Plus d'une quinzaine d'années après avoir créé le personnage de McCash, flic borgne, autodestructeur et portant un regard irrémédiablement pessimiste sur le monde, Caryl Férey signe la troisième enquête de la série. Et cette fois, il le place face à une double situation qui ne risque pas d'arranger son humeur, la découverte de sa paternité et la perte d'un ami... "Plus jamais seul" (désormais disponible en poche chez Folio) porte remarquablement son titre, même si ce n'est peut-être pas pour la raison que vous imaginez... Et comme c'est du Caryl Férey, c'est violent, très violent, et surtout engagé, très engagé. L'auteur de "Zulu" et "Mapuche" revient en Europe pour dénoncer les trafics ignobles qui s'y déroulent dans une relative indifférence, voire une franche hostilité... Et au passage, il donne son avis tranché (et tranchant) sur des questions politiques récentes, comme la situation de la Grèce, qui sert de cadre à une partie du livre...
Mc Cash n'est pas au meilleur de sa forme. Celui qui est désormais un ancien flic semble avoir atteint ses limites. Dire qu'il broie du noir est un peu faiblard, étant donné que c'est son état d'esprit habituel. Non, là, c'est grave, il pourrait mien être arrivé au bout de son chemin... Mais, avant de faire le grand saut, il a encore quelques trucs à faire.
A commencer par venir récupérer sa fille à la sortie du collège. Oui, sa fille ! Incroyable, non ? Il ne l'a appris que récemment, dans des circonstances bien tristes qui n'ont rien fait pour améliorer son humeur... Mc Cash, père ? C'est un bel oxymore ! Avec son pedigree familial, c'est surtout une sacrée bourde. Pauvre Alice, son père est tout sauf un père...
Les vacances sont dans quelques jours seulement, mais Mc Cash s'en fout. Il a décidé de passer les prochains jours, ses derniers jours, avec cette fille tombée du ciel. Il passe la première et vogue la Jaguar, direction le bord de l'océan. Mc Cash est un peu en pilote automatique et il se retrouve dans le magnifique décor de la baie des Trépassés, dans le Finistère.
Son compte en banque agonise encore plus que lui, mais c'est le cadet de ses soucis. Hôtel, resto, glaces, plage et baignades... Il ne refuse rien à Alice. Ensuite, elle verra bien, cela ne le concernera plus... Ces vacances improvisées et l'apprentissage du rôle de père au quotidien peuvent-ils aider Mc Cash à changer son fusil d'épaule au lieu de passer l'arme à gauche ? Rien n'est moins sûr...
Mais c'est un autre élément qui va sortir Mc Cash de son accablement. Un entrefilet dans le quotidien régional, annonçant la disparition en mer de Me Marc Kerouan au large d'Alicante... Marc Kérouan... Marco-le-Dingue, pour son vieux pote Mc Cash... Et aussitôt, des questions qui affluent dans la tête de l'ex-flic, son instinct d'enquêteur qui se réveille...
Mc Cash et Kérouan était aussi différents qu'on peut l'être, ils étaient d'ailleurs chacun dans un camp différent quand ils ont fait connaissance dans un prétoire. Ils ne partageaient en fait qu'un goût prononcé pour la provocation et l'autodestruction. L'alcool les a rapprochés et rendus presque inséparables pendant un moment. Avant qu'ils ne se perdent de vue.
Décidément, entre cette fille apparue sans crier gare et cet ancien pote disparu, c'est le passé de Mc Cash qui se rappelle à lui alors qu'il n'a qu'une envie : solder tous ses comptes... Mais, quelque chose turlupine Mc Cash : le voilier de Kérouan a été détruit par un cargo. Or, l'avocat était un excellent marin, sa prudence était proverbiale et il prenait toujours soin de rester à distance des cargos...
Ca ne colle pas, pour Mc Cash, qui décide de fureter. Une de ses sales habitudes, à défaut d'être encore une déformation professionnelle, puisque de profession, il n'a plus. Mais peu importe, son côté pénible est à peu près tout ce qu'il lui reste, alors il pose des questions, faisant jouer ses contacts jusqu'à Brest. Au fil des réponses, son intuition enfle, devient certitude.
