Le roman dont nous allons parler est paru en juin, mais par bien des côtés, on pourrait le rapprocher de "UnPur", d'Isabelle Desesquelles, récemment évoqué sur ce blog. D'abord, parce qu'il traite d'un grave sujet de société, en l'occurrence les violences conjugales, ensuite en raison du traitement particulier pour lequel a opté la romancière, enfin pour un jeu très intéressant entre vérité et mensonge. "Une sombre affaire", d'Antonella Lattanzi (aux éditions Actes Sud ; traduction de Marguerite Pozzoli), aurait pu être un captivant polar, mais la romancière italienne a préféré raconter autrement cette histoire de famille, privilégiant les personnages et leur évolution, plutôt que l'intrigue et la quête de la vérité. Tout cela nous offre un roman troublant, dérangeant, au dénouement glaçant, dans une atmosphère délétère que n'aurait pas reniée un Georges Simenon ou un Claude Chabrol...
A Rome, ce mois d'août 2012 s'annonce étouffant, même les nuits n'offrant pas le rafraîchissement espéré pendant la journée. Malgré cet inconfort, dans un appartement de la via Prenestina, on se prépare à fêter un anniversaire, celui de Mara, la petite dernière de la famille Semeraro, qui vient d'avoir 3 ans.
Une réunion exceptionnelle, puisque les parents de Mara, Vito et Carla, sont séparés depuis deux ans, maintenant. L'anniversaire se tient dans l'immeuble où s'est installée Carla, lorsqu'elle a décidé de quitter Vito, l'homme de sa vie depuis leur adolescence, qui s'est révélé par la suite être un tyran domestique, brutal et violent.
Comme souvent, dans ces affaires de violences conjugales, le couple n'a cessé d'aller de disputes en réconciliation, jusqu'à ce que Carla, lasse d'être frappée, ne décide de rompre une bonne fois pour toute. Elle n'a plus voulu cohabiter avec "le diable qui se glissait dans le corps" de son mari, elle en a eu assez de supporter les ordres de cet homme qui estimait que Carla n'avait besoin de personne en dehors de lui...
Mais, lorsque Mara a émis le souhait que son papa soit présent à sa fête d'anniversaire, Carla n'a pas osé dire non. L'invitation a donc été lancée à Vito, pour qu'il retrouve ce soir de début août son ex-femme et leur trois enfants, Nicola, l'aîné, Rosa, la cadette et donc Mara, la benjamine. Les deux aînés, jeunes adultes, vivent dans une colocation située non loin de là et sont désormais indépendants.
La soirée se déroule sans anicroche, Mara est gâtée, les adultes ont enterré la hache de guerre et l'ambiance est très agréable. Puis, tout le monde se sépare, Mara s'endort, Carla s'occupe de ranger l'appartement, les deux aînés partent poursuivre la fête ailleurs, sans attendre leur père qui traîne un peu avec Carla.
Quelques jours plus tard, plusieurs personnes s'inquiètent... Des relations d'affaires, mais pas seulement. Milena, la maîtresse de Vito, accompagnée de sa fille adolescente, Paola, sonnent à la porte de la famille Semeraro. Elles veulent savoir comment va Vito, qu'elles n'ont pas vu depuis plusieurs jours...
Quand Mimma, la soeur de Vito, qui vit dans le sud du pays, à Massafra, dans les Pouilles, apprend cette disparition, elle entre dans une colère noire. Pour elle, il n'y a aucun doute : si Vito a disparu, c'est qu'il lui est arrivé malheur, et la cause de ce malheur est parfaitement connue : Carla, cette épouse odieuse qui lui a mené la vie dure avant de le quitter...
Mais qu'est-il donc arrivé à Vito Semeraro ?
Vous le voyez, ainsi présenté, on croirait se trouver devant un polar, les policiers vont arriver et devoir mener une enquête serré pour retrouver Vito et comprendre ce qui s'est passé. Or, ce n'est pas tout à fait l'enjeu d' "Une sombre affaire". Le sort de Vito, on va assez rapidement l'apprendre et, si l'on croise effectivement des policiers, leur rôle est presque marginal.
