ATTENTION, CE BILLET CONCERNE LE DERNIER TOME D'UNE TRILOGIE.
- Le billet sur "Sénéchal, tome 1" (désormais disponible en poche chez Folio).
- Le billet sur "Sénéchal, tome 2" (désormais disponible en poche chez Folio).
Voilà, qu'on se le dise, et pas besoin de vous faire un dessin ! Mais un roman, si, histoire de conclure une trilogie qui est une des très belle découvertes de la fantasy francophone ces dernières années. Car il faut lever toutes les interrogations qui demeuraient à l'issue du deuxième tome, découvrir enfin le rôle exact que joue chacun des personnages, découvrir le ou les traîtres qui évoluent dans la forteresse assiégée de Lysimaque. Oui, l'heure de faire tomber les masques a sonné et ce "Sénéchal III", signé Grégory Da Rosa (en grand format aux éditions Mnémos) va nous plonger une dernière fois au coeur de ce panier de crabes (du genre vorace, ces crabes) où politique et ambition s'entremêlent, se frôlent, s'épousent ou se repoussent, et où tous les coups semblent permis. Et nous, spectateurs, témoins du drame, des drames, soyons bien heureux d'être dans notre canapé et non au coeur de cette citadelle de plus en plus chancelante. Fermons donc nos gueules et, oui, profitons de cette dernière représentation qui s'annonce... sanglante !
Depuis combien de temps est-il là ? Depuis combien de temps gît-il dans le noir et la crasse, dans cette geôle ignoble, aux antipodes de son bureau de sénéchal ? Philippe Gardeval l'ignore, mais la chute est spectaculaire. L'un des deux hommes les plus puissants de Lysimaque n'est plus d'un prisonnier pouilleux et déshonoré...
Enfin une visite ! L'Archisyncre en personne, signe que, malgré tout, le sénéchal déchu conserve un certain prestige. On lui envoie un haut prélat pour s'occuper de son cas. Pour procéder à son exorcisme, rien que ça... Et une belle occasion pour le captif d'obtenir des informations pour savoir ce qui s'est passé pendant qu'il attendait, là, aux oubliettes.
Il découvre qu'en son absence, rien ne s'est amélioré, au contraire. Non seulement le siège dure et se renforce, mais à l'intérieur de l'enceinte de la forteresse, la tension monte, la violence aussi et le pouvoir semble impuissant à faire régner l'ordre et le calme... Il est à craindre que la cité ne tombe par elle-même avant que l'ennemi n'ait à porter le coup de grâce...
Pour Gardeval, cette rencontre peut être l'occasion rêver pour sortir de sa cellule. En usant de ce qu'il sait faire de mieux, lui le fin politique, c'est-à-dire user d'un sens aigu de la persuasion (oui, il y a d'autres mots pour qualifier cela, mais ne soyons pas médisants ou insultants, je vous prie). Et pour cela, il confie à l'archisyncre le journal du siège qu'il a rédigé jusqu'à son emprisonnement...
Reste à jouer le jeu de l'exorcisme, et il pourra sortir de cette prison crasseuse. Et espérer voler la vedette à ce fat d'Othon, qui pense avoir les rênes bien en main, en se positionnant en homme providentiel. Le chemin est encore loin, la trajectoire reste aléatoire, mais Gardeval a de la ressource, ce n'est pas à un vieux sénéchal qu'on apprend à faire de la politique !
Il lui faut encore convaincre le roi que sa place n'est pas en prison, mais qu'il doit être rétabli dans ses fonctions. Et pour cela, il a quelques alliés de poids qui sauront contrebalancer l'influence néfaste d'Othon de Ligias. Sans oublier la longue amitié qui le lie au souverain, bien écornée, mais toujours vivace. Ou encore ces fameux carnets. La vérité. Enfin, la vérité de Philippe Gardeval.
S'il est reconnu innocent, alors, le duel à fleurets de moins en moins mouchetés entre les deux rivaux, Gardeval et Ligias, pourra reprendre, dans une atmosphère de plus en plus sombre et pessimiste, avec un roi qui ne contrôle plus grand-chose et une suspicion plus présente que jamais : on voit des traîtres partout à la cour, on se méfie de tous et de toutes...
