Il est des romans où on s'aventure avec curiosité, mais aussi prudence. Parce que le sujet de ce livre vous intéresse, vous intrigue, mais touche aussi à des questions sensibles. On s'y lance en se demandant si l'écrivain qui choisit ce genre de sujet est courageux ou inconscient et on espère surtout qu'il s'agira d'une lecture riche et pas juste parue pour la provocation, le buzz, la polémique, dernier outil marketing à la mode. Eh non, ce billet ne sera pas consacré au livre que vous imaginez, mais à un roman qui aborde le thème de la pédophilie de manière très intéressante, déroutante aussi. "UnPur", d'Isabelle Desesquelles (en grand format chez Belfond), est un roman complexe, et c'est ce qui le rend passionnant, un roman violent, et c'est ce qui le rend bouleversant, un roman sur la vérité, et c'est ce qui le rend troublant. C'est aussi un regard particulier porté sur la gémellité, à travers une situation tragique, mais qui ne va pas aller dans la direction attendue au moment d'attaquer cette lecture...
A l'été 1976, alors que la France est écrasée de chaleur et subit une sécheresse exceptionnelle, alors que des incendies ravagent les forêts landaises, près desquelles ils vivent, Clarice, jeune mère célibataire, et ses jumeaux, Bejamin et Julien, découvrent Venise. Les grandes vacances vont bientôt s'achever, mais avant de retrouver les bancs de l'école, les enfants s'émerveillent devant cette ville hors norme.
Clarice est devenue mère très jeune, mais elle a aussitôt voulu vivre cette maternité sans se poser la question du père. Pour ses jumeaux, elle est prête à tout, même à renoncer à ses rêves de gloire, à cette ambition de devenir un jour une actrice célèbre... Son public, ce seront ses enfants, car Clarice est une mère peu ordinaire, capable d'extravagance et d'une douce folie.
Pour Clarice, ses enfants ne sont pas Benjamin et Julien, ce sont Benjaminquejetaime et Julienquejetaime, et cet amour sans limite imprègne son existence, même lorsque soudain, son esprit semble partir en vadrouille. Clarice, Benjamin et Julien sont inséparables, libres et insouciants, heureux d'être ensemble...
Jusqu'à ce que les vacances tournent au drame... Parce que ces jumeaux si parfaits, si ressemblants, et assez turbulents, se remarquent de loin. Parce qu'ils ont attiré l'attention d'un monstre, de celui qu'il n'aurait pas fallu croiser. En quelques minutes, la si jolie famille de Clarice s'est effondré comme un château de cartes, impossible à reconstruire...
Quarante-trois ans après ce voyage à Venise, s'ouvre un procès, dans un tribunal italien. Quarante-trois ans ! Rien que ce nombre est terrifiant, tant d'années ! Mais, si l'on redoute déjà ce que l'on va apprendre, il y a tout de même quelque chose qu'on n'attendait pas. Car, dans le box des accusés, ce n'est pas le monstre qu'on souhaitait voir qui s'assied...
Depuis quelques jours que j'ai terminé la lecture d' "UnPur", je réfléchis à la manière d'en parler sur ce blog. Et assez vite, l'idée d'opter pour un résumé très court, une fois n'est pas coutume, s'est imposée. Parce que ce livre repose d'abord sur tout ce qu'on ne sait pas. Sur tout ce que l'on va découvrir à travers le récit du narrateur.
Un récit à la première personne qui, par moments, devient un "tu" et même quelquefois un "nous". Un narrateur qui ne s'adresse pas au lecteur, même s'il est là, spectateur, un peu voyeur aussi, et s'il tente de reconstituer tout ce qui s'est passé entre le drame de Venise en 1976 et ce procès de 2019. Accrochez-vous, parce que ces quatre décennies n'ont rien d'une épopée idyllique...