En fait, ce que l'on va suivre tout au long de ce livre, ce sont les réactions et les évolutions des personnages que j'ai évoqués dans ce résumé : Carla et ses trois enfants, Milena et sa fille, Mimma, la soeur revêche, auxquels il faut ajouter un dernier personnage, Manuel, dont Carla s'est rapproché depuis sa séparation.
On n'est pas dans un épisode d'une série policière, où tout doit être réglé au plus vite. L'histoire racontée par Antonella Lattanzi va s'étendre sur une période assez longue, au cours de laquelle cette affaire et les nombreuses zones d'ombre qu'elle comprend vont régulièrement défrayer la chronique et même déclencher une certaine hystérie.
Un temps long qui va permettre à Antonella Lattanzi d'observer l'évolution des personnages et de mettre en évidence des choses assez troublantes, qui découlent toutes, plus ou moins directement, des personnalités de Vito, mais aussi de Carla, et de l'alchimie imparfaite qui est née de leur couple. Et bien évidemment de la violence exercé par cet homme sur sa femme...
C'est d'autant plus marquant concernant les personnages les plus jeunes (je mets Mara à part, car elle est vraiment très jeune et échappe à ce que vont traverser les autres). Nicolas et Rosa, directement concernés, puisqu'ils ont grandi entre ce père violent et cette mère qui subissait, impuissante, les diktats de son mari, les coups, aussi.
Au fil de l'histoire, on observe ce frère et cette soeur, assez proches en âge, se serrer les coudes dans l'adversité. Au point que, par moments, on peut trouver cette relation fusionnelle un peu... ambiguë. Au fil du roman, Nicola va s'ériger en chef de famille, mais derrière cette autorité neuve, transparaissent des traits de caractère qui lui viennent clairement de son père... Et pas les meilleurs.
A l'inverse, Rosa ressemble de plus en plus à sa mère, moins affirmée, plus en retrait, plus soumise, oui, disons le mot. Avec inquiétude et effroi, on voit se reproduire le modèle familial originel chez ces jeunes adultes, qui risquent bien de vivre à leur tour ce qu'ils ont subi toute leur enfance, bourreau et victime...
Il y a aussi Paola, plus jeunes que les deux enfants légitimes de Vito. J'ai employé le mot légitime, mais c'est justement la question qui tourmente Paola : elle ignore qui est son père, Milena refuse de lui dire. La rumeur existe : ce serait Vito, amant de longue date de Milena. Mais Paola est et reste une bâtarde, et ce n'est pas la complicité de sa mère qui lui suffit. Paola va partir en vrille...
Milena elle-même se retrouve perdue sans Vito, son amant autant que son protecteur. Elle ne dresse pas du tout le même portrait de Vito que Carla et ses enfants. Elle n'a pas vécu avec un tyran, une brute. Mais jamais Milena n'a pu prendre la place de Carla, jamais elle n'a eu le même statut dans la vie et le regard de Vito...
L'un des éléments importants de cette histoire, c'est le lien qui unit Carla et Milena, lien qui passe forcément par Vito. L'épouse et la maîtresse... Une histoire vieille comme la littérature, ou presque, mais qui ici prend vite une dimension très particulière : chacune a le profil, chacune a des raisons objectives d'avoir voulu faire disparaître Vito...
Or, ni Carla ni Milena ne rejette la faute sur sa rivale. Elles semblent quasiment s'ignorer, ou du moins, ne se font pas la guerre qu'on pourrait attendre. Et c'est pour le moins surprenant, au point qu'on finit par se poser des questions sur ces deux femmes : que savent-elles ? Surtout que cachent-elles ? Qu'ont-elles fait ?
Dernier personnage féminin, et pas des moindres : Mimma. Un personnage ! L'archétype de la vieille fille qui a reporté toute son affection vers ce frère qui est tellement mieux qu'elle dans tous les domaines. Attention, aucun mépris dans cette description, c'est un très beau personnage, même si on a du mal à compatir pour elle, étant donné son comportement.