Et cette guerre très personnelle pourrait bien prendre des proportions effarantes, tant la haine qui anime Gadeval et Ligias, le sénéchal issu de la roture et le chancelier aux nombreux quartiers de noblesse, le politique aguerri et l'arriviste impénitent, le proche du roi et le courtisan, le sénéchal influent et apprécié et l'ambitieux assoiffé de pouvoir, est exacerbée...
Voilà, maintenant, je sais !
Oui, je sais, j'ai les réponses que j'attendais depuis les premières pages du premier tome de cette trilogie. Je sais si mes hypothèses étaient justes, fruits d'une observation sagace et d'une intelligence aiguisée, ou si je me suis lamentablement vautré en portant mes soupçons sur le ou les mauvais personnages... Bref, je sais si je peux me vanter ou me faire discret...
Il y a tout de même une troisième voie : que je n'ai pas découvert l'entière vérité, que le fourbe romancier dans le secret de son bureau, qu'on imagine sombre, à peine éclairé par quelques chandelles vacillantes, et fort encombré (je parle du bureau, pas du fourbe romancier), n'ait réservé à ses fidèles et courageux lecteurs quelques surprises.
En résumé, oui, je sais si Grégory Da Rosa m'a mené en bateau d'un bout à l'autre ou si j'ai percé sa stratégie en cours de route... Ou si, tel le chevalier noir du "Sacré Graal", nous avons conclu de déclarer le match nul après avoir reçu moult et douloureux horions... Evidemment, ce n'est pas dans ce billet que vous aurez les réponses à ces questions, qui vous importent certainement peu...
Mais j'avais hâte de me jeter dans la lecture de ce dernier tome. Hâte, et aussi un peu peur, comme c'est souvent le cas quand on attend beaucoup. Parce que conclure un cycle, ce n'est jamais simple pour un auteur, et parce que cela peut ressembler à un soufflé qui se dégonfle pour le lecteur. J'espérais que Grégory Da Rosa me surprendrait.
Oui et non, je pense que vous l'aurez compris, oui, j'ai été surpris, mais pas par la totalité de ce final. Mais ce n'est pas un oui de déception, car ce qui se produit dans ce dernier tome est un peu dans l'ordre des choses. Les germes sont là, depuis le départ. Il reste à assembler les indices et à comprendre comment la mécanique va s'enclencher. Et là, seul l'auteur maîtrise.
Comme il est le seul à maîtriser les surprises supplémentaires. Eh oui, il y a ce qui relève presque de l'évidence, et puis il y a le reste, que personne n'a vu venir, ou en tout cas, que personne n'a pu identifier à temps. On sait dès les premiers chapitres de la trilogie que la cour de Lysimaque est infiltrée, gangrenée, que l'ennemi est déjà à l'intérieur... Oui, mais qui ? Et combien ?
Quant aux certitudes, elles ont vacillé à la fin du deuxième volet, avec un cliffhanger qui remettait tout en cause... Et c'est vrai qu'en attaquant la lecture de ce troisième tome, on se demandait forcément comment cet emprisonnement de Philippe Gardeval allait influer sur l'intrigue centrale de la trilogie.
Pour une première raison très simple : depuis le début, on n'a que le point de vue de Philippe Gardeval, puisqu'il est le narrateur. Or, pas besoin d'avoir fait de longues études ou d'être particulièrement perspicace pour comprendre que, depuis un cul de basse-fosse (j'adore ce mot, je pense toujours à Hercule de Basse-Fosse, dans "Johan et Pirlouit" quand je l'emploie), on voit nettement moins bien ce qui se passe.
Et surtout, on perd un fil auquel on s'était raccroché depuis le début : toute la trilogie est rythmée par les heures qui passent, les cloches qui sonnent, les jours qui se succèdent. Or, on entre dans ce troisième tome avec ces deux indications : "jour inconnu" et "heure inconnue"... Diantre, palsambleu et toutes ces sortes de choses, mais où en sommes-nous ?
Le temps est un élément-clé de cette histoire et là, il a déraillé... Avec Gardeval, on est à l'écart du monde, dans une cellule sordide, et on ne sait ni depuis combien de temps on est là, ni ce qui a pu arriver dans cet intervalle. Et si, en temps normal, ça n'aurait pas eu trop d'importance, lorsqu'on vit dans une ville assiégée, ce n'est pas pareil...
Le lecteur est déstabilisé : mais où est donc Ornicar ? Dans quel état j'erre ? Pourtant, c'est encore Gardeval qui tient le gouvernail, le seul repère qui a su persister, c'est cette narration à la première personne... Signe qu'on ne devrait pas rester trop longtemps enfermé. Ou alors, ce final risque d'être très étrange...
