"Rien n'égale l'intensité du moment où l'on sait. C'est le Saint Graal du travail d'enquête".

C'est un événement, oh, relatif, n'exagérons rien, mais dans le petit monde du polar, c'est vraiment un événement : le dernier roman en date de Michael Connelly ne met pas en scène Harry Bosch. C'est déjà arrivé, c'est vrai, avec les romans consacrés à Mickey Haller, mais ce dernier est lié à Bosch. Là, c'est le début d'une nouvelle série, avec un flic, qui n'est pas Bosch et qui n'a aucun lien avec lui. Et plus remarquable encore, c'est une femme ! Bienvenue, donc, à Renée Ballard, héroïne de "En attendant le jour" (en grand format chez Calmann-Lévy ; traduction de Robert Pépin), flic au parcours assez chaotique, que l'on va découvrir tout au long de ce tome initial, mais flic pleine de détermination, d'un sentiment de revanche et, aussi, d'ambition. Un personnage intéressant, qu'on a envie de voir "grandir", d'autant que sa situation, lorsqu'on fait sa connaissance, est loin d'être idéale et qu'elle pourrait bien démontrer à tous qu'elle mérite mieux...

C'est un service qui commence comme tant d'autres pour les agents du commissariat d'Hollywood faisant le quart de nuit, par un appel pour un cambriolage sur El Camino Avenue. Jenkins et Ballard sont appelés sur place et interroge la plaignante, une femme âgée qui déplore le vol de sa carte de crédit. Le voleur s'en est déjà servi pour acheter sur un grand site de vente en ligne (oui, celui-là).
Au moment de rentrer au commissariat, nouvel appel : direction l'hôpital, où l'on vient d'amener une victime d'une agression extrêmement violente. Jenkins et Ballard vont faire les premières constatations, récolter les premiers indices, s'il y en a, essayer d'en savoir plus sur la victime, etc. Le B.A.-ba de l'enquête de police.
A la différence près que, une fois ces renseignements rassemblés, ils devront transmettre le dossier au service compétent, qui se chargera de retrouver le coupable. C'est le lot des flics du quartier de nuit (23h-7h) : ils ne mènent jamais les enquêtes jusqu'à leur terme. Et pour beaucoup, à commencer par Renée Ballard, cette situation équivaut à une mise au placard.
Comme souvent, Ballard ressent cette impuissance et cette injustice lorsqu'elle se retrouve à l'hôpital, auprès de cette femme laissée pour morte en pleine rue par son agresseur... Elle voudrait prendre en main les choses et retrouver le monstre qui a fait ça. D'autant qu'un élément inattendu va donner un nouvel point de vue sur cette affaire...
En effet... Ah, non, pardon, c'est le lot du quart de nuit, une affaire chasse l'autre. Il faut dire que cette fois, c'est du lourd : une fusillade dans un club sur Sunset Boulevard, on dénombre quatre victimes et une blessée très grave qui arrive justement à l'hôpital où sont déjà Ballard et son équipier. A eux de jouer, pendant qu'on s'affaire déjà sur la scène de crime.
Mais la jeune serveuse amenée en urgence absolue ne va pas s'en sortir. Ballard va donc effectuer son inspection sur le cadavre et les affaires qu'elle avait sur elle... Ensuite, elle se rend sur les lieux du drame pour y apporter son aide. Mais là-bas, mauvaise surprise : elle connaît bien les flics qui sont en charge de la fusillade ; elle leur doit sa mutation, deux ans plus tôt, au quart de nuit...
Il s'agit du lieutenant Olivas et de l'inspecteur Ken Chastain, respectivement ex-supérieur et ex-équipier de Renée Ballard... Que s'est-il passé entre eux ? On ne le sait pas encore, mais à voir la moutarde monter aussitôt au nez de la policière, la blessure est loin d'être cicatrisée... Et même si elle ne se sent pas vraiment la bienvenue, elle se montre consciencieuse. Et attentive, aussi.