Le naufrage de Marco ne peut pas être un accident, c'est impossible. S'il a été éperonné par un cargo, c'est que c'est ce que recherchait celui-ci. Il est le seul à défendre cette thèse, mais peu importe, envers et contre tous, c'est la devis de Mc Cash depuis toujours. Et s'il lui manquait encore un peu de motivation pour se lancer dans cette enquête impossible, les obsèques de son ami vont la lui fournir.
Car ce qu'il apprend à ce moment-là change carrément la donne : il ne s'agit plus d'une histoire d'amitié qu'il faudrait honorer. Non, c'est une affaire personnelle, et ça, ce serait sacré si Mc Cash avait la moindre propension à croire au sacré. Surtout, cela lui donne une raison bien vivante, espère-t-il, de faire la lumière sur cette histoire...
J'ai lu plusieurs romans de Caryl Férey, qui sont d'ailleurs chroniqués sur ce blog, mais je ne connaissais pas encore Mc Cash, bien que l'envie de lire "La jambe gauche de Joe Strummer" me soit passé par la tête plusieurs fois. Il faudra remédier à cette lacune, car ce personnage vaut le détour (j'ai failli écrire le coup d'oeil, je pense que ça le ferait marrer, le borgne, mais sait-on jamais...).
Mais, lorsque commence "Plus jamais seul", son parcours touche à sa fin. Le mot n'est jamais lâché, mais l'envie de se suicider le tenaille. Et il est mal en point, en rupture de ban, quasiment sans un rond en poche, son orbite vide en train de s'infecter faute de soin... Sans Alice, on peut imaginer qu'il serait passé à l'acte sans plus attendre...
Il se découvre père, et les premières impressions ne sont guère réjouissantes... Une ado, en plus, ça n'a rien de facile à gérer. Mais, Mc Cash est "un tendre au coeur dur", pour reprendre son expression. Alors il ne peut pas s'en balancer, de cette môme. Delà à s'y attacher, c'est peut-être un peu rapide. D'autant que l'affaire du bateau de Marco le hante désormais...
Il va se lancer dans son enquête, improbable, insensée, dangereuse, avec une impatience et une volonté qu'il ne se connaissait plus. Il lui faut absolument savoir ce qui s'est passé cette nuit-là, en Méditerranée, et d'abord pourquoi il se trouvait là, pourquoi il avait fallu qu'il aille jusqu'en Grèce pour acheter un bateau, alors qu'il vivait en Bretagne...
De fait, entre le moment où il va apprendre la mort de Marc Kérouan et son départ pour la Grèce, un certain nombre d'événements (j'en ai déjà évoqué quelques-uns, sans entrer dans le détail...) vont lui prouver que non seulement son impression est sans doute justifiée, mais que le mobile qui se cache derrière cette "fortune de mer" sent franchement mauvais...
Pour que Caryl Férey, écrivain voyageur s'il en est, revienne en Europe et ressorte Mc Cash de la naphtaline, c'est que l'heure est grave. Il faut bien un personnage aussi brut de décoffrage que lui, aussi franc et direct (du droit ou du gauche, peu importe) pour s'attaquer à ces questions au combien douloureuses, qui rythment notre actualité depuis des années...
Oh, je crois que l'on voit assez bien de quel sujet il est question, même si le dire explicitement risquerait d'être mal perçu par certains lecteurs. Mais, au-delà de la nature de cette activité et de la colère légitime qu'elle provoque chez Mc Cash et chez Caryl Férey, il reste encore beaucoup de choses à découvrir pour comprendre ce qui a pu se passer.
Il flotte au-dessus de Marc Kérouan une certaine ambiguïté, du moins du point de vue du lecteur. Pour Mc Cash, c'est différent : il connaissait l'avocat et ne peut envisager qu'il puisse avoir les mains sales. Sans oublier d'autres perspectives, que les informations laissées dans l'ombre font apparaître... L'inconséquence et la naïveté semblent avoir présidé à tout cela, bien plus que la cupidité, par exemple.
Pour plusieurs raisons, la quête improbable de Mc Cash, menée façon tête brûlée se disant que ce serait une belle façon de quitter la scène, est une quête de justice. Bon, ce n'est peut-être pas la raison première qui l'anime, mais elle arrive tout de même assez haut dans le hit-parade des raisons suffisantes pour s'en prendre quasiment tout seul à de gros méchants qui tuent sans état d'âme...