Non, c'est bien à l'air libre que doit se régler cette affaire et, comme dit plus haut, que la rivalité entre Gardeval et Ligias doit se dénouer... Je dois dire que c'est un des moments forts de ce dernier tome et que Grégory Da Rosa n'a manifestement pas eu envie de plaisanter à ce moment-là... Et parmi les événements inattendus, le terme de cette lutte fait sans doute partie des plus surprenants...
Disons-le, ce dernier volet est le plus violent des trois, car c'est d'abord la tension qui présidait aux deux premiers volets, avec quelques pics brutaux. Mais dans ce tome final, on peut tout lâcher, puisqu'on sait bien qu'à un moment donné, Lysimaque tombera, et qu'avant cela, il faut avoir expédié quelques affaires courantes. Et quelques rancoeurs tenaces.
Alors, oui, la promesse est tenue, le sang se déverse, à gros bouillons... On ne fait pas d'omelette sans casser les oeufs, on ne dirige pas un royaume sans faire preuve d'un minimum (?) de violence, on n'impose pas sa volonté par la simple persuasion, on ne soumet pas ses ennemis juste en les endormant... Et on n'affronte pas un siège sans montrer qu'on a du répondant.
Je dois dire que si je m'attendais à certaines choses, d'autres en revanche, m'ont laissé pantois. Avant même le dénouement, mais aussi dans la partie finale du livre. Comme quoi, avoir des intuitions ne suffit pas à dire ensuite : j'avais TOUT compris bien avant !! Parce qu'il fallait à cette trilogie, assez feutrée, jouant beaucoup sur les jeux de pouvoir, un dénouement spectaculaire.
Au jeu des références, et il est amusant de lire, ces derniers jours, les tweets de Grégory Da Rosa sur le sujet, on a un passage dans la partie initiale qui nous renvoie aux "Rois maudits", tandis qu'une des scènes décisives, dans la dernière partie, ressemble à un clin d'oeil au "Trône de fer". Je marche sur des oeufs en écrivant cela : c'est mon ressenti de lecteur, est-ce la volonté de l'auteur ? A voir !
Mais que mes impressions soient justes ou que la volonté de Grégory Da Rosa soit différente, ce double parrainage ne peut être totalement à côté de la plaque. En effet, on retrouve dans ces deux cycles cultes bien des éléments qui apparaissent aussi dans "Sénéchal", en particulier la dimension politique, qui est au coeur de cette trilogie.
Toutefois, un autre thème majeur s'impose : l'Histoire. Et comment on la fait, comment on la raconte, comment on impose une vision, un angle particulier... Bref, comment les vainqueurs font de leur version une version officielle que l'on étudiera ensuite comme une vérité absolue. Et comment on crée une hagiographie là où une biographie serait certainement plus équilibrée...
Je dois reconnaître que, dans ce domaine, Grégory Da Rosa y va fort, pousse le curseur au taquet et joue la connivence avec son lecteur : nous avons vu ce que nous avons vu, nous avons été témoins d'événements et de comportements qui ne sont pas forcément en rapport avec ce que l'Histoire a finalement retenu...
La démonstration est aussi savoureuse qu'elle est inquiétante, en fait. Car ce que met en lumière une trilogie de fantasy se déroulant dans un univers imaginaire pourrait tout à fait s'appliquer à un monde bien réel et à des époques proches de la nôtre... Sans aller forcément jusque dans la relecture de l'Histoire ou des vies glorieuses de certains personnages, cela nous lance quelques avertissements.
Et surtout cela nous incite, dans notre monde d'ultra-communication et d'accès plus large aux informations, à diversifier les sources, à faire plus attention à la manière dont nous collections nos renseignements, aux orientations de sites ou d'auteurs... Et puis, simplement à une prudence naturelle qui devrait être la nôtre en bien des circonstances et nous pousser à se forger un avis propre.
Une conclusion qui vaut pour l'histoire, pour l'actualité, mais certainement aussi pour les livres et ce que nous attendons des avis extérieurs, qu'on les recherche avant lecture ou après. En clair, que l'on soit des fidèles lecteurs de plateformes littéraires, de blogs ou spectateurs assidus de chaînes, attention à ceux qui veulent nous influencer et nous faire négliger notre libre arbitre.