Ce n'est pas parce qu'on l'a mise sur la touche qu'elle a perdu ses réflexes et ses compétences. Et, cette nuit-là, entre ce cambriolage, cette si lâche agression et ce massacre, sa détermination à redevenir un flic comme les autres, un flic qui prend en charge une affaire de A jusqu'à Z, un flic qui cherche, démasque et arrête un coupable, la rattrape. Quoi qu'il lui en coûte...
Pour cela, il va lui falloir la jouer fine et prendre sur son temps de sommeil pour travailler clandestinement sur ces affaires, alors qu'elle n'a aucun droit d'agir ainsi. Jenkins, volontaire pour le quart de nuit, pour d'excellentes raisons d'ailleurs, va la laisser faire, mais surtout, surtout, ne veut pas que quoi que ce soit lui retombe dessus. Et Renée va s'y mettre sérieusement...
Il y aurait beaucoup à dire sur ce nouveau personnage. Je parle sur un plan factuel : qui est-elle, d'où vient-elle, quel est son rés... euh son parcours, pourquoi, après quinze années de maison est-elle dans cette impasse professionnelle ? Les réponses sont bien sûr dans "En attendant le jour", apparaissant ponctuellement en fonction des moments et des situations.
Alors, oui, je pourrais vous faire un portrait chiadé de ce personnage qu'on a d'ores et déjà envie de suivre, j'y ai même réfléchi depuis que j'ai refermé le roman. Toutefois, au moment d'écrire ce billet, je me dis que ce ne serait pas très malin. Parce que justement, c'est un nouveau personnage et que le plaisir du lecteur, c'est de la découvrir en lisant le roman, et pas ce blog.
Je ne vais donc pas vous faire le CV de Renée Ballard, même si elle a un parcours peu ordinaire, une vocation tardive pour la carrière policière, un mode de vie bien spécial et une histoire familiale très particulière. De même, pas un mot sur les raisons qui lui valent d'être au quart de nuit, où elle ne peut rien faire... On les comprend assez vite, et cela donne une bonne idée de son caractère...
Et là, à ce point du billet, arrive le moment que l'on voudrait éviter, mais qui est inévitable : et Bosch, dans tout ça ?  Eh oui, forcément, ce n'est pas parce qu'il n'est pas là, le bon vieux Hyéronymus, qu'on ne pense pas à lui, c'est presque obligé, c'est humain ! D'ailleurs, Michael Connelly lui-même s'en amuse, en faisant un clin d'oeil à son personnage, et à la série (il faut bien faire la promo de la franchise).
Entre Renée et Harry, aucun lien, du moins pour le moment. Renée ne le connaît pas, elle ne l'a jamais rencontré. Mais l'attente du lecteur est ailleurs : allez, disons les choses clairement, on se demande tous si Renée Ballard a quelque chose de Harry Bosch (car... hum... musique... On a tous quelque chose de Harry Boooosch... Désolé...).
Plus sérieusement, oui, forcément, on compare. Et force est de constater qu'il y a des traits communs entre les deux personnages. A commencer par ce caractère affirmé qui en fait des fortes têtes et les pousse à souvent défier leurs supérieurs, à la jouer en solo, quoi que cela puisse coûter et à se forger des inimitiés puissantes.
Il y a un autre point qu'on retrouve chez Bosch, mais sans doute est-elle répandu chez beaucoup de flics de terrain : la même méfiance envers les policiers qui oublient d'où ils viennent pour se construire une carrière politique, quitte à jouer leur carte personnelle contre leurs collègues. Envers ceux qui ont oublié leur sang bleu...
Mais, il y a un élément qui distingue irrémédiablement Renée Ballard de Harry Bosch : elle est une femme. Tiens, voilà qu'il fait dans la tautologie, disent les moqueurs (des moqueurs qui ont du vocabulaire !), riez donc, mais c'est essentiel, car cet aspect tient une place très importante dans ce roman, à différents moments et dans différentes situations.
Parce que cela influe sur sa vie, sa carrière, son boulot, sur tout, en définitive. Et Michael Connelly en profite pour mettre en évidence un certain nombre de défauts de nos sociétés qui visent directement les femmes, n'oubliant donc pas la dimension critique de son travail de romancier. Et c'est aussi cela qui donne envie de voir comment cette nouvelle série va se développer autour de ce personnage.