J'aurais pu choisir une autre citation en titre de ce billet, j'aurais pu entrer dans le vif du sujet, évoquer le thème de la pédophilie, qui est évidemment important dans ce roman, j'aurais pu proposer une des citations de Rimbaud que l'on trouve dans le cours du roman, un poète que le narrateur découvre et adore. Mais j'ai choisi cette phrase-là, parce que le vrai sujet de ce roman, c'est ça : la vérité.
Pas simplement une vérité factuelle, on va y revenir, mais la vérité et ses conséquences lorsqu'elle est révélée, lorsqu'il faut la regarder en face, lorsqu'il faut l'assumer, qu'on soit celui qui la révèle ou celui qui la reçoit. Tout ce que j'écris est sans doute un peu cryptique, mais il est vraiment délicat d'entrer dans le corps du roman, car sa construction, l'évolution du lecteur dans ce récit sont primordiales.
J'ai évoqué la question de la pédophilie, et l'on comprend au moins quel peut être le point de départ, avoir une idée, si ce n'est précise, au moins cohérente de ce qui a pu se produire à Venise cet été-là et ce qui a fait voler en éclats une famille. Mais cela ne suffit pas à comprendre ce qui va se passer tout au long de ce livre. Ce qui va se passer au cours de ces quarante-trois années...
Il y a un point de départ et, à partir de là, on va découvrir toutes les conséquences à court ou plus long terme, tous ce que vont subir tous les personnages impliqués, parfois indirectement, tous les dommages collatéraux du drame, et même, aussi surprenant que cela puisse paraître, certains aspects positifs qui vont intervenir...
En fait, "UnPur", c'est un roman en forme d'onde de choc. Le narrateur est l'épicentre, et tout autour de lui, se trouvent des personnages, plus ou moins proches, plus ou moins importants dans son existence, mais qui vont tous voir leur existence (han, il a failli écrire "impactées", quelle horreeeeur !) affectées par la trajectoire de ce personnage...
Mais que s'est-il passé, alors ? Eh bien, je pourrais vous raconter une partie des événements décrits dans "UnPur", je pourrais vous raconter les conséquences sur la famille, je pourrais vous dire ce qui s'est passé dans la période qui a directement suivi Venise, je pourrais faire plein de choses, c'est vrai, mais d'une part, il serait dommage de trop en dire...
Et d'autre part, il va falloir reposer la question de la vérité. Car, après tout, dans l'histoire qui nous est proposée, quels sont les faits avérés ? N'oublions pas que l'un des éléments centraux du roman, c'est un procès et qu'on a beau y jurer de dire toute la vérité, rien que la vérité, il arrive bien souvent qu'on s'arrange avec elle. Et ici, c'est le cas.
Là, je suis sûr de moi, puisque le récit de l'accusé ne semble pas correspondre en au moins un point à ce que l'enquête a pu montrer. L'accusé est carrément accusé de divagation, de prendre ses rêves pour des réalités, voire de se moquer tout simplement du monde... Et là encore, il faut reconnaître que le lecteur assiste un peu médusé à quelque chose de troublant...
Ce n'est pas l'accusation qui accumule les griefs envers l'accusé, mais l'inverse. C'est l'homme dans le box qui s'accuse de méfaits effroyables qu'on ne veut pas retenir contre lui. Plus étonnant encore, quoi qu'il dise, l'accusé semble bénéficier d'une vraie cote de popularité. Plus qu'une victime, il est présenté comme un héros, alors que cela va à l'encontre même de son récit...
Dans ce roman qui, décidément, prend bien des choses à contre-pied, Isabelle Desesquelles aborde la question de la victime et du bourreau avec beaucoup de pertinence, mais sans fard, sans manichéisme. Beaucoup de choses reposent en fait sur les conséquences sur la personnalité malléable d'un enfant des maltraitances qu'il peut subir.
Mais alors, nous voilà avec un narrateur qui est une victime, perçu comme un héros, qui s'accuse d'être un monstre et que le lecteur voit, à tort ou à raison, comme un bourreau lui-même... Voilà un sacré écheveau à démêler, probablement impossible à démêler, en fait, car je pense que c'est typiquement le genre de roman pour lequel il y a une lecture par lecteur...