Mimma incarne la famille. La famille Semeraro, vous l'aurez compris, cette entité puissante, au sein de laquelle Carla n'a jamais été la bienvenue (ça tombe bien, elle-même a tout fait pour ne pas se laisser absorber). Antonella Lattanzi ne nous raconte pas en détails l'histoire de cette famille des Pouilles (région d'origine de la romancière), mais nous donne quelques indices.
Les Semeraro sont des notables, une famille très influente de Massafra, ville moyenne sur les bords du Golfe de Tarente, c'est à dire ce creux au bas de la botte italienne, près du talon. Le père, vieux et malade a passé la main et Vito était sans doute celui qui avait le mieux pris le relais pour faire tourner les affaires florissantes de la famille.
Ces affaires, on n'en saura pas plus sur leur nature exacte. Jamais ne seront prononcés les mots qui fâchent, comme mafia, par exemple, mais à lui seul, le mot famille, auquel on est tenté de mettre une majuscule, fait froid dans le dos. Oui, il y a clairement quelque chose de dérangeant dans cette famille, dans son côté possessif.
Mimma en est une excellente représentante, refusant de voir, d'accepter et même s'envisager ce qui est reproché à Vito, rejetant toutes les fautes sur Carla, à commencer par ce divorce, insupportable, insultant, immoral. Sa colère inextinguible se double d'une volonté farouche de ramener les enfants de Vito dans le giron familial. D'en faire des Semeraro, loin de Rome, vu comme un monde sordide.
Il reste un dernier personnage, celui de Manuel, qu'on croise parmi les premiers lorsqu'on lit le roman. Lui aussi va voir sa vie bouleversée par les événements, mais je vais peu en dire à son sujet. D'abord, pardonnez-moi, parce que c'est un personnage falot et tristounet, mais aussi parce que sa relation avec Carla est ambiguë et que cette ambiguïté occupe une place particulière dans le roman.
Mais, Carla et Vito, dans tout cela, me direz-vous ? Leur destin est lié, quoi qu'il soit arrivé. Mais Antonella Lattanzi dresse, à travers quelques souvenirs, quelques flash-back, le portrait d'un homme et d'un père au double visage. Le père prévenant et le mari amoureux, qui peut pourtant en quelques instants se transformer en un être violent et despotique, en particulier envers Clara.
"Une sombre affaire" joue sur un certain nombre de faux-semblants, de silences et même de mensonges, mais la violence de Vito ne fait aucun doute, ses enfants en ont été témoins jusqu'à ce que sa mère réussisse à rompre. Enfin, rompre... De fait, Vito et Carla n'habite plus ensemble, mais l'influence, l'attraction de Vito demeure...
Quant à Carla, elle est une victime, physiquement, peut-être plus encore moralement, écrasée pendant toutes ces années par cet homme qui a voulu la couper du reste du monde. Une femme qui essaye de se reconstruire, de reprendre le cours de sa vie, mise entre parenthèses durant son mariage, maintenant qu'elle a desserré l'étreinte, l'étau.
Dans une atmosphère de roman noir, on essaye de comprendre ce qui a pu se passer en ce mois d'août caniculaire à Rome. Et rien de ce qui semble évident ne l'est en réalité. Tout cela cache une vérité glaçante, dissimulée sous une bonne couche de silence et de mensonges. Et même lorsque l'on croira savoir, on comprendra que cette vérité est un trompe-l'oeil...
Antonella Lattanzi réussit à effacer peu à peu les frontières qui séparent les gentils des méchants, le bien du mal, le mensonge de la vérité. La citation placée en titre de ce billet, honteusement sortie de son contexte, je le reconnais volontiers, est un parfait résumé de ce roman : "chacun est à la fois la personne et le monstre", c'est exactement ça...
La romancière, dont c'est le premier roman traduit en France (un de ses précédents livres a été en lice pour le prix Stresa, le plus important prix littéraire italien), concocte un dénouement dur, je dirais même cruel, lorsque la vérité enfin se révèle, lorsque l'on comprend, en même temps que certains des acteurs, ce qui s'est vraiment produit...
