Encore un roman sur la rédemption? On peut dire ça. Mais lorsqu’il est signé Larry Brown, disons que ça prend une autre ampleur.
Larry Brown m’avait vrillé l’âme avec son Sale boulot. Il avait remis ça avec Père et fils. Bon, sa Fay m’avait plutôt fait grincer des dents. Et j’avais même abandonné, au grand dam d’Electra, Dur comme l
’amour, son recueil de nouvelles.Pour tout te dire, j’ai tourné la dernière page de Joe roulée en boule dans mon lit. Parce que Joe, là, il m’a attendrie comme c’est pas possible. L’histoire n’est pas des plus réjouissantes, comme c’est toujours le cas avec Larry Brown. Mais de trouver tant de pureté enfouie dans ce bourbier merdique, ça retourne le coeur.Impossible de ne pas éprouver d’empathie pour ces personnages.
Ils sont tout en nuances, plein d’aspérités. Gary, cet ado qui se démène comme c’est pas possible pour se sortir du trou dans lequel il est pris. Sa mère soumise, sa petite sœur muette, son père à tuer, et son autre soeur, Fay, qui a pris ses jambes à son cou. Larry Brown ne les juge jamais, même les plus crasses, comme le père de Gary. Jamais il ne porte de regard moralisateur sur les comportements des uns et les gestes des autres. Porté par des personnages incarnés, terriblement humains, Joe dégage une humanité bouleversante. Larry Brown dit les choses simplement, avec une grande minutie du détail. Ses mots sont précis, son style descriptif et terre à terre comme j’aime.À mes yeux, les romans de Larry Brown figurent parmi les plus beaux et les plus touchants de la littérature américaine, précisément parce qu’ilsdébordent d’humanité. C’est cette même humanité que je retrouve chez Bruce Machart, Willy Vlautin, Callan Wink et David Joy.Je ne suis pas portée à fantasmer. Mais si c’était le cas, j’aimerais bien m’imaginer aller m’accouder au comptoir d’une vieille taverne poussiéreuse avec Larry et l’écouter me raconter ses histoires. Comme il est mort à 54 ans d’une crise cardiaque, on repassera pour le fantasme… Heureusement qu
’il me reste quelques-uns de ses livres à lire!Joe, Larry Brown, trad. Lili Sztajn, Gallmeister, «Totem», 320 pages, 2014. [1991 pour l’édition originale]★★★★★