"Cnoc na Daoine Liath, la Colline des Êtres gris".

Je suis content de ne pas devoir prononcer ce titre, quant à la traduction, j'ai reprise celle du roman. C'est bien en Irlande que nous allons nous rendre pour le billet du jour, dans une petite ville portuaire du sud de l'île, Cobh. Un port dont le nom est inscrit dans l'histoire dramatique du XXe siècle et qui devient ici le cadre d'une histoire macabre possédant une dimension surnaturelle... Graham Masterton, auteur écossais, a vécu un temps à Cork, le chef-lieu du comté dans lequel se trouve Cobh, et c'est à ce moment qu'il a imaginé cette intrigue et le personnage qui allait devoir s'en charger. Ce personnage s'appelle Katie Maguire (qui est également le titre de ce roman, paru chez Bragelonne, réédité en poche l'an passé, dans la traduction de François Truchaud) et elle est la première femme à atteindre le grade de commissaire au sein de la police irlandaise. Une professionnelle compétente et respectée, dont la vie privée s'avère nettement plus chaotique. La voilà face à une enquête très étrange, qui aura bien des répercussions sur son existence...

Près de Cobh, sur une exploitation agricole, des fermiers font une découverte effroyable en creusant des fondations pour un nouveau bâtiment : des os. Des os humains, ça en a tout l'air, et en grande quantité. Très grande quantité, même... Manifestement, ce sont plusieurs personnes qu'on a enterrées là, et ce n'était certainement pas l'emplacement officiel d'un cimetière.
Pourrait-il s'agir d'un charnier de victimes de l'IRA, à qui on pense toujours en premier dans cette région quand il y a des morts ? Pour John Meagher, revenu des Etats-Unis un an plus tôt pour reprendre la ferme familial, sans grand succès, il faut le reconnaître, le coup est dur à encaisser. Et il ne voit qu'une solution : appeler la Garda (en fait Garda Siochana), la police irlandaise.
Katie Maguire, première femme commissaire au sein de la Garda, arrive sur les lieux sous une pluie battante. Mais elle oublie bien vite la météo en découvrant une scène comme elle n'en a encore jamais vue : une véritable fosse commune remplie d'ossements ! Voilà qui promet une enquête difficile et une sacrée pression pour la résoudre...
Les Meagher vivent là depuis près de 70 ans et John imagine mal son père être au courant de cette sinistre histoire. Encore moins y avoir participé... Mais cette déclaration ne prouve rien, à ce stade, Katie Maguire ne veut rien écarter. D'autant qu'il paraît peut probable qu'aucune des personnes enterrées là n'ait été déclarée disparue... Il y a du pain sur la planche.
Mais l'affaire prend un tour encore plus bizarre quand les policiers découvrent un élément effroyable : un fémur percé à l'une de ses extrémités pour y accrocher une espèce de poupée de chiffon. Et la poupée elle-même est criblée d'hameçons et de clous... Vérification faite, il en va de même pour les autres fémurs retrouvés sur place...
Au total, après une journée de fouilles, on dénombre onze squelettes et tous ont au moins un fémur orné de la mystérieuse et effrayante poupée. Avant même que les restes soient autopsiés, l'esprit de Katie Maguire tourne pour chercher des réponses. Quel être assez ignoble parmi les criminels connus pourrait être à l'origine de ce carnage ?
L'autopsie va parfaitement remplir son rôle : donner des informations. Oui, mais voilà, à part accroître le sentiment d'horreur devant ce qu'on subit les victimes, cela ne fait que compliquer encore les choses. Ou peut-être les simplifier, allez savoir. Car il semble que ces os aient dormi là pendant des décennies. Sans doute 80 ans, voire plus...
Pourtant, au même moment, un événement va changer la donne. Une touriste américaine venue passer des vacances en Irlande, est enlevée alors qu'elle faisait du stop. Elle se retrouve séquestrée quelque part par son ravisseur qui lui inflige un bien curieux traitement. Et possède surtout une étrange poupée criblée d'hameçons et de clous...