Et bien des discussions en perspective, pour ceux qui verront en notre narrateur une victime, un héros, un fou ou un bourreau... C'est loin d'être anodin, pas seulement en prévision du verdict qui doit sortir du procès, mais aussi parce que tout ne s'arrêtera pas avec cette décision, parce qu'il y a encore un après à gérer et quarante-trois années à solder...
Dans "UnPur", Isabelle Desesquelles aborde la question de la gémellité comme tous les autres sujets traités dans ce livre : en rentrant dedans, en les bousculant. On a des frères jumeaux, incroyablement ressemblant, impossibles à distinguer. Deux êtres inextricablement liés par la génétique, mais séparés par le destin sournois et vil.
Une séparation violente, horrible. Dans un contexte qui, vous le verrez, va encore accroître la douleur. Pour autant, si cette séparation ne peut faire disparaître ce lien si particulier entre les deux frères, le récit du narrateur va faire apparaître une relation bien moins fusionnelle qu'on pourrait le croire, marquée par une forme de rivalité, une certaine jalousie, même.
Ce lien entre les jumeaux, on va se rendre compte qu'il est fondamental dans cette histoire, depuis la première anecdote, place Saint-Sulpice, jusqu'au dénouement. Une fraternité que les événements ont mise à mal, démantelée, déchirée, mais qui peut être encore réparable, à condition d'affronter la vérité, à condition de la supporter.
Isabelle Desesquelles s'est lancée dans une aventure littéraire très casse-gueule, sur un sujet délicat, difficile, dur. Elle a choisi un traitement osé, gonflé, en jouant sur l'ambiguïté de son personnage principal, qu'on retrouve dès le titre du livre. Avec cette formule : "UnPur", où l'écrit et l'oral s'opposent, offrant un double sens très bien vu.
On l'a dit plus haut, cette manière d'écrire en abolissant les espaces entre les mots pour créer de nouvelles entités comme prononcées dans un souffle, est présente dans le cours du roman. J'ai évoqué les surnoms donnés à ses fils par Clarice, mais ce n'est pas les seules formules du genre qu'elle avait l'habitude de prononcer, avec ce qu'on imagine être une profonde tendresse.
Mais en appliquant cette manière de s'exprimer au titre du livre, cela change tout : en collant l'article et le nom, elle rend le pur impur et pose toute la problématique de cette histoire. Toute sa cruauté aussi, évoquant non seulement la souillure, mais aussi le basculement qui se produit et fait passer l'enfant du côté obscur, atroce.
Oui, c'est un sujet casse-gueule, vraiment pas facile, parce qu'on touche à des choses innommables, à la perversion, à l'absence de morale autant que de remords, à cette facette de l'âme humaine qu'on voudrait croire inexistante et qui, pourtant, existe bel et bien et fait des ravages... Un sujet casse-gueule assorti d'une bonne dose d'ambiguïté, qui en fait un livre qui frappe le lecteur au plexus.
Isabelle Desesquelles nous bouscule, nous aussi, nous met à mal, parce qu'il y a ce récit et ce que l'on comprend, parfois entre les lignes, à travers certaines ellipses, comme si exprimer ces actes, ces situations, étaient trop difficile. Parce qu'il y a ce personnage déroutant, dont on ne sait s'il dégage le chaud ou le froid, s'il s'agit d'un menteur sans scrupule ou d'une victime traumatisée...
Il y a Clarice, personnage merveilleux, lumineux, que j'imagine belle et légère, aimante et fofolle, une femme devenue mère très jeune, mais qui voit aussi sa vie se briser très tôt... Elle peut sembler excentrique, mais je la vois plutôt libre, heureuse, une mère proche de ses jumeaux qui sont sa raison de vivre. Une femme sur laquelle s'est acharnée le destin...