Tout seul, ce n'est pas tout à fait vrai... Il va trouver quelques alliés en chemin, mais sans doute aucun partageant son état d'esprit, c'est-à-dire se foutant comme de l'an 40 de laisser sa peau dans cette histoire. En revanche, des hommes et des femmes partageant sa colère et sa révolte, oui, même si leur combat a des airs de charge contre des moulins à vent...
Ses principaux alliés, c'est donc en Grèce que Mc Cash va les rencontrer. Caryl Férey n'a jamais une seule corde à son arc, il faut toujours saisir toutes les occasions de mettre dans le mille. Et, tout en abordant une question humanitaire fondamentale, qui fait de la Méditerranée une mer maudite, un "Mur Méditerranée", pour reprendre le titre d'un roman de cette rentrée littéraire, il n'oublie pas la politique.
Ce passage en Grèce permet à Mc Cash, sans doute bien soutenu par son créateur, pour faire un point sur l'histoire contemporaine de ce pays, depuis la dictature des colonels jusqu'aux désillusions suscitées par Syriza depuis son accession au pouvoir (les récentes élections législatives, que le livre n'évoque pas) l'ont d'ailleurs démontré avec fracas), en passant par la crise avec l'Union Européenne...
Caryl Férey est remonté et quand Caryl Férey remonté, lui toujours sortir l'artillerie lourde ! Personne n'échappe à la colère froide du romancier lorsqu'il expose les dysfonctionnements permanents de la politique grecque depuis des années et des années. Des politiques, mais d'une grande majorité de citoyens aussi... La peinture est assez sidérante, et n'exonère par l'Europe, Allemagne en tête.
La verve de Caryl Férey est intacte, son sentiment de révolte face à la folie humaine sous toutes ses formes, face aux injustices permanentes que personne n'endigue jamais. Et l'on se dit que Mc Cash est un bon substitut pour passer ses nerfs, pour coucher sur le papier ce que l'on aimerait pouvoir faire dans la vie réelle, sans que cela soit possible.
"Plus jamais seul" est un thriller mené grand train, plus ramassé que les romans de l'auteur se déroulant sur d'autres continents que l'Europe. Comme "Plutôt crever" et "La jambe gauche de Joe Strummer", les deux premières enquêtes de Mc Cash, "Plus jamais seul" est taillé selon un format qui rappelle celui de la classique série noire.
C'est un roman violent, mais ceux qui connaissent le style de Caryl Férey ne seront pas surpris, dans un contexte où la vie humaine est bien souvent quantité négligeable. La violence contre la violence, éternel débat qui ne sera certainement jamais tranché. Mais Mc Cash est libre, il n'est plus flic, il n'en a plus pour longtemps, alors pourquoi faire dans la finesse ?
Mais, au-delà de tout cela, l'élément fort, c'est l'évolution de Mc Cash... On part d'un homme qui envisage très sérieusement d'en finir, mais qui retrouve, par amitié, et un peu plus, une énergie qu'il ne pensait plus posséder... On voit apparaître des éléments qui pourraient bien redonner un coup de fouet à un mort en sursis...
Et c'est ce qui nous amène au titre de ce roman, un titre à plusieurs sens, finalement... Cela commence par une chanson, qui porte le même titre que le roman, "Plus jamais seul"... Des paroles qui résument parfaitement l'état d'esprit de Mc Cash et ses intentions en tout début de roman. En fait, ce n'est alors pas tant le "Plus jamais seul" qui compte, mais ce qui suit : "avec une bastos dans la gueule"...
Le message est clair et le fait que Mc Cash se passe ce morceau en boucle n'a rien de très rassurant. L'ultime chanson d'un punk qui n'a jamais été si proche de mettre en oeuvre le slogan le plus fameux de ce mouvement : "No future"... Mc Cash n'a plus d'avenir quand on le retrouve. En fait, il ne veut plus avoir d'avenir, parce qu'il n'en peut plus.