La ville de Cobh, qui compte aujourd'hui moins de 15000 habitants, possède pourtant une riche histoire, en particulier grâce à son activité portuaire. Dès le XIXe, c'est une étape incontournable entre l'Angleterre et l'Amérique, alors que les navires à vapeur sont en plein essor. Quelques décennies plus tard, Cobh va même connaître une renommée... bien malgré elle !
En effet, en avril 1912, le Titanic fait escale à Queenstown (rebaptisée Cobh en 1922, après l'indépendance de la République d'Irlande) au lendemain de son départ de Southampton pour sa traversée inaugurale. C'est le dernier arrêt prévu avant New York, où le bateau, comme chacun le sait, n'arrivera jamais.
Trois ans plus tard, c'est à Queenstown que le Lusitania devait accoster quand il a été torpillé par un sous-marin allemand et envoyé par le fond. Lorsqu'on visite Cobh de nos jours, cette histoire tragique est visible dans la ville à travers des monuments rappelant ces drames, le plus spectaculaire étant incontestablement celui rappelant le torpillage du Lusitania...

Tiens, il fait du remplissage, doivent se dire certains, d'autres soupirent en pensant que, pfff, la culture générale, c'est pas pour ça qu'on lit... Je rassure les uns et les autres, tout cela n'est pas anodin, ce sont des élément que l'on trouve dans "Katie Maguire" et qui ne sont pas juste un contexte ou un décor. C'est aussi en partie là que l'inspiration de Graham Masterton est venue.
Eh oui, ce n'est pas juste un roman écrit en Irlande, c'est un roman irlandais, la nuance est de taille. Vous le verrez, et le titre de ce billet en est d'ailleurs une preuve, la culture irlandaise, mais aussi l'histoire de l'île, font partie intégrante de ce thriller. Et c'est certainement une manière d'hommage que le romancier rend ainsi au comté de Cork, où il a vécu au début des années 2000.
Et je dois dire que l'auteur de "Manitou" propose avec "Katie Maguire" un roman qui réserve bien des surprises. Les crimes atroces découverts dans le premier chapitre laissent présager d'un roman d'horreur, dont Graham Masterton s'est fait une spécialité. Dès l'apparition des squelettes et les constations médico-légales, on se prépare au pire...
Et voilà que, petit à petit, alors que Katie Maguire doit mener une enquête au combien délicate, apparaissent de nouveaux éléments qui laissent penser qu'il ne s'agit pas "juste" d'un thriller ou "juste" d'un roman d'horreur, mais qu'il pourrait y avoir une dimension fantastique très importante... Graham Masterton joue avec nous, et ce n'est pas désagréable d'être dans le doute.
En n'affichant pas directement ses intentions, le romancier installe un climat particulier, angoissant, à cause duquel le lecteur, même en possédant des informations qu'ignorent les enquêteurs, s'interroge : et si Katie Maguire recherchait un tueur aux caractéristiques extraordinaires, surnaturelles, capable de tuer à près d'un siècle d'écart ?
Le cocktail est appétissant, on sait de quoi Graham Masterton est capable, en particulier lorsqu'il nous plonge dans des descriptions effroyables, mais aussi lorsqu'il peut, et je reviens à "Manitou", son premier roman et son oeuvre la plus célèbre, déchaîner des forces incontrôlables, aux effets effroyablement spectaculaires.
Alors, où ranger "Katie Maguire" ? Ce n'est pas dans ce billet que vous l'apprendrez, et pour cause : c'est l'un des enjeux de ce roman, qui reste incertain jusqu'au dénouement, jusqu'à ce que la réponse nous soit donnée à travers les événements relatés. Mais cette ambiguïté, habilement entretenue, est un des éléments forts de cette lecture.
Et puis, il y a Katie Maguire elle-même. Je le répète, elle n'est pas n'importe qui : pour la première fois, une femme est devenue commissaire au sein de la Garda, ça en impose. On pourrait alors s'attendre à ce qu'elle soit mise à rude épreuve, qu'elle peine dans son boulot, comme Renée Ballard, évoquée précédemment, ou comme Erika Foster, dont nous reparlerons bientôt...
Mais ce n'est pas le cas du tout : la commissaire Katie Maguire est respectée et fait l'unanimité au sein de la Garda. Si quelqu'un doit se charger de l'affaire des squelettes aux poupées, c'est elle et personne d'autre et tous ces subalternes vont se mobiliser pour l'aider dans cette tâche qui se complique minute après minute...
Katie Maguire n'est pas seulement compétente, c'est aussi un bourreau de travail qui ne compte pas ses heures et qui vit pour son métier, 24h sur 24, même lorsqu'elle dort. Et, s'il faut chercher un défaut à la cuirasse de ce personnage, c'est sans doute là qu'il faut chercher : non pas dans sa vie professionnelle, mais dans sa vie privée.
Et là, c'est beaucoup moins solide. L'image impassible et pleine d'une autorité naturelle qu'elle affiche dans son milieu professionnelle se lézarde. Je ne vais pas tout dévoiler ici des fragilités de Katie Maguire, mais parler de l'élément qui tient la place la plus importante dans le roman : en l'occurrence son époux, Paul.
Comment imaginer couple plus mal assorti ? Elle, la policière modèle, lui, le minable escroc, toujours entre deux coups foireux qui lui rapporteront surtout des ennuis... Être commissaire de la Garda doit être un métier stressant, mais c'est encore plus le cas quand on redoute, au quotidien, de retrouver le nom de son époux dans un des dossiers à traiter...
Oui, Paul est un problème, pour Katie Maguire, car il pourrait lui coûter sa carrière un jour ou l'autre, parce qu'il se sera fait prendre la main dans le sac... Entre les deux époux, la tension est à son comble, et on a l'impression qu'ils s'évitent le plus possible : Katie rentre de plus en plus tard à la maison, et Paul vaque à ses douteuses occupations sans que la commissaire sache où le trouver.
Les histoires de familles ou privées des flics des polars (encore plus quand ce sont des séries), cela ne me fascine pas, ça m'agace même quelquefois. C'est quelque chose qui peut vite parasiter les intrigues et casser le rythme. Bref, c'est souvent, je trouve, un peu artificiel et dispensable. Mais pas ici, car la relation entre Katie et Paul va devenir un élément important du récit.
Il y a une information que je n'ai pas encore donnée, et c'est le moment de la livrer. "Katie Maguire" est le premier tome d'une série. Et pourtant, ce qui se déroule dans ce livre pourrait faire penser à un one-shot tant la situation du personnage principal évolue entre le début et la fin. C'est même plus qu'une évolution, c'est un... nan, pas une révolution, ça va, j'allais dire un bouleversement.
Vous allez découvrir au fil du récit que ce premier tome ressemble en fait à ce qu'on pourrait appeler un épisode pilote, pour reprendre une expression télévisuelle. On pose un cadre, mais on y installe une histoire qui pourrait tenir seule debout. Et ensuite, on avisera. Et pour la suite, eh bien le contexte dans lequel évoluera Katie Maguire aura beaucoup changé...
Ce nouveau contexte, on ne le connaît pas, nous, lecteurs français, à moins d'être parfaitement bilingues et capables de lire les romans en version originale. On ne le connaît pas, car "Katie Maguire" est le seul volume de cette série (qui compte actuellement près d'une dizaine de titres) qui a été traduit en français...
Publié en 2003 en anglais, traduit et édité en France par le Fleuve Noir, "Katie Maguire" a ensuite été repris par Bragelonne, comme une grande partie du catalogue des titres de Graham Masterton. Le titre vient de reparaître l'an passé dans une éditions de poche et en numérique. Mais il n'est apparemment pas prévu de faire traduire et de nous proposer les enquêtes suivantes.
C'est vraiment dommage, même si je peux tout à fait comprendre les raisons avancées par Bragelonne. Dommage, car ce premier volet est vraiment bien fichu et prometteur et le personnage de Katie Maguire est intéressant à suivre. on voudrait découvrir comment il va évoluer, surtout après les événements qui interviennent au cours de cette enquête.
On verra prochainement (si tout va bien) que le romancier écossais est désormais publié par une jeune maison belge, pour une autre série policière, celle-là clairement fantastique, il y aurait donc peut-être quelque chose à creuser pour nous permettre, à nous, pauvres lecteurs incultes qui n'entravons que dalle à l'anglais écrit, de poursuivre la découverte des enquêtes de Katie Maguire...