C'est un roman qui en dérangera certains, qui sera peut-être d'ailleurs critiqué pour ce final, et pourtant, c'est aussi ce qui fait la force de cette histoire, parce qu'elle en dit rétrospectivement beaucoup sur les principaux personnages. Mais ne vous attendez pas à un manichéisme un peu facile, même dans ce contexte-là.
Car chacun est à la fois la personne et le monstre (oui, j'insiste).
A Rome, ce mois d'août 2012 s'annonce étouffant, même les nuits n'offrant pas le rafraîchissement espéré pendant la journée. Malgré cet inconfort, dans un appartement de la via Prenestina, on se prépare à fêter un anniversaire, celui de Mara, la petite dernière de la famille Semeraro, qui vient d'avoir 3 ans.
Une réunion exceptionnelle, puisque les parents de Mara, Vito et Carla, sont séparés depuis deux ans, maintenant. L'anniversaire se tient dans l'immeuble où s'est installée Carla, lorsqu'elle a décidé de quitter Vito, l'homme de sa vie depuis leur adolescence, qui s'est révélé par la suite être un tyran domestique, brutal et violent.
Comme souvent, dans ces affaires de violences conjugales, le couple n'a cessé d'aller de disputes en réconciliation, jusqu'à ce que Carla, lasse d'être frappée, ne décide de rompre une bonne fois pour toute. Elle n'a plus voulu cohabiter avec "le diable qui se glissait dans le corps" de son mari, elle en a eu assez de supporter les ordres de cet homme qui estimait que Carla n'avait besoin de personne en dehors de lui...
Mais, lorsque Mara a émis le souhait que son papa soit présent à sa fête d'anniversaire, Carla n'a pas osé dire non. L'invitation a donc été lancée à Vito, pour qu'il retrouve ce soir de début août son ex-femme et leur trois enfants, Nicola, l'aîné, Rosa, la cadette et donc Mara, la benjamine. Les deux aînés, jeunes adultes, vivent dans une colocation située non loin de là et sont désormais indépendants.
La soirée se déroule sans anicroche, Mara est gâtée, les adultes ont enterré la hache de guerre et l'ambiance est très agréable. Puis, tout le monde se sépare, Mara s'endort, Carla s'occupe de ranger l'appartement, les deux aînés partent poursuivre la fête ailleurs, sans attendre leur père qui traîne un peu avec Carla.
Quelques jours plus tard, plusieurs personnes s'inquiètent... Des relations d'affaires, mais pas seulement. Milena, la maîtresse de Vito, accompagnée de sa fille adolescente, Paola, sonnent à la porte de la famille Semeraro. Elles veulent savoir comment va Vito, qu'elles n'ont pas vu depuis plusieurs jours...
Quand Mimma, la soeur de Vito, qui vit dans le sud du pays, à Massafra, dans les Pouilles, apprend cette disparition, elle entre dans une colère noire. Pour elle, il n'y a aucun doute : si Vito a disparu, c'est qu'il lui est arrivé malheur, et la cause de ce malheur est parfaitement connue : Carla, cette épouse odieuse qui lui a mené la vie dure avant de le quitter...
Mais qu'est-il donc arrivé à Vito Semeraro ?
Vous le voyez, ainsi présenté, on croirait se trouver devant un polar, les policiers vont arriver et devoir mener une enquête serré pour retrouver Vito et comprendre ce qui s'est passé. Or, ce n'est pas tout à fait l'enjeu d' "Une sombre affaire". Le sort de Vito, on va assez rapidement l'apprendre et, si l'on croise effectivement des policiers, leur rôle est presque marginal.
En fait, ce que l'on va suivre tout au long de ce livre, ce sont les réactions et les évolutions des personnages que j'ai évoqués dans ce résumé : Carla et ses trois enfants, Milena et sa fille, Mimma, la soeur revêche, auxquels il faut ajouter un dernier personnage, Manuel, dont Carla s'est rapproché depuis sa séparation.