Et puis, arrive Alice... 13 ans, traversant un moment plus que pénible, héritant d'un père qui n'a pas l'instinct paternel et un caractère plutôt rebelle (il faut bien qu'elle ait quelque attrait pour Mc Cash)... Une charge pour l'ancien flic qui ne va pas faciliter ses projets... Mais il faut faire avec, Mc Cash ne se voit pas comme un père, mais il ne va pas l'abandonner non plus...
En voyant Mc Cash aux prises avec cette nouvelle paternité, j'ai pensé à un autre "tendre au coeur dur" du polar, Harry Bosch, qui a connu quasiment la même situation et a eu du mal à s'y faire. Mais Mc Cash n'est pas Bosch, il y a d'abord un travail à faire sur lui-même avant d'envisager la possibilité d'apprendre à devenir père et à vivre avec Alice...
Plus jamais seul... Déjà, le sens change un peu... Et puis, il y a la nouvelle dans le journal, la certitude que Marc n'a pas pu être victime d'un accident, l'enquête et la découverte qui le décide à agir, sans attendre... Soudain, une raison de survivre apparaît, minuscule étincelle, forcément éphémère... Mais suffisante pour une dernière danse.
Dans le roman, Mc Cash fait une distinction peut-être un peu tirée par les cheveux, mais pas inintéressante : d'un côté, sauver la vie, de l'autre, sauver de la mort. Il s'adresse à un autre personnage à ce moment (n'insistez pas, je ne dirai rien !), mais on se demande en l'entendant s'il ne se parle pas à lui-même, s'il n'essaye pas de se convaincre qu'il retarde l'échéance.
Et puis, l'histoire se déroule, et après la bastos dans la gueule et l'encombrante ado, une nouvelle version du "Plus jamais seul" va apparaître... On approche du dénouement, non en fait, on y est carrément, donc motus sur les faits... Mais force est de constater que le titre du livre n'est plus si noir et qu'il devient même porteur d'un peu d'espoir...
Oh, Mc Cash est trop vieux (et trop borné !) pour changer, il restera ce borgne irascible à l'humour contestable et aux idées éternellement sombres, au regard aussi lucide que pessimiste sur le genre humain, mais toujours prêt à lutter contre l'injustice et les êtres les plus vils et cupides. Ce qui peut changer, c'est son avenir...
Des conditions optimales (et le mot dans son sens le plus fort) pourraient le pousser à prendre un peu de rab, mais il va falloir que ça en vaille la peine... Caryl Férey nous laisse sur une fin ouverte (mais l'enquête est résolue, hein !) qui ne dit pas grand-chose des intentions de Mc Cash. Une quatrième enquête apporterait un début de réponse...
D'ici une douzaine d'années, peut-être !
Mc Cash n'est pas au meilleur de sa forme. Celui qui est désormais un ancien flic semble avoir atteint ses limites. Dire qu'il broie du noir est un peu faiblard, étant donné que c'est son état d'esprit habituel. Non, là, c'est grave, il pourrait mien être arrivé au bout de son chemin... Mais, avant de faire le grand saut, il a encore quelques trucs à faire.
A commencer par venir récupérer sa fille à la sortie du collège. Oui, sa fille ! Incroyable, non ? Il ne l'a appris que récemment, dans des circonstances bien tristes qui n'ont rien fait pour améliorer son humeur... Mc Cash, père ? C'est un bel oxymore ! Avec son pedigree familial, c'est surtout une sacrée bourde. Pauvre Alice, son père est tout sauf un père...
Les vacances sont dans quelques jours seulement, mais Mc Cash s'en fout. Il a décidé de passer les prochains jours, ses derniers jours, avec cette fille tombée du ciel. Il passe la première et vogue la Jaguar, direction le bord de l'océan. Mc Cash est un peu en pilote automatique et il se retrouve dans le magnifique décor de la baie des Trépassés, dans le Finistère.
Son compte en banque agonise encore plus que lui, mais c'est le cadet de ses soucis. Hôtel, resto, glaces, plage et baignades... Il ne refuse rien à Alice. Ensuite, elle verra bien, cela ne le concernera plus... Ces vacances improvisées et l'apprentissage du rôle de père au quotidien peuvent-ils aider Mc Cash à changer son fusil d'épaule au lieu de passer l'arme à gauche ? Rien n'est moins sûr...