Agir par soi-même sera toujours la meilleure des solutions !
- Le billet sur "Sénéchal, tome 1" (désormais disponible en poche chez Folio).
- Le billet sur "Sénéchal, tome 2" (désormais disponible en poche chez Folio).
Voilà, qu'on se le dise, et pas besoin de vous faire un dessin ! Mais un roman, si, histoire de conclure une trilogie qui est une des très belle découvertes de la fantasy francophone ces dernières années. Car il faut lever toutes les interrogations qui demeuraient à l'issue du deuxième tome, découvrir enfin le rôle exact que joue chacun des personnages, découvrir le ou les traîtres qui évoluent dans la forteresse assiégée de Lysimaque. Oui, l'heure de faire tomber les masques a sonné et ce "Sénéchal III", signé Grégory Da Rosa (en grand format aux éditions Mnémos) va nous plonger une dernière fois au coeur de ce panier de crabes (du genre vorace, ces crabes) où politique et ambition s'entremêlent, se frôlent, s'épousent ou se repoussent, et où tous les coups semblent permis. Et nous, spectateurs, témoins du drame, des drames, soyons bien heureux d'être dans notre canapé et non au coeur de cette citadelle de plus en plus chancelante. Fermons donc nos gueules et, oui, profitons de cette dernière représentation qui s'annonce... sanglante !
Depuis combien de temps est-il là ? Depuis combien de temps gît-il dans le noir et la crasse, dans cette geôle ignoble, aux antipodes de son bureau de sénéchal ? Philippe Gardeval l'ignore, mais la chute est spectaculaire. L'un des deux hommes les plus puissants de Lysimaque n'est plus d'un prisonnier pouilleux et déshonoré...
Enfin une visite ! L'Archisyncre en personne, signe que, malgré tout, le sénéchal déchu conserve un certain prestige. On lui envoie un haut prélat pour s'occuper de son cas. Pour procéder à son exorcisme, rien que ça... Et une belle occasion pour le captif d'obtenir des informations pour savoir ce qui s'est passé pendant qu'il attendait, là, aux oubliettes.
Il découvre qu'en son absence, rien ne s'est amélioré, au contraire. Non seulement le siège dure et se renforce, mais à l'intérieur de l'enceinte de la forteresse, la tension monte, la violence aussi et le pouvoir semble impuissant à faire régner l'ordre et le calme... Il est à craindre que la cité ne tombe par elle-même avant que l'ennemi n'ait à porter le coup de grâce...
Pour Gardeval, cette rencontre peut être l'occasion rêver pour sortir de sa cellule. En usant de ce qu'il sait faire de mieux, lui le fin politique, c'est-à-dire user d'un sens aigu de la persuasion (oui, il y a d'autres mots pour qualifier cela, mais ne soyons pas médisants ou insultants, je vous prie). Et pour cela, il confie à l'archisyncre le journal du siège qu'il a rédigé jusqu'à son emprisonnement...
Reste à jouer le jeu de l'exorcisme, et il pourra sortir de cette prison crasseuse. Et espérer voler la vedette à ce fat d'Othon, qui pense avoir les rênes bien en main, en se positionnant en homme providentiel. Le chemin est encore loin, la trajectoire reste aléatoire, mais Gardeval a de la ressource, ce n'est pas à un vieux sénéchal qu'on apprend à faire de la politique !
Il lui faut encore convaincre le roi que sa place n'est pas en prison, mais qu'il doit être rétabli dans ses fonctions. Et pour cela, il a quelques alliés de poids qui sauront contrebalancer l'influence néfaste d'Othon de Ligias. Sans oublier la longue amitié qui le lie au souverain, bien écornée, mais toujours vivace. Ou encore ces fameux carnets. La vérité. Enfin, la vérité de Philippe Gardeval.
S'il est reconnu innocent, alors, le duel à fleurets de moins en moins mouchetés entre les deux rivaux, Gardeval et Ligias, pourra reprendre, dans une atmosphère de plus en plus sombre et pessimiste, avec un roi qui ne contrôle plus grand-chose et une suspicion plus présente que jamais : on voit des traîtres partout à la cour, on se méfie de tous et de toutes...
Et cette guerre très personnelle pourrait bien prendre des proportions effarantes, tant la haine qui anime Gadeval et Ligias, le sénéchal issu de la roture et le chancelier aux nombreux quartiers de noblesse, le politique aguerri et l'arriviste impénitent, le proche du roi et le courtisan, le sénéchal influent et apprécié et l'ambitieux assoiffé de pouvoir, est exacerbée...