On n'est pas dans un épisode d'une série policière, où tout doit être réglé au plus vite. L'histoire racontée par Antonella Lattanzi va s'étendre sur une période assez longue, au cours de laquelle cette affaire et les nombreuses zones d'ombre qu'elle comprend vont régulièrement défrayer la chronique et même déclencher une certaine hystérie.
Un temps long qui va permettre à Antonella Lattanzi d'observer l'évolution des personnages et de mettre en évidence des choses assez troublantes, qui découlent toutes, plus ou moins directement, des personnalités de Vito, mais aussi de Carla, et de l'alchimie imparfaite qui est née de leur couple. Et bien évidemment de la violence exercé par cet homme sur sa femme...
C'est d'autant plus marquant concernant les personnages les plus jeunes (je mets Mara à part, car elle est vraiment très jeune et échappe à ce que vont traverser les autres). Nicolas et Rosa, directement concernés, puisqu'ils ont grandi entre ce père violent et cette mère qui subissait, impuissante, les diktats de son mari, les coups, aussi.
Au fil de l'histoire, on observe ce frère et cette soeur, assez proches en âge, se serrer les coudes dans l'adversité. Au point que, par moments, on peut trouver cette relation fusionnelle un peu... ambiguë. Au fil du roman, Nicola va s'ériger en chef de famille, mais derrière cette autorité neuve, transparaissent des traits de caractère qui lui viennent clairement de son père... Et pas les meilleurs.
A l'inverse, Rosa ressemble de plus en plus à sa mère, moins affirmée, plus en retrait, plus soumise, oui, disons le mot. Avec inquiétude et effroi, on voit se reproduire le modèle familial originel chez ces jeunes adultes, qui risquent bien de vivre à leur tour ce qu'ils ont subi toute leur enfance, bourreau et victime...
Il y a aussi Paola, plus jeunes que les deux enfants légitimes de Vito. J'ai employé le mot légitime, mais c'est justement la question qui tourmente Paola : elle ignore qui est son père, Milena refuse de lui dire. La rumeur existe : ce serait Vito, amant de longue date de Milena. Mais Paola est et reste une bâtarde, et ce n'est pas la complicité de sa mère qui lui suffit. Paola va partir en vrille...
Milena elle-même se retrouve perdue sans Vito, son amant autant que son protecteur. Elle ne dresse pas du tout le même portrait de Vito que Carla et ses enfants. Elle n'a pas vécu avec un tyran, une brute. Mais jamais Milena n'a pu prendre la place de Carla, jamais elle n'a eu le même statut dans la vie et le regard de Vito...
L'un des éléments importants de cette histoire, c'est le lien qui unit Carla et Milena, lien qui passe forcément par Vito. L'épouse et la maîtresse... Une histoire vieille comme la littérature, ou presque, mais qui ici prend vite une dimension très particulière : chacune a le profil, chacune a des raisons objectives d'avoir voulu faire disparaître Vito...
Or, ni Carla ni Milena ne rejette la faute sur sa rivale. Elles semblent quasiment s'ignorer, ou du moins, ne se font pas la guerre qu'on pourrait attendre. Et c'est pour le moins surprenant, au point qu'on finit par se poser des questions sur ces deux femmes : que savent-elles ? Surtout que cachent-elles ? Qu'ont-elles fait ?
Dernier personnage féminin, et pas des moindres : Mimma. Un personnage ! L'archétype de la vieille fille qui a reporté toute son affection vers ce frère qui est tellement mieux qu'elle dans tous les domaines. Attention, aucun mépris dans cette description, c'est un très beau personnage, même si on a du mal à compatir pour elle, étant donné son comportement.
Mimma incarne la famille. La famille Semeraro, vous l'aurez compris, cette entité puissante, au sein de laquelle Carla n'a jamais été la bienvenue (ça tombe bien, elle-même a tout fait pour ne pas se laisser absorber). Antonella Lattanzi ne nous raconte pas en détails l'histoire de cette famille des Pouilles (région d'origine de la romancière), mais nous donne quelques indices.