Mais c'est un autre élément qui va sortir Mc Cash de son accablement. Un entrefilet dans le quotidien régional, annonçant la disparition en mer de Me Marc Kerouan au large d'Alicante... Marc Kérouan... Marco-le-Dingue, pour son vieux pote Mc Cash... Et aussitôt, des questions qui affluent dans la tête de l'ex-flic, son instinct d'enquêteur qui se réveille...
Mc Cash et Kérouan était aussi différents qu'on peut l'être, ils étaient d'ailleurs chacun dans un camp différent quand ils ont fait connaissance dans un prétoire. Ils ne partageaient en fait qu'un goût prononcé pour la provocation et l'autodestruction. L'alcool les a rapprochés et rendus presque inséparables pendant un moment. Avant qu'ils ne se perdent de vue.
Décidément, entre cette fille apparue sans crier gare et cet ancien pote disparu, c'est le passé de Mc Cash qui se rappelle à lui alors qu'il n'a qu'une envie : solder tous ses comptes... Mais, quelque chose turlupine Mc Cash : le voilier de Kérouan a été détruit par un cargo. Or, l'avocat était un excellent marin, sa prudence était proverbiale et il prenait toujours soin de rester à distance des cargos...
Ca ne colle pas, pour Mc Cash, qui décide de fureter. Une de ses sales habitudes, à défaut d'être encore une déformation professionnelle, puisque de profession, il n'a plus. Mais peu importe, son côté pénible est à peu près tout ce qu'il lui reste, alors il pose des questions, faisant jouer ses contacts jusqu'à Brest. Au fil des réponses, son intuition enfle, devient certitude.
Le naufrage de Marco ne peut pas être un accident, c'est impossible. S'il a été éperonné par un cargo, c'est que c'est ce que recherchait celui-ci. Il est le seul à défendre cette thèse, mais peu importe, envers et contre tous, c'est la devis de Mc Cash depuis toujours. Et s'il lui manquait encore un peu de motivation pour se lancer dans cette enquête impossible, les obsèques de son ami vont la lui fournir.
Car ce qu'il apprend à ce moment-là change carrément la donne : il ne s'agit plus d'une histoire d'amitié qu'il faudrait honorer. Non, c'est une affaire personnelle, et ça, ce serait sacré si Mc Cash avait la moindre propension à croire au sacré. Surtout, cela lui donne une raison bien vivante, espère-t-il, de faire la lumière sur cette histoire...
J'ai lu plusieurs romans de Caryl Férey, qui sont d'ailleurs chroniqués sur ce blog, mais je ne connaissais pas encore Mc Cash, bien que l'envie de lire "La jambe gauche de Joe Strummer" me soit passé par la tête plusieurs fois. Il faudra remédier à cette lacune, car ce personnage vaut le détour (j'ai failli écrire le coup d'oeil, je pense que ça le ferait marrer, le borgne, mais sait-on jamais...).
Mais, lorsque commence "Plus jamais seul", son parcours touche à sa fin. Le mot n'est jamais lâché, mais l'envie de se suicider le tenaille. Et il est mal en point, en rupture de ban, quasiment sans un rond en poche, son orbite vide en train de s'infecter faute de soin... Sans Alice, on peut imaginer qu'il serait passé à l'acte sans plus attendre...
Il se découvre père, et les premières impressions ne sont guère réjouissantes... Une ado, en plus, ça n'a rien de facile à gérer. Mais, Mc Cash est "un tendre au coeur dur", pour reprendre son expression. Alors il ne peut pas s'en balancer, de cette môme. Delà à s'y attacher, c'est peut-être un peu rapide. D'autant que l'affaire du bateau de Marco le hante désormais...
Il va se lancer dans son enquête, improbable, insensée, dangereuse, avec une impatience et une volonté qu'il ne se connaissait plus. Il lui faut absolument savoir ce qui s'est passé cette nuit-là, en Méditerranée, et d'abord pourquoi il se trouvait là, pourquoi il avait fallu qu'il aille jusqu'en Grèce pour acheter un bateau, alors qu'il vivait en Bretagne...