Et puis, il y a ce dénouement, qui nous donne une dernière baffe, un coup de grâce. Qui nous offre une conclusion aussi belle qu'elle est horrible, je sais, c'est paradoxal, et pourtant... Pourtant, c'est ainsi que j'ai ressenti à la lecture des derniers chapitres, lorsque l'on comprend que le silence n'est pas d'or, non, bien au contraire, et que seule vaut la vérité, aussi horrible soit-elle...
(Morceau évidemment présent dans le roman, où il tient une place particulière).
A l'été 1976, alors que la France est écrasée de chaleur et subit une sécheresse exceptionnelle, alors que des incendies ravagent les forêts landaises, près desquelles ils vivent, Clarice, jeune mère célibataire, et ses jumeaux, Bejamin et Julien, découvrent Venise. Les grandes vacances vont bientôt s'achever, mais avant de retrouver les bancs de l'école, les enfants s'émerveillent devant cette ville hors norme.
Clarice est devenue mère très jeune, mais elle a aussitôt voulu vivre cette maternité sans se poser la question du père. Pour ses jumeaux, elle est prête à tout, même à renoncer à ses rêves de gloire, à cette ambition de devenir un jour une actrice célèbre... Son public, ce seront ses enfants, car Clarice est une mère peu ordinaire, capable d'extravagance et d'une douce folie.
Pour Clarice, ses enfants ne sont pas Benjamin et Julien, ce sont Benjaminquejetaime et Julienquejetaime, et cet amour sans limite imprègne son existence, même lorsque soudain, son esprit semble partir en vadrouille. Clarice, Benjamin et Julien sont inséparables, libres et insouciants, heureux d'être ensemble...
Jusqu'à ce que les vacances tournent au drame... Parce que ces jumeaux si parfaits, si ressemblants, et assez turbulents, se remarquent de loin. Parce qu'ils ont attiré l'attention d'un monstre, de celui qu'il n'aurait pas fallu croiser. En quelques minutes, la si jolie famille de Clarice s'est effondré comme un château de cartes, impossible à reconstruire...
Quarante-trois ans après ce voyage à Venise, s'ouvre un procès, dans un tribunal italien. Quarante-trois ans ! Rien que ce nombre est terrifiant, tant d'années ! Mais, si l'on redoute déjà ce que l'on va apprendre, il y a tout de même quelque chose qu'on n'attendait pas. Car, dans le box des accusés, ce n'est pas le monstre qu'on souhaitait voir qui s'assied...
Depuis quelques jours que j'ai terminé la lecture d' "UnPur", je réfléchis à la manière d'en parler sur ce blog. Et assez vite, l'idée d'opter pour un résumé très court, une fois n'est pas coutume, s'est imposée. Parce que ce livre repose d'abord sur tout ce qu'on ne sait pas. Sur tout ce que l'on va découvrir à travers le récit du narrateur.
Un récit à la première personne qui, par moments, devient un "tu" et même quelquefois un "nous". Un narrateur qui ne s'adresse pas au lecteur, même s'il est là, spectateur, un peu voyeur aussi, et s'il tente de reconstituer tout ce qui s'est passé entre le drame de Venise en 1976 et ce procès de 2019. Accrochez-vous, parce que ces quatre décennies n'ont rien d'une épopée idyllique...
J'aurais pu choisir une autre citation en titre de ce billet, j'aurais pu entrer dans le vif du sujet, évoquer le thème de la pédophilie, qui est évidemment important dans ce roman, j'aurais pu proposer une des citations de Rimbaud que l'on trouve dans le cours du roman, un poète que le narrateur découvre et adore. Mais j'ai choisi cette phrase-là, parce que le vrai sujet de ce roman, c'est ça : la vérité.