Les Semeraro sont des notables, une famille très influente de Massafra, ville moyenne sur les bords du Golfe de Tarente, c'est à dire ce creux au bas de la botte italienne, près du talon. Le père, vieux et malade a passé la main et Vito était sans doute celui qui avait le mieux pris le relais pour faire tourner les affaires florissantes de la famille.
Ces affaires, on n'en saura pas plus sur leur nature exacte. Jamais ne seront prononcés les mots qui fâchent, comme mafia, par exemple, mais à lui seul, le mot famille, auquel on est tenté de mettre une majuscule, fait froid dans le dos. Oui, il y a clairement quelque chose de dérangeant dans cette famille, dans son côté possessif.
Mimma en est une excellente représentante, refusant de voir, d'accepter et même s'envisager ce qui est reproché à Vito, rejetant toutes les fautes sur Carla, à commencer par ce divorce, insupportable, insultant, immoral. Sa colère inextinguible se double d'une volonté farouche de ramener les enfants de Vito dans le giron familial. D'en faire des Semeraro, loin de Rome, vu comme un monde sordide.
Il reste un dernier personnage, celui de Manuel, qu'on croise parmi les premiers lorsqu'on lit le roman. Lui aussi va voir sa vie bouleversée par les événements, mais je vais peu en dire à son sujet. D'abord, pardonnez-moi, parce que c'est un personnage falot et tristounet, mais aussi parce que sa relation avec Carla est ambiguë et que cette ambiguïté occupe une place particulière dans le roman.
Mais, Carla et Vito, dans tout cela, me direz-vous ? Leur destin est lié, quoi qu'il soit arrivé. Mais Antonella Lattanzi dresse, à travers quelques souvenirs, quelques flash-back, le portrait d'un homme et d'un père au double visage. Le père prévenant et le mari amoureux, qui peut pourtant en quelques instants se transformer en un être violent et despotique, en particulier envers Clara.
"Une sombre affaire" joue sur un certain nombre de faux-semblants, de silences et même de mensonges, mais la violence de Vito ne fait aucun doute, ses enfants en ont été témoins jusqu'à ce que sa mère réussisse à rompre. Enfin, rompre... De fait, Vito et Carla n'habite plus ensemble, mais l'influence, l'attraction de Vito demeure...
Quant à Carla, elle est une victime, physiquement, peut-être plus encore moralement, écrasée pendant toutes ces années par cet homme qui a voulu la couper du reste du monde. Une femme qui essaye de se reconstruire, de reprendre le cours de sa vie, mise entre parenthèses durant son mariage, maintenant qu'elle a desserré l'étreinte, l'étau.
Dans une atmosphère de roman noir, on essaye de comprendre ce qui a pu se passer en ce mois d'août caniculaire à Rome. Et rien de ce qui semble évident ne l'est en réalité. Tout cela cache une vérité glaçante, dissimulée sous une bonne couche de silence et de mensonges. Et même lorsque l'on croira savoir, on comprendra que cette vérité est un trompe-l'oeil...
Antonella Lattanzi réussit à effacer peu à peu les frontières qui séparent les gentils des méchants, le bien du mal, le mensonge de la vérité. La citation placée en titre de ce billet, honteusement sortie de son contexte, je le reconnais volontiers, est un parfait résumé de ce roman : "chacun est à la fois la personne et le monstre", c'est exactement ça...
La romancière, dont c'est le premier roman traduit en France (un de ses précédents livres a été en lice pour le prix Stresa, le plus important prix littéraire italien), concocte un dénouement dur, je dirais même cruel, lorsque la vérité enfin se révèle, lorsque l'on comprend, en même temps que certains des acteurs, ce qui s'est vraiment produit...
C'est un roman qui en dérangera certains, qui sera peut-être d'ailleurs critiqué pour ce final, et pourtant, c'est aussi ce qui fait la force de cette histoire, parce qu'elle en dit rétrospectivement beaucoup sur les principaux personnages. Mais ne vous attendez pas à un manichéisme un peu facile, même dans ce contexte-là.
Car chacun est à la fois la personne et le monstre (oui, j'insiste).