Un mot sur le titre de ce livre. En version originale, le roman s'intitule "The Late Show", titre sans doute assez ironique, puisqu'il fait référence à ces émissions de télévision de fin de soirée, qui ont souvent une dimension satirique, alors qu'en réalité, le spectacle auquel assiste les policiers du quartier de nuit n'a souvent rien de bien passionnant, ou alors est vite évacué une fois transmis.
En français, on ajoute quelques nuances, avec ce titre, "En attendant le jour". On peut le prendre au pied de la lettre : le service du quartier de nuit se déroule de 23h à 7h, il ne se passe parfois pas grand-chose, ou des histoires mineures, et de toute manière, on n'enquête pas, donc ça ne doit pas passer très vite, parfois...
On peut aussi le voir à travers le prisme de ce roman précisément : Renée enquête le jour, puisqu'elle n'y a pas droit la nuit (et sans doute aussi parce qu'il est plus facile de trouver des témoins et des informations pendant la journée). Elle est donc impatiente que le jour arrive, puisque la nuit, elle a les mains liées...
Et puis, j'y vois une dernière acception, qui mériterait presque qu'on y ajoute des points de suspension, ou un "où", ou les deux. En attendant le jour où... Où Renée Ballard aura démontré à ses détracteurs qu'elle est un flic à part entière, capable d'enquêter, de bien enquêter, et de résoudre des affaires complexes, dangereuses, même.
Parce que c'est bien ce qu'on attend d'elle, nous, lecteurs. Et c'est bien ce qu'elle espère elle aussi, même si elle ne le formule pas aussi clairement. Elle rêve de retrouver le goût si particulier de l'élucidation, comme l'explique la citation en titre de ce billet. Je l'ai réduite à sa plus simple expression, mais tout le passage où elle se trouve évoque ce plaisir spécifique dont elle est privée.
On retrouve là cette intégrité, ce sens de la justice qui caractérisent les personnages de Michael Connelly (enfin, moins Mickey Haller, évidemment...), et qui concerne aussi bien le simple délit que le crime le plus grave. Il faut également ajouter que, dans ce roman, on verra pour la suite, il y a une implication personnelle très forte, sans doute même trop.
Renée Ballard n'apparaît pas seulement comme un électron libre, elle est aussi une tête brûlée qui ne mesure sans doute pas elle-même les risques qu'elle prend. Elle oublie le respect des procédures, et se le fait même vertement rappeler, mais elle a aussi des intuitions décisives, dont l'une va permettre au lecteur fan des "Experts" de découvrir une impressionnantes (et hors de prix) technique.
Bon, ça doit se ressentir un peu, j'ai apprécié cette rencontre avec Renée Ballard et j'espère la retrouver vite (là, quand j'écris ça, j'ouvre le moteur de recherches et je vais voir les publications de Michael Connelly non encore traduites ; gros curieux je suis). J'ai envie de voir comment Michael Connelly va la développer et la faire évoluer (ma recherche m'a donné un indice, tiens).
Il faut dire que "En attendant le jour" se termine sur une décision forte de Renée Ballard, une manière de s'affirmer et de prendre sa revanche, après deux années à ruminer. On peut y voir une manière de reprendre la main, mais il sera intéressant de voir comment cette décision influera sur le prochain volet de cette nouvelle série.
Au-delà du personnage de Renée Ballard, les habitués du travail de Michael Connelly trouveront là un roman de facture assez classique, sans véritable surprise dans le fond, mais très efficace, jusqu'au coup de théâtre final, bien amené pour jouer avec le lecteur et le faire douter du scénario qu'il a pu échafauder. Le surprendre, peut-être aussi.
De l'action, pas mal de suspense, et une héroïne qui n'a pas froid aux yeux. Ce dernier élément est peut-être d'ailleurs ce qui manquait à la bibliographie de Michael Connelly : une femme dans un rôle principal. J'avais parié qu'il s'agirait de Maddy, la fille de Bosch, puis sur Lucia Soto... Je suis vraiment le pire des pronostiqueurs, et tant mieux pour Renée Ballard, qui porte bien ce costume.