Pas simplement une vérité factuelle, on va y revenir, mais la vérité et ses conséquences lorsqu'elle est révélée, lorsqu'il faut la regarder en face, lorsqu'il faut l'assumer, qu'on soit celui qui la révèle ou celui qui la reçoit. Tout ce que j'écris est sans doute un peu cryptique, mais il est vraiment délicat d'entrer dans le corps du roman, car sa construction, l'évolution du lecteur dans ce récit sont primordiales.
J'ai évoqué la question de la pédophilie, et l'on comprend au moins quel peut être le point de départ, avoir une idée, si ce n'est précise, au moins cohérente de ce qui a pu se produire à Venise cet été-là et ce qui a fait voler en éclats une famille. Mais cela ne suffit pas à comprendre ce qui va se passer tout au long de ce livre. Ce qui va se passer au cours de ces quarante-trois années...
Il y a un point de départ et, à partir de là, on va découvrir toutes les conséquences à court ou plus long terme, tous ce que vont subir tous les personnages impliqués, parfois indirectement, tous les dommages collatéraux du drame, et même, aussi surprenant que cela puisse paraître, certains aspects positifs qui vont intervenir...
En fait, "UnPur", c'est un roman en forme d'onde de choc. Le narrateur est l'épicentre, et tout autour de lui, se trouvent des personnages, plus ou moins proches, plus ou moins importants dans son existence, mais qui vont tous voir leur existence (han, il a failli écrire "impactées", quelle horreeeeur !) affectées par la trajectoire de ce personnage...
Mais que s'est-il passé, alors ? Eh bien, je pourrais vous raconter une partie des événements décrits dans "UnPur", je pourrais vous raconter les conséquences sur la famille, je pourrais vous dire ce qui s'est passé dans la période qui a directement suivi Venise, je pourrais faire plein de choses, c'est vrai, mais d'une part, il serait dommage de trop en dire...
Et d'autre part, il va falloir reposer la question de la vérité. Car, après tout, dans l'histoire qui nous est proposée, quels sont les faits avérés ? N'oublions pas que l'un des éléments centraux du roman, c'est un procès et qu'on a beau y jurer de dire toute la vérité, rien que la vérité, il arrive bien souvent qu'on s'arrange avec elle. Et ici, c'est le cas.
Là, je suis sûr de moi, puisque le récit de l'accusé ne semble pas correspondre en au moins un point à ce que l'enquête a pu montrer. L'accusé est carrément accusé de divagation, de prendre ses rêves pour des réalités, voire de se moquer tout simplement du monde... Et là encore, il faut reconnaître que le lecteur assiste un peu médusé à quelque chose de troublant...
Ce n'est pas l'accusation qui accumule les griefs envers l'accusé, mais l'inverse. C'est l'homme dans le box qui s'accuse de méfaits effroyables qu'on ne veut pas retenir contre lui. Plus étonnant encore, quoi qu'il dise, l'accusé semble bénéficier d'une vraie cote de popularité. Plus qu'une victime, il est présenté comme un héros, alors que cela va à l'encontre même de son récit...
Dans ce roman qui, décidément, prend bien des choses à contre-pied, Isabelle Desesquelles aborde la question de la victime et du bourreau avec beaucoup de pertinence, mais sans fard, sans manichéisme. Beaucoup de choses reposent en fait sur les conséquences sur la personnalité malléable d'un enfant des maltraitances qu'il peut subir.
Mais alors, nous voilà avec un narrateur qui est une victime, perçu comme un héros, qui s'accuse d'être un monstre et que le lecteur voit, à tort ou à raison, comme un bourreau lui-même... Voilà un sacré écheveau à démêler, probablement impossible à démêler, en fait, car je pense que c'est typiquement le genre de roman pour lequel il y a une lecture par lecteur...
Et bien des discussions en perspective, pour ceux qui verront en notre narrateur une victime, un héros, un fou ou un bourreau... C'est loin d'être anodin, pas seulement en prévision du verdict qui doit sortir du procès, mais aussi parce que tout ne s'arrêtera pas avec cette décision, parce qu'il y a encore un après à gérer et quarante-trois années à solder...