Voilà, maintenant, je sais !
Oui, je sais, j'ai les réponses que j'attendais depuis les premières pages du premier tome de cette trilogie. Je sais si mes hypothèses étaient justes, fruits d'une observation sagace et d'une intelligence aiguisée, ou si je me suis lamentablement vautré en portant mes soupçons sur le ou les mauvais personnages... Bref, je sais si je peux me vanter ou me faire discret...
Il y a tout de même une troisième voie : que je n'ai pas découvert l'entière vérité, que le fourbe romancier dans le secret de son bureau, qu'on imagine sombre, à peine éclairé par quelques chandelles vacillantes, et fort encombré (je parle du bureau, pas du fourbe romancier), n'ait réservé à ses fidèles et courageux lecteurs quelques surprises.
En résumé, oui, je sais si Grégory Da Rosa m'a mené en bateau d'un bout à l'autre ou si j'ai percé sa stratégie en cours de route... Ou si, tel le chevalier noir du "Sacré Graal", nous avons conclu de déclarer le match nul après avoir reçu moult et douloureux horions... Evidemment, ce n'est pas dans ce billet que vous aurez les réponses à ces questions, qui vous importent certainement peu...
Mais j'avais hâte de me jeter dans la lecture de ce dernier tome. Hâte, et aussi un peu peur, comme c'est souvent le cas quand on attend beaucoup. Parce que conclure un cycle, ce n'est jamais simple pour un auteur, et parce que cela peut ressembler à un soufflé qui se dégonfle pour le lecteur. J'espérais que Grégory Da Rosa me surprendrait.
Oui et non, je pense que vous l'aurez compris, oui, j'ai été surpris, mais pas par la totalité de ce final. Mais ce n'est pas un oui de déception, car ce qui se produit dans ce dernier tome est un peu dans l'ordre des choses. Les germes sont là, depuis le départ. Il reste à assembler les indices et à comprendre comment la mécanique va s'enclencher. Et là, seul l'auteur maîtrise.
Comme il est le seul à maîtriser les surprises supplémentaires. Eh oui, il y a ce qui relève presque de l'évidence, et puis il y a le reste, que personne n'a vu venir, ou en tout cas, que personne n'a pu identifier à temps. On sait dès les premiers chapitres de la trilogie que la cour de Lysimaque est infiltrée, gangrenée, que l'ennemi est déjà à l'intérieur... Oui, mais qui ? Et combien ?
Quant aux certitudes, elles ont vacillé à la fin du deuxième volet, avec un cliffhanger qui remettait tout en cause... Et c'est vrai qu'en attaquant la lecture de ce troisième tome, on se demandait forcément comment cet emprisonnement de Philippe Gardeval allait influer sur l'intrigue centrale de la trilogie.
Pour une première raison très simple : depuis le début, on n'a que le point de vue de Philippe Gardeval, puisqu'il est le narrateur. Or, pas besoin d'avoir fait de longues études ou d'être particulièrement perspicace pour comprendre que, depuis un cul de basse-fosse (j'adore ce mot, je pense toujours à Hercule de Basse-Fosse, dans "Johan et Pirlouit" quand je l'emploie), on voit nettement moins bien ce qui se passe.
Et surtout, on perd un fil auquel on s'était raccroché depuis le début : toute la trilogie est rythmée par les heures qui passent, les cloches qui sonnent, les jours qui se succèdent. Or, on entre dans ce troisième tome avec ces deux indications : "jour inconnu" et "heure inconnue"... Diantre, palsambleu et toutes ces sortes de choses, mais où en sommes-nous ?
Le temps est un élément-clé de cette histoire et là, il a déraillé... Avec Gardeval, on est à l'écart du monde, dans une cellule sordide, et on ne sait ni depuis combien de temps on est là, ni ce qui a pu arriver dans cet intervalle. Et si, en temps normal, ça n'aurait pas eu trop d'importance, lorsqu'on vit dans une ville assiégée, ce n'est pas pareil...
Le lecteur est déstabilisé : mais où est donc Ornicar ? Dans quel état j'erre ? Pourtant, c'est encore Gardeval qui tient le gouvernail, le seul repère qui a su persister, c'est cette narration à la première personne... Signe qu'on ne devrait pas rester trop longtemps enfermé. Ou alors, ce final risque d'être très étrange...
Non, c'est bien à l'air libre que doit se régler cette affaire et, comme dit plus haut, que la rivalité entre Gardeval et Ligias doit se dénouer... Je dois dire que c'est un des moments forts de ce dernier tome et que Grégory Da Rosa n'a manifestement pas eu envie de plaisanter à ce moment-là... Et parmi les événements inattendus, le terme de cette lutte fait sans doute partie des plus surprenants...
Disons-le, ce dernier volet est le plus violent des trois, car c'est d'abord la tension qui présidait aux deux premiers volets, avec quelques pics brutaux. Mais dans ce tome final, on peut tout lâcher, puisqu'on sait bien qu'à un moment donné, Lysimaque tombera, et qu'avant cela, il faut avoir expédié quelques affaires courantes. Et quelques rancoeurs tenaces.
Alors, oui, la promesse est tenue, le sang se déverse, à gros bouillons... On ne fait pas d'omelette sans casser les oeufs, on ne dirige pas un royaume sans faire preuve d'un minimum (?) de violence, on n'impose pas sa volonté par la simple persuasion, on ne soumet pas ses ennemis juste en les endormant... Et on n'affronte pas un siège sans montrer qu'on a du répondant.
Je dois dire que si je m'attendais à certaines choses, d'autres en revanche, m'ont laissé pantois. Avant même le dénouement, mais aussi dans la partie finale du livre. Comme quoi, avoir des intuitions ne suffit pas à dire ensuite : j'avais TOUT compris bien avant !! Parce qu'il fallait à cette trilogie, assez feutrée, jouant beaucoup sur les jeux de pouvoir, un dénouement spectaculaire.
Au jeu des références, et il est amusant de lire, ces derniers jours, les tweets de Grégory Da Rosa sur le sujet, on a un passage dans la partie initiale qui nous renvoie aux "Rois maudits", tandis qu'une des scènes décisives, dans la dernière partie, ressemble à un clin d'oeil au "Trône de fer". Je marche sur des oeufs en écrivant cela : c'est mon ressenti de lecteur, est-ce la volonté de l'auteur ? A voir !
Mais que mes impressions soient justes ou que la volonté de Grégory Da Rosa soit différente, ce double parrainage ne peut être totalement à côté de la plaque. En effet, on retrouve dans ces deux cycles cultes bien des éléments qui apparaissent aussi dans "Sénéchal", en particulier la dimension politique, qui est au coeur de cette trilogie.
Toutefois, un autre thème majeur s'impose : l'Histoire. Et comment on la fait, comment on la raconte, comment on impose une vision, un angle particulier... Bref, comment les vainqueurs font de leur version une version officielle que l'on étudiera ensuite comme une vérité absolue. Et comment on crée une hagiographie là où une biographie serait certainement plus équilibrée...
Je dois reconnaître que, dans ce domaine, Grégory Da Rosa y va fort, pousse le curseur au taquet et joue la connivence avec son lecteur : nous avons vu ce que nous avons vu, nous avons été témoins d'événements et de comportements qui ne sont pas forcément en rapport avec ce que l'Histoire a finalement retenu...
La démonstration est aussi savoureuse qu'elle est inquiétante, en fait. Car ce que met en lumière une trilogie de fantasy se déroulant dans un univers imaginaire pourrait tout à fait s'appliquer à un monde bien réel et à des époques proches de la nôtre... Sans aller forcément jusque dans la relecture de l'Histoire ou des vies glorieuses de certains personnages, cela nous lance quelques avertissements.
Et surtout cela nous incite, dans notre monde d'ultra-communication et d'accès plus large aux informations, à diversifier les sources, à faire plus attention à la manière dont nous collections nos renseignements, aux orientations de sites ou d'auteurs... Et puis, simplement à une prudence naturelle qui devrait être la nôtre en bien des circonstances et nous pousser à se forger un avis propre.
Une conclusion qui vaut pour l'histoire, pour l'actualité, mais certainement aussi pour les livres et ce que nous attendons des avis extérieurs, qu'on les recherche avant lecture ou après. En clair, que l'on soit des fidèles lecteurs de plateformes littéraires, de blogs ou spectateurs assidus de chaînes, attention à ceux qui veulent nous influencer et nous faire négliger notre libre arbitre.
Agir par soi-même sera toujours la meilleure des solutions !