De fait, entre le moment où il va apprendre la mort de Marc Kérouan et son départ pour la Grèce, un certain nombre d'événements (j'en ai déjà évoqué quelques-uns, sans entrer dans le détail...) vont lui prouver que non seulement son impression est sans doute justifiée, mais que le mobile qui se cache derrière cette "fortune de mer" sent franchement mauvais...
Pour que Caryl Férey, écrivain voyageur s'il en est, revienne en Europe et ressorte Mc Cash de la naphtaline, c'est que l'heure est grave. Il faut bien un personnage aussi brut de décoffrage que lui, aussi franc et direct (du droit ou du gauche, peu importe) pour s'attaquer à ces questions au combien douloureuses, qui rythment notre actualité depuis des années...
Oh, je crois que l'on voit assez bien de quel sujet il est question, même si le dire explicitement risquerait d'être mal perçu par certains lecteurs. Mais, au-delà de la nature de cette activité et de la colère légitime qu'elle provoque chez Mc Cash et chez Caryl Férey, il reste encore beaucoup de choses à découvrir pour comprendre ce qui a pu se passer.
Il flotte au-dessus de Marc Kérouan une certaine ambiguïté, du moins du point de vue du lecteur. Pour Mc Cash, c'est différent : il connaissait l'avocat et ne peut envisager qu'il puisse avoir les mains sales. Sans oublier d'autres perspectives, que les informations laissées dans l'ombre font apparaître... L'inconséquence et la naïveté semblent avoir présidé à tout cela, bien plus que la cupidité, par exemple.
Pour plusieurs raisons, la quête improbable de Mc Cash, menée façon tête brûlée se disant que ce serait une belle façon de quitter la scène, est une quête de justice. Bon, ce n'est peut-être pas la raison première qui l'anime, mais elle arrive tout de même assez haut dans le hit-parade des raisons suffisantes pour s'en prendre quasiment tout seul à de gros méchants qui tuent sans état d'âme...
Tout seul, ce n'est pas tout à fait vrai... Il va trouver quelques alliés en chemin, mais sans doute aucun partageant son état d'esprit, c'est-à-dire se foutant comme de l'an 40 de laisser sa peau dans cette histoire. En revanche, des hommes et des femmes partageant sa colère et sa révolte, oui, même si leur combat a des airs de charge contre des moulins à vent...
Ses principaux alliés, c'est donc en Grèce que Mc Cash va les rencontrer. Caryl Férey n'a jamais une seule corde à son arc, il faut toujours saisir toutes les occasions de mettre dans le mille. Et, tout en abordant une question humanitaire fondamentale, qui fait de la Méditerranée une mer maudite, un "Mur Méditerranée", pour reprendre le titre d'un roman de cette rentrée littéraire, il n'oublie pas la politique.
Ce passage en Grèce permet à Mc Cash, sans doute bien soutenu par son créateur, pour faire un point sur l'histoire contemporaine de ce pays, depuis la dictature des colonels jusqu'aux désillusions suscitées par Syriza depuis son accession au pouvoir (les récentes élections législatives, que le livre n'évoque pas) l'ont d'ailleurs démontré avec fracas), en passant par la crise avec l'Union Européenne...
Caryl Férey est remonté et quand Caryl Férey remonté, lui toujours sortir l'artillerie lourde ! Personne n'échappe à la colère froide du romancier lorsqu'il expose les dysfonctionnements permanents de la politique grecque depuis des années et des années. Des politiques, mais d'une grande majorité de citoyens aussi... La peinture est assez sidérante, et n'exonère par l'Europe, Allemagne en tête.
La verve de Caryl Férey est intacte, son sentiment de révolte face à la folie humaine sous toutes ses formes, face aux injustices permanentes que personne n'endigue jamais. Et l'on se dit que Mc Cash est un bon substitut pour passer ses nerfs, pour coucher sur le papier ce que l'on aimerait pouvoir faire dans la vie réelle, sans que cela soit possible.
"Plus jamais seul" est un thriller mené grand train, plus ramassé que les romans de l'auteur se déroulant sur d'autres continents que l'Europe. Comme "Plutôt crever" et "La jambe gauche de Joe Strummer", les deux premières enquêtes de Mc Cash, "Plus jamais seul" est taillé selon un format qui rappelle celui de la classique série noire.
C'est un roman violent, mais ceux qui connaissent le style de Caryl Férey ne seront pas surpris, dans un contexte où la vie humaine est bien souvent quantité négligeable. La violence contre la violence, éternel débat qui ne sera certainement jamais tranché. Mais Mc Cash est libre, il n'est plus flic, il n'en a plus pour longtemps, alors pourquoi faire dans la finesse ?
Mais, au-delà de tout cela, l'élément fort, c'est l'évolution de Mc Cash... On part d'un homme qui envisage très sérieusement d'en finir, mais qui retrouve, par amitié, et un peu plus, une énergie qu'il ne pensait plus posséder... On voit apparaître des éléments qui pourraient bien redonner un coup de fouet à un mort en sursis...
Et c'est ce qui nous amène au titre de ce roman, un titre à plusieurs sens, finalement... Cela commence par une chanson, qui porte le même titre que le roman, "Plus jamais seul"... Des paroles qui résument parfaitement l'état d'esprit de Mc Cash et ses intentions en tout début de roman. En fait, ce n'est alors pas tant le "Plus jamais seul" qui compte, mais ce qui suit : "avec une bastos dans la gueule"...
Le message est clair et le fait que Mc Cash se passe ce morceau en boucle n'a rien de très rassurant. L'ultime chanson d'un punk qui n'a jamais été si proche de mettre en oeuvre le slogan le plus fameux de ce mouvement : "No future"... Mc Cash n'a plus d'avenir quand on le retrouve. En fait, il ne veut plus avoir d'avenir, parce qu'il n'en peut plus.
Et puis, arrive Alice... 13 ans, traversant un moment plus que pénible, héritant d'un père qui n'a pas l'instinct paternel et un caractère plutôt rebelle (il faut bien qu'elle ait quelque attrait pour Mc Cash)... Une charge pour l'ancien flic qui ne va pas faciliter ses projets... Mais il faut faire avec, Mc Cash ne se voit pas comme un père, mais il ne va pas l'abandonner non plus...
En voyant Mc Cash aux prises avec cette nouvelle paternité, j'ai pensé à un autre "tendre au coeur dur" du polar, Harry Bosch, qui a connu quasiment la même situation et a eu du mal à s'y faire. Mais Mc Cash n'est pas Bosch, il y a d'abord un travail à faire sur lui-même avant d'envisager la possibilité d'apprendre à devenir père et à vivre avec Alice...
Plus jamais seul... Déjà, le sens change un peu... Et puis, il y a la nouvelle dans le journal, la certitude que Marc n'a pas pu être victime d'un accident, l'enquête et la découverte qui le décide à agir, sans attendre... Soudain, une raison de survivre apparaît, minuscule étincelle, forcément éphémère... Mais suffisante pour une dernière danse.
Dans le roman, Mc Cash fait une distinction peut-être un peu tirée par les cheveux, mais pas inintéressante : d'un côté, sauver la vie, de l'autre, sauver de la mort. Il s'adresse à un autre personnage à ce moment (n'insistez pas, je ne dirai rien !), mais on se demande en l'entendant s'il ne se parle pas à lui-même, s'il n'essaye pas de se convaincre qu'il retarde l'échéance.
Et puis, l'histoire se déroule, et après la bastos dans la gueule et l'encombrante ado, une nouvelle version du "Plus jamais seul" va apparaître... On approche du dénouement, non en fait, on y est carrément, donc motus sur les faits... Mais force est de constater que le titre du livre n'est plus si noir et qu'il devient même porteur d'un peu d'espoir...
Oh, Mc Cash est trop vieux (et trop borné !) pour changer, il restera ce borgne irascible à l'humour contestable et aux idées éternellement sombres, au regard aussi lucide que pessimiste sur le genre humain, mais toujours prêt à lutter contre l'injustice et les êtres les plus vils et cupides. Ce qui peut changer, c'est son avenir...
Des conditions optimales (et le mot dans son sens le plus fort) pourraient le pousser à prendre un peu de rab, mais il va falloir que ça en vaille la peine... Caryl Férey nous laisse sur une fin ouverte (mais l'enquête est résolue, hein !) qui ne dit pas grand-chose des intentions de Mc Cash. Une quatrième enquête apporterait un début de réponse...
D'ici une douzaine d'années, peut-être !