Dans "UnPur", Isabelle Desesquelles aborde la question de la gémellité comme tous les autres sujets traités dans ce livre : en rentrant dedans, en les bousculant. On a des frères jumeaux, incroyablement ressemblant, impossibles à distinguer. Deux êtres inextricablement liés par la génétique, mais séparés par le destin sournois et vil.
Une séparation violente, horrible. Dans un contexte qui, vous le verrez, va encore accroître la douleur. Pour autant, si cette séparation ne peut faire disparaître ce lien si particulier entre les deux frères, le récit du narrateur va faire apparaître une relation bien moins fusionnelle qu'on pourrait le croire, marquée par une forme de rivalité, une certaine jalousie, même.
Ce lien entre les jumeaux, on va se rendre compte qu'il est fondamental dans cette histoire, depuis la première anecdote, place Saint-Sulpice, jusqu'au dénouement. Une fraternité que les événements ont mise à mal, démantelée, déchirée, mais qui peut être encore réparable, à condition d'affronter la vérité, à condition de la supporter.
Isabelle Desesquelles s'est lancée dans une aventure littéraire très casse-gueule, sur un sujet délicat, difficile, dur. Elle a choisi un traitement osé, gonflé, en jouant sur l'ambiguïté de son personnage principal, qu'on retrouve dès le titre du livre. Avec cette formule : "UnPur", où l'écrit et l'oral s'opposent, offrant un double sens très bien vu.
On l'a dit plus haut, cette manière d'écrire en abolissant les espaces entre les mots pour créer de nouvelles entités comme prononcées dans un souffle, est présente dans le cours du roman. J'ai évoqué les surnoms donnés à ses fils par Clarice, mais ce n'est pas les seules formules du genre qu'elle avait l'habitude de prononcer, avec ce qu'on imagine être une profonde tendresse.
Mais en appliquant cette manière de s'exprimer au titre du livre, cela change tout : en collant l'article et le nom, elle rend le pur impur et pose toute la problématique de cette histoire. Toute sa cruauté aussi, évoquant non seulement la souillure, mais aussi le basculement qui se produit et fait passer l'enfant du côté obscur, atroce.
Oui, c'est un sujet casse-gueule, vraiment pas facile, parce qu'on touche à des choses innommables, à la perversion, à l'absence de morale autant que de remords, à cette facette de l'âme humaine qu'on voudrait croire inexistante et qui, pourtant, existe bel et bien et fait des ravages... Un sujet casse-gueule assorti d'une bonne dose d'ambiguïté, qui en fait un livre qui frappe le lecteur au plexus.
Isabelle Desesquelles nous bouscule, nous aussi, nous met à mal, parce qu'il y a ce récit et ce que l'on comprend, parfois entre les lignes, à travers certaines ellipses, comme si exprimer ces actes, ces situations, étaient trop difficile. Parce qu'il y a ce personnage déroutant, dont on ne sait s'il dégage le chaud ou le froid, s'il s'agit d'un menteur sans scrupule ou d'une victime traumatisée...
Il y a Clarice, personnage merveilleux, lumineux, que j'imagine belle et légère, aimante et fofolle, une femme devenue mère très jeune, mais qui voit aussi sa vie se briser très tôt... Elle peut sembler excentrique, mais je la vois plutôt libre, heureuse, une mère proche de ses jumeaux qui sont sa raison de vivre. Une femme sur laquelle s'est acharnée le destin...
Et puis, il y a ce dénouement, qui nous donne une dernière baffe, un coup de grâce. Qui nous offre une conclusion aussi belle qu'elle est horrible, je sais, c'est paradoxal, et pourtant... Pourtant, c'est ainsi que j'ai ressenti à la lecture des derniers chapitres, lorsque l'on comprend que le silence n'est pas d'or, non, bien au contraire, et que seule vaut la vérité, aussi horrible soit-elle...
(Morceau évidemment présent dans le roman, où il tient une place particulière).