" de l'article, puis dès les premiers mots de l'article, une référence à la plus célèbre stagiaire du FBI et son serial killer "préféré"... Et Christine Ferniot n'est forcément pas la seule à avoir réagi ainsi face à Cari Mora, cible de l'ogre Hans-Peter...
Avant de donner un avis sur la question, un mot sur Hans-Peter, justement, dont je n'ai décrit que le physique jusqu'à présent. C'est LE méchant du roman, même s'il faut reconnaître que les gentils sont en nette minorité, dans une histoire où l'on n'a aucun scrupule à éliminer la concurrence dans la chasse au trésor en cours.
Un bon vieux psychopathe comme on a envie d'en trouver lorsqu'on ouvre un bouquin de Thomas Harris, oui, je sais, je suis un lecteur très prévisible et poussant les auteurs à stéréotyper leur production... Mais non, ça n'existe pas, les lecteurs qui voudraient que leurs auteurs préférés écrivent toujours le même livre, voyons ! (la dernière phrase contient de vrais morceaux d'ironie).
Hans-Peter Schneider est donc un homme violent, impitoyable, dont les côtés les plus sombres vont apparaître au fil du roman, ainsi que les origines. Mais, même un monstre, un tueur sans merci, a ses jardins secrets : la musique, la poésie... La muse vient souvent le taquiner, pour accompagner ses exploits, à l'image des vers cités en titre du billet, qui lui sont inspirés par Cari Mora...
Il m'a bien plus, ce Hans-Peter, je me suis bien amusé à suivre son évolution, sa folie furieuse, sa violence sans borne, sa cupidité dévorante, son côté Néron, faisant des vers lorsqu'il sent la violence monter ou lorsqu'il vient d'assouvir son besoin de tuer... Il a même un petit côté cannibale, il ne faut jamais changer une équipe qui gagne...
Je peux paraître ironique dans mon propos, mais ce personnage de méchant vaut le coup d'oeil, par son espèce de démesure, sa vanité absolue, sa roublardise aussi... Oui, il faut le prendre au sérieux, parce que si on relâche sa garde face à un individu pareil, lui ne vous rate pas et vous expédie en enfer, sans espoir de retour...
J'ajoute que, derrière son côté grand-guignolesque, Hans-Peter a aussi des goûts très particuliers... Et pour qui aurait eu l'idée bizarre de le trouver sympathique de prime abord, il va vite calmer les ardeurs par sa perversité écoeurante... Dès le premier coup d'oeil, Cari Mora va inspirer Hans-Peter, poétiquement, esthétiquement, mais aussi pour des raisons nettement plus sordides...
Voilà donc notre agnelle silencieuse installée et son prédateur potentiel présenté... Il est donc temps de refermer la parenthèse comparative... A moins que... Au fil des pages, et encore maintenant au moment de rédiger ce billet, une hypothèse m'apparaît, telle Nuestra Señora de la Caridad del Cobre sur la couverture de ce livre...
Je me demande à quel point Thomas Harris n'en a pas eu ras-le-bol de prolonger l'existence de Hannibal Lecter, façon acharnement thérapeutique. Il faut dire que, si "Dragon rouge" et "Le Silence des agneaux" vont rester des classiques, les autres sont oubliables... Pendant treize ans, il a dû, le pauvre, entendre parler, encore et encore, de cette envahissante créature, jusqu'à la nausée...
Alors, il a eu cette idée (oui, je m'aventure dans la tête de Thomas Harris, on ne se refuse rien, ici, mais tout cela est une hypothèse, bien sûr), l'idée d'écrire un anti- "Silence des agneaux" absolu... On reprend la plupart des éléments forts du classique qu'on lira encore dans bien des années, et on le retourne, comme un gant de toilette...
Vous voulez une Clarice Sterling vulnérable sous ses airs de dure, inexpérimentée, maladroite et manipulable ? Eh bien voilà Cari Mora, qui cache sous ses airs fleur bleue et son amour pour les animaux, une personnalité bien trempée. Elle n'est pas du genre à flipper pour quelques lamentables bêlements, parce qu'elle a connu bien pire...
Vous voulez un Hannibal Lecter, raffiné, élégant, cultivé, et pourtant impitoyable, insaisissable et chambreur, séduisant malgré tout ? Eh bien voilà Hans-Peter Schneider, raffiné, élégant, cultivé, et pourtant impitoyable et insaisissable. Mais séduisant, c'est peut-être beaucoup dire. Quant au chambrage, c'est plutôt lui la cible, car il devient vite assez grotesque...
Vous voulez une ambiance oppressante et flippante à la "Silence des agneaux", un drame implacable dont on sort groggy ? Eh bien, vous aurez "Cari Mora", un thriller enlevé et violent, presque construit comme une pièce de théâtre, limite un vaudeville, ou mieux, du grand-guignol. Pas jusqu'à la caricature, mais vraiment à l'extrême-limite, par moments...
Bref, fallait pas emm... euh, enquiquiner Thomas Harris avec Hannibal le Cannibale. Il n'est pas Conan Doyle, il ne va pas balancer son personnage du haut d'une falaise pour qu'on en finisse et que ce ne soit pas lui qui finisse par nourrir des envies de meurtres, mais il sait manier l'ironie et l'auto-dérision pour, d'une certaine manière, se parodier lui-même.
Au-delà de cette hypothèse, qui est la mienne et n'est pas une vérité absolue, il est vrai que "Cari Mora", malgré l'attente, ne rejoindra sans doute pas "Le Silence des agneaux" au panthéon des thrillers mondiaux. Cela ne veut pas dire qu'on ne prend pas de plaisir à cette histoire, au contraire, la situation foutraque du départ est plutôt sympa et Cari Mora est un très beau personnage.
C'est d'ailleurs la frustration que j'ai après avoir lu ce livre : j'aurais aimé que Thomas Harris creuse un peu plus ce passé tumultueux, cette personnalité inattendue et la genèse de son anti-héroïne aux aspirations simples qui la rendent attachantes. En fait, j'ai eu l'impression que cette lecture était passée à toute vitesse, trop vite, même.
D'un côté, c'est en général un bon signe, et je le reçois d'ailleurs ainsi : je me suis laissé emporter par cette histoire, je l'ai dévorée et j'en aurais bien repris un peu. C'est l'autre côté, l'autre revers de la pièce, ce "goût de trop peu"... Comme pour Cari Mora, il y avait sûrement moyen de développer cette trame sur plus de 300 pages. Comme disait une pub de mon enfance, il est bien ton livre, monsieur Thomas Harris, vous pourriez pas le faire un peu plus long ?
Pour terminer ce billet, une petite histoire autour de ce livre... Par hasard, je me suis rendu compte que non seulement la fameuse maison de Pablo Escobar existait (ou plutôt, avait existé, car elle a été démolie au début de cette année, je crois), mais que Thomas Harris avait construit son roman autour d'un point de départ réel et tout à fait étonnant...
De ces événements, je ne vais pas parler ici, car Thomas Harris s'en écarte très rapidement pour laisser la place à la fiction, et c'est tant mieux, car le fait divers, lui, s'est vite enlisé dans la médiocrité, mais je vais terminer en vous offrant une visite de la maison en photos. Il n'y a pas le même bazar que dans le livre, on ne voit pas Cari Mora, en revanche, ce qui saute aux yeux, c'est le bon goût chaque fois plus évident des narco-trafiquants...
Plus de photos au bas